Législatives : refus, rébellions… Ciotti, une semaine pour bricoler une liste de candidats

Beaucoup ne se connaissent pas. Ne partagent pas la même histoire militante et ont soutenu des candidats différents aux élections présidentielles. Leur seul trait d’union, une boucle Whatsapp. On y centralise les informations relatives à la campagne électorale. Ici, un choix d’imprimeur pour les affiches. Là, une recension des obligations légales à respecter.

Tant d’urgences à régler dans un temps record. Voilà les 62 candidats issus de l’alliance nouée entre Eric Ciotti et le Rassemblement national (RN) dans le grand bain des législatives. Heureusement, le grand frère veille. Des responsables départementaux RN sont aux petits soins en cas de tracasseries administratives. Le patron de LR, aussi. Le jeudi 13 juin, il réunit ses poulains pour un échange en visio, et démine les craintes. “Je ne suis pas parti seul. Certains se sont retirés au dernier moment”, explique-t-il en substance. Prudence est mère de sûreté. Tous ces prétendants se sont rattachés financièrement, non à LR, mais à son microparti “A droite, les amis d’Eric Ciotti”.

Comment les appeler, d’ailleurs ? Ces 62 impétrants, symbole d’une droite au bord de l’implosion ? Dévastée par la lutte à mort à laquelle se livrent Eric Ciotti et l’immense majorité des cadres du parti. Eux revendiquent la dénomination “LR-RN” et s’érigent en symbole d’une union des droites enfin sur pied. Les adversaires d’Eric Ciotti les qualifient avec dédain de “Ciotti-RN”. Des affidés à un homme seul, pas des soldats de la recomposition politique. Guerre de tranchées rhétorique.

“Ciotti s’y est pris comme un manche”

Que la récolte fut maigre ! Le 11 juin, Eric Ciotti voit les choses en grand. Le président de LR, qui assure être déjà soutenu par une “dizaine de parlementaires”, esquisse sur TF1 les contours de sa grande alliance : les 61 députés sortants LR sont les bienvenus, et une soixantaine de circonscriptions à conquérir sont proposées à quiconque rejoindrait Ciotti. Cette ambition s’étiole vite. Le vendredi 14 juin, il n’est question chez Jordan Bardella que de 70 candidatures “LR-RN”. Le chiffre s’est depuis affaissé. Et si peu de haut cadres dans la valise du Niçois. Eric Ciotti ne ramène que le très droitier président des jeunes LR Guilhem Carayon et la députée des Alpes-Maritimes Christelle D’intorni.

Le fruit était pourtant mûr. Le projet d’Eric Ciotti, de nature à séduire plus d’un cadre. La droite porte certes un regard condescendant sur le RN, parti aux compétences suspectes. Et que dire de son programme économique “empruntée à la gauche” ? Oui, mais. Tant d’élus LR sont issus de circonscriptions favorables au RN. Tous observent l’ascension d’une formation normalisée, à rebours de leur propre déclin. Le pouvoir est là, si près. Tentant. Las, la démarche secrète d’Eric Ciotti a refroidi bien des ardeurs. La forme a écrasé le fond. “Ciotti s’y est pris comme un manche, certains étaient tout prêts !”, s’étonne un député LR. “Si la forme avait été différente, il aurait peut-être pu récupérer une poignée de députés. Mais tout le monde lui en veut de nous avoir fragilisés en mettant une telle pagaille”, confirme Michèle Tabarot, députée des Alpes-Maritimes et présidente de la Commission nationale d’investiture (LR).

Des refus, et du bricolage

Cette colère a isolé Eric Ciotti. Elle l’a privé de candidatures de haut niveau. Elle l’a, enfin, amputée d’informations précieuses. Comme cette liste des candidats LR investis par la CNI, sur laquelle il n’a pas pu mettre la main, en raison d’une rébellion des salariés du siège. Le jeudi 13 juin, accompagné d’un huissier, il exige ainsi du directeur des élections de LR qu’il lui remette le document.

“Je suis le président du parti. Vous êtes sous mon autorité hiérarchique.”

“Je ne peux pas.”

Eric Ciotti, à l’huissier : “Notez qu’il ne répond pas à mes instructions.”

Alors, place au bricolage. Eric Ciotti s’est beaucoup appuyé sur Guilhem Carayon pour trouver des candidats. Lui a les fichiers jeunes du parti, assure-t-on en interne. Le patron de LR a donné de sa personne. Quand il annonce son alliance au RN à ses collaborateurs, il leur propose une circonscription. Des refus, et le “oui” de Bartolomé Lenoir, candidat dans la Creuse. L’offre est aussi soumise à l’ex-député du Vaucluse Julien Aubert. “Fais ce que ta conscience exige de toi”, lui glisse Bruno Retailleau, parti en guerre contre Eric Ciotti. Il ne donnera pas suite.

Groupe hétéroclite

Les 62 candidats forment un groupe hétéroclite. Il y a d’abord les jeunes, terre de conquête privilégiée. Hanane Mansouri, ex-présidente des jeunes LR 38, partira dans l’Isère. Quentin Taïeb, représentant LR à Vénissieux ira, lui, en Haute-Savoie. Tous deux soutenaient Michel Barnier et Xavier Bertrand, peu suspects de connivence avec le RN, lors de la primaire de 2021. “Ils vont là où souffle le vent”, raille un ex-responsable LR. Eux défendent auprès de L’Express un choix cohérent avec leurs orientations idéologiques. Hanane Mansouri est passée par l’UNI, syndicat étudiant apôtre de l’union des droites. Les jeunes LR, c’est bien connu, sont plus à droite que leurs aînés. “Les cadres ont des mandats et trustent les postes de direction. Nous, on s’engage pour nos idées”, défend Charles-Henri Alloncle, ex-président des Jeunes avec Sarkozy, en lice dans l’Hérault.

Certains prétendants ont un lien plus distant avec LR. Tel le magistrat spécialiste de la fraude fiscale et sociale Charles Prats. Ou l’ancienne députée LREM Typhanie Degois, rejointe par l’éditorialiste de Cnews Guillaume Bigot. Et que dire de Nicolas Conquer, porte-parole des Republican Overseas et partisan de Donald Trump ? Ou d’Arnaud Dassier, soutien d’Eric Zemmour après avoir conduit la campagne numérique de Nicolas Sarkozy en 2007 ? Plusieurs anciens partisans de Reconquête sont ainsi de la partie. David Attia, candidat de la formation zemmouriste aux législatives 2022 après des années passées chez LR, sera candidat à Paris. Gérault Verny, proche de Marion Maréchal et investisseur dans le média identitaire Livre noir, et l’ancien sénateur proche de Reconquête Sébastien Meurant se lancent dans la bataille. Il y a enfin ces élus de l’ancienne génération, sortis du placard. Revoilà l’ancien député UMP Jacques Myard, le maire de Cholet Gilles Bourdouleix et l’édile de Montauban Brigitte Barèges. Et on trouve même un ancien préfet, Thierry Coudert, qui, après avoir été conseiller d’un ministre de gauche, fut le directeur de cabinet de Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration.

“Je ne peux garantir que tout le monde restera sur la ligne”

Les cadres LR sourient de cet attelage baroque, loin de la promesse initiale d’Eric Ciotti. “Le RN ne doit pas être content”, se gondole un cadre. La petite troupe avance, insensible aux quolibets. Ceux envoyés dans des circonscriptions gagnables profiteront de la si précieuse étiquette RN. Ils sont inconnus ? Pas Jordan Bardella, exhibée sur leurs affiches de campagne.

“LR canal historique” contre “LR Ciotti”. Les deux camps mènent une campagne parallèle teintée d’ambiguïté. Eric Ciotti jouit toujours du titre de “président” des Républicains, après la suspension de son exclusion du parti… Mais affrontera un candidat LR dans sa circonscription. Les troupes d’Eric Ciotti revendiquent leur statut de prétendants LR “officiels”, mais n’arborent pas le logo du parti sur leurs affiches de campagne. Prière de s’y retrouver. L’affaire promet de se compliquer le 30 juin au soir. Eric Ciotti a suggéré lundi sur France 2 que d’autres députés LR pourraient le rejoindre après le premier tour. Des parlementaires pourraient-ils céder aux sirènes de l’alliance pour sauver leur peau ? Voire pour rejoindre une hypothétique majorité RN à l’Assemblée après l’élection ? “Il y en aura peut-être… Je ne peux garantir que tout le monde restera sur la ligne”, concède un dirigeant. Les sourires ironiques opposés à Eric Ciotti pourraient alors se crisper.