Législatives : “Le RN mobilise la forte inquiétude qui règne en France, sans savoir y répondre”

Législatives : “Le RN mobilise la forte inquiétude qui règne en France, sans savoir y répondre”

Le tract ne fait pas plus d’une page recto verso. Jeudi 13 juin, le Rassemblement national (RN) a dévoilé une ébauche de programme – ou de propositions – pour “un gouvernement d’union nationale”, précise-t-il. Avant les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet, le parti rappelle des thèmes qu’il répète depuis des années : immigration, sécurité, pouvoir d’achat…

Non sans revenir sur certaines de ses promesses phares. Après avoir abandonné la sortie de l’euro il y a quelques années, le Rassemblement national temporise désormais sur le retour à la retraite à 60 ans. Invité mardi 11 juin sur RTL, son président, Jordan Bardella, a indiqué qu’il ne reviendrait pas – en tout cas dans un premier temps – sur la réforme des retraites adoptée en avril 2023 relevant l’âge de départ à 64 ans. Cet abandon d’un totem social du RN – et sa réforme économique la plus coûteuse – pourra-t-il affaiblir le mouvement dans les urnes ? Ou ce changement sera-t-il indolore alors que, depuis des années, le parti d’extrême droite fait déjà l’impasse dans son programme sur des dossiers importants – comme le réchauffement climatique, la culture ou l’enseignement supérieur ? Ces faiblesses dans les programmes du RN ne l’empêche pas d’amasser des électeurs à chaque scrutin, jusqu’à finir en tête lors des européennes avec près de 31,5 % des voix exprimées dimanche 9 juin.

Pour comprendre ce paradoxe, L’Express a interrogé Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po, spécialiste des droites radicales et du populisme. Selon lui, la liste d’extrême droite a donné une dimension politique aux préoccupations d’une partie des Français, sans réflexion concrète sur les réponses à apporter. Entretien.

L’Express : Dans leur tract d’une page, le RN présente huit propositions à l’approche des législatives. Pas un mot sur le soutien à l’Ukraine, la lutte contre le réchauffement climatique, la culture… Le parti peut-il se permettre des absences sur de tels sujets ?

Gilles Ivaldi : Ce sont des questions prioritaires qui sont peu traitées, voire pas du tout, par le RN. Historiquement, les partis d’extrême droite comme le RN – mais aussi la Ligue italienne de Matteo Salvini, l’AfD en Allemagne ou le FPÖ en Autriche – se sont centrés et ont fait campagne sur des questions précises, liées à l’immigration et à la sécurité. Ces valeurs sont encore portées dans le programme de Jordan Bardella et ce sont des enjeux fondamentaux pour son cœur de cible électoral.

Dès lors, même si l’offre politique du RN est pauvre, comment expliquer son succès lors des récents scrutins ?

L’immigration s’est imposée comme un enjeu dans les élections françaises et européennes. Le RN l’a rendue saillante puisqu’il l’a politisée. Il a proposé une lecture simple aux électeurs : “Les questions économiques, les questions sociales, les inquiétudes que vous avez par rapport à l’éducation, à la santé ou au pouvoir d’achat, c’est en partie le problème de l’immigration et si on le règle, on va pouvoir répondre à ces questions.”

Et c’est une des clés du vote RN, puisque l’immigration est utilisée pour mobiliser un ensemble de colères liées à la sécurité économique (logement, concurrence pour les aides sociales, sur le marché du travail), mais aussi au sentiment de déclassement ou d’abandon. Il leur a donné une dimension politique. Ce sont des facteurs du vote d’extrême droite.

Sur quelles autres colères le RN a su capitaliser au fil des années ?

Outre les questions liées à l’immigration dans sa dimension sociale, économique et culturelle, le RN a beaucoup travaillé sur le pouvoir d’achat. C’est aujourd’hui la préoccupation numéro un de ses électeurs. Pendant la crise agricole, le RN a essayé de capter la colère des agriculteurs. Depuis 2022, la crise de l’énergie est devenue centrale et, pour cet électorat, le gouvernement n’y a pas apporté de réponse. Si on ajoute à cela l’insécurité et le terrorisme, ainsi que le rôle et la présence de l’Etat à travers ses services publics, on retrouve l’essentiel du cocktail du vote RN.

Le programme du RN reste flou sur les sujets qu’il porte, notamment concernant le budget alloué aux différentes propositions. Lors de sa conférence de presse, mercredi 12 juin, Emmanuel Macron a d’ailleurs fustigé leur programme économique, qui coûterait “au moins 100 milliards d’euros par an”. Mais cela ne semble pas inquiéter son électorat…

Jusqu’à présent, le parti d’extrême droite ne s’était pas vraiment demandé comment répondre aux questions d’immigration, de sécurité ou de pouvoir d’achat qui inquiètent fortement son électorat. Le RN incarnait une force d’opposition, de contestation, pas de gouvernement. Il se concentrait sur l’opposition à Emmanuel Macron pour asseoir sa position électorale et gagner des

La liste d’extrême droite se trouve dans une bonne dynamique, portée à 31,5 % des voix exprimées lors des européennes. Les faiblesses de leur programme pourraient-elles jouer un rôle durant les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet ?

On a atteint un point de bascule. Une partie des Français se disent : “Finalement, on a tout essayé, pourquoi pas le RN ?” Cette lassitude, doublée de la colère anti-Macron, peut constituer un moteur électoral suffisant pour porter le RN au pouvoir. Et ce, même si leur programme est très succinct et peu convaincant.

Aujourd’hui, on sait que les électeurs du RN vont se mobiliser. Ils ont envie de renverser la table. Mais le parti arrivera-t-il à élargir sa base électorale ? Peut-être que les modérés, notamment à droite, plus attentifs aux faiblesses et aux ambiguïtés du programme du RN, auront du mal à se tourner vers un candidat d’extrême droite au second tour. C’est là que tout va se jouer.

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