Législatives : les promesses économiques hors-la-loi du RN et du NFP

Législatives : les promesses économiques hors-la-loi du RN et du NFP

L’annonce surprise de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron le soir du 9 juin a sonné le départ d’une course contre la montre, obligeant les partis politiques à élaborer à la hâte des alliances, mais aussi des programmes ad hoc. Certaines propositions sont reprises de la campagne présidentielle de 2022, d’autres sont sorties du chapeau pour l’occasion, parfois avec des contours encore flous.

Parmi cette avalanche de mesures, au-delà d’une pertinence économique discutable, quelques-unes apparaissent impossibles à mettre en application, car contraires au droit. Nous en avons décrypté cinq, issues des programmes du Rassemblement National (RN) et du Nouveau Front Populaire (NFP), les deux forces arrivées en tête au premier tour des élections législatives.

Sortir des traités de libre-échange : un accord à la majorité du Conseil européen est obligatoire

Le RN et le NFP se rejoignent sur un point : la sortie des accords de libre-échange. Une promesse qui ne passe pas le test de la réalité. Ces accords qui visent à diminuer, voire supprimer, les droits de douane pesant sur les produits importés sont signés entre l’Union Européenne (UE) et les pays ou les groupes de pays concernés.

Pour les retoquer, il faut donc une décision du Conseil européen à la majorité qualifiée : c’est-à-dire par 15 Etats membres sur les 27, représentant plus de 65 % de la population de l’Union. Or, aujourd’hui, aucun des grands pays – Allemagne, Pologne, Italie ou Espagne – ne partage la position française. Pire, depuis 2017 et une décision de la Cour européenne de justice, les accords commerciaux sont désormais de la stricte compétence de l’UE. Plus besoin, donc, de l’aval des parlements nationaux pour la signature de nouveaux traités.

Réduire à 5,5 % la TVA sur l’énergie : possible pour l’électricité et le gaz… mais pas pour le carburant

C’est une mesure phare du RN en matière de pouvoir d’achat : la baisse de la TVA à 5,5 % sur les produits énergétiques. En plus d’être très coûteuse – l’estimation des pertes de recettes fiscales avoisine une quinzaine de milliards d’euros en année pleine – et socialement injuste puisqu’elle profite à tout le monde, riche ou pauvre, une partie de cette promesse est contraire au droit européen. En effet, si la souveraineté fiscale est l’un des principes de fonctionnement de l’UE, elle a néanmoins des limites pour éviter toute forme de distorsion de concurrence.

Selon l’article 98 de la directive européenne de 2006 relative au système commun de TVA, “les taux réduits s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III”. Dans cette fameuse annexe, on retrouve les denrées alimentaires, la distribution d’eau, les produits pharmaceutiques… Ont été ajoutés par la suite, le gaz, l’électricité et le fioul. Problème : le carburant n’y figure pas. Pour ce faire, il faudrait que la France obtienne un feu vert à l’unanimité du Conseil européen, puisque c’est une question fiscale. Certes, le RN pourra toujours arguer que la Pologne a appliqué un taux réduit sur les carburants entre le 1er janvier et le 31 juillet 2022. Une baisse qui n’a été que temporaire, et largement liée à la flambée des cours du pétrole au moment de l’attaque de la Russie sur l’Ukraine. Or, aujourd’hui, les cours du baril d’or noir ont reflué.

En 2002, Jacques Chirac qui avait promis durant la campagne une TVA réduite dans la restauration, avait dû batailler pendant des mois pour obtenir le go de la Commission de Bruxelles, l’Allemagne y mettant son veto. Au vu du coût budgétaire de cette proposition, il est peu probable que les pays “frugaux” de l’UE fassent de nouveau ce cadeau à un potentiel gouvernement RN.

Réduire la contribution de la France au budget européen : aucun moyen d’action légal

Il n’y a pas si longtemps que cela, en 2017, Marine Le Pen promettait encore la sortie de la France de l’UE. Cinq ans plus tard, si le “Frexit” a bien disparu du programme du RN, des relents anti européens subsistent à travers certaines mesures. Comme cette volonté de réduire la contribution française au budget de l’Union. A la clef : une économie envisagée “de deux à trois milliards d’euros” – entre 10 et 15 % des 21,6 milliards d’euros que la France a débloqués en 2024.

En réalité, Jordan Bardella n’aurait aucun moyen d’action légal pour mettre en application cette proposition. Le budget européen est acté de façon pluriannuelle. Le dernier en date a été voté en 2021 et court jusqu’en 2027. A mi-parcours, une révision est possible, mais la date butoir est déjà passée. “Il pourra seulement faire des demandes et préparer le prochain budget, mais dans l’immédiat, il n’aura pas gain de cause”, pointe l’économiste Christian Saint-Etienne.

Si le RN décide d’outrepasser les règles, les conséquences pourraient être dramatiques. “Trois milliards d’euros d’économies pour créer une crise européenne me semble un pari dangereux”, estime Jérôme Creel, directeur du département des Études à l’OFCE. Derrière cette mesure transparaît la volonté du parti d’extrême droite de s’attaquer au principe fondateur de l’UE. “La logique est mauvaise. Cela met fin à l’idée même de budget commun”, juge Arnaud Schoenaerts, directeur de cabinet de l’eurodéputée Valérie Hayer.

Exonérer d’impôt sur le revenu les moins de 30 ans : contraire au principe d’égalité

Cette mesure figurait déjà dans le programme du RN lors des législatives de 2022. Et comme en 2022, le parti d’extrême droite évite soigneusement d’en dévoiler les détails techniques. Lors du débat avec Manuel Bompard sur TF1, mardi 25 juin, Gabriel Attal a mis Jordan Bardella devant le fait accompli, en évoquant la possibilité que Kylian Mbappé (25 ans, et 72 millions d’euros de revenus en 2024) ne paye pas d’impôt, au même titre qu’un contribuable de moins de 30 ans lambda. Le porte-parole de la formation, Sébastien Chenu, a ensuite amorcé un premier rétropédalage en évoquant la mise en place de “plafonds” sans plus de précision.

Dans tous les cas, cette exemption fiscale serait difficile à appliquer au regard de la Constitution. “Tous les citoyens doivent payer le même impôt en fonction de leur revenu. Toute dérogation doit être justifiée”, explique Michel Taly, ancien directeur de la législation fiscale. Pour l’heure, le RN entend, avec cette exonération, “favoriser leur installation durable en France, professionnelle et familiale”. En clair : empêcher qu’ils ne partent à l’étranger. “Présenté de cette manière, cela pose problème au regard du principe d’égalité”, avance un avocat fiscaliste.

A cela s’ajoute le flou autour du passage des jeunes dans la trentaine. “Quand on sort d’un régime de faveur en fiscalité, il y a toujours le problème de la transition. On est obligé d’inventer des usines à gaz qui ajoutent un peu plus de complexité”, rappelle Michel Taly. Et pour quels effets ? “Cette mesure me paraît inappropriée, juge Jean-Philippe Delsol, président de l’Institut de recherches économiques et fiscales. Peu de jeunes de moins de 30 ans payent des impôts. Pour ceux qui gagnent bien leur vie, il n’y a aucune raison pour qu’ils ne contribuent pas comme les autres. Que dirait-on si les personnes âgées de plus 70 ans étaient exonérées d’impôts ?”.

Passer à 14 tranches marginales d’imposition : un risque d’inconstitutionnalité

Le barème n’est pas encore fixé mais il fait déjà trembler. Le Nouveau Front Populaire envisage de passer de 5 à 14 tranches marginales d’imposition. Le taux de 90 % sur la dernière tranche d’imposition, qui figurait dans le projet fiscal de Jean-Luc Mélenchon en 2022, fait figure d’épouvantail. Il est toutefois peu probable, d’autant que, comme l’a indiqué le Conseil d’Etat dans un avis du 21 mars 2013, “un taux marginal maximal d’imposition des deux tiers, quelle que soit la source des revenus, doit être regardé comme le seuil au-delà duquel une mesure fiscale risque d’être censurée par le juge constitutionnel comme étant confiscatoire ou comme faisant peser une charge excessive sur une catégorie de contribuables en méconnaissance du principe d’égalité”.

Pour le professeur de droit public à l’université d’Aix-Marseille Xavier Magnon, “le caractère excessif dépend aussi des tranches de revenus décidées. Mais même si on appliquait un taux de 90 % à des revenus très élevés, il y aurait un risque d’inconstitutionnalité.” D’autant que ce projet s’accompagne de l’alourdissement d’autres impôts, avec le rétablissement d’un ISF qui intégrerait les biens professionnels dans l’assiette – 15 milliards d’euros par an de recettes à la clef chiffre le NFP, soit trois fois plus qu’avant sa suppression au profit de l’impôt sur la fortune immobilière en 2018 -, et la réforme de la fiscalité sur l’héritage, avec l’instauration d’un maximum transmissible de 12 millions d’euros.