Législatives : si le RN avait gagné, qu’aurait-on dit à Moscou, Pékin et Washington ?

Législatives : si le RN avait gagné, qu’aurait-on dit à Moscou, Pékin et Washington ?

Le Rassemblement national ne constituera donc pas le prochain gouvernement de la République française. Cela aurait-il changé la donne en matière d’affaires étrangères et stratégiques, surtout s’agissant des grandes puissances et sachant que ses priorités affichées s’inscrivent au sein des frontières et non à l’extérieur ? En premier lieu, on rappellera que la lettre de la Constitution de 1958 est assez claire quant au partage des pouvoirs en cas de cohabitation, les questions stratégiques et militaires revenant pour l’essentiel au président comme chef des armées et garant des traités (art. 15), la diplomatie relevant certes des deux pôles exécutifs mais restant dans l’esprit des textes plutôt du côté présidentiel. Certes, les trois cohabitations précédentes avaient vu (en dépit des frictions Mitterrand-Chirac en 1986-88) les deux chefs de l’exécutif s’entendre assez bien, mais les schémas de pensée étaient assez communs ; là, avec l’extrême droite du RN (ou l’extrême gauche de LFI, du reste), on aurait connu un fossé de perceptions et donc de politiques sur quantité de points, notamment face à la Russie, à la Chine et aux Etats-Unis. Comment y aurait-on réagi dans ces trois grandes puissances ?

A Moscou, on aurait évidemment préféré une victoire du RN, pour deux raisons au moins.

Premièrement, ce parti est extrêmement proche du Kremlin sur les plans idéologique et financier, et aurait vraisemblablement tenté de rompre avec la politique élyséenne non seulement favorable à l’Ukraine mais de plus en plus proactive en termes de livraisons d’armements et de formation (voire d’envois) de troupes depuis 2023 ; dans le même esprit, Vladimir Poutine aurait attendu d’un Premier ministre RN une redéfinition des rapports franco-russes, avec sans nul doute une exigence d’allègement des sanctions financières et technologiques (à l’image du dirigeant hongrois Orban freinant systématiquement au sein de l’UE toute initiative défavorable à Moscou) et un retrait français plus net des zones sahélo-sahariennes au profit des mercenaires et/ou entreprises russes s’y installant.

Deuxièmement, le RN aux affaires aurait créé les conditions d’un affaiblissement stratégique de Paris, miné en interne durant – au moins – un à trois ans par l’affrontement Elysée-Matignon ; or le Kremlin cible dorénavant la France dans tous les domaines et recherche clairement son déclin. Ainsi, du fait de l’échec du RN à constituer une majorité parlementaire et donc un gouvernement, on doit s’attendre à la poursuite d’une politique très hostile.

La Chine souhaite “seulement” un affaiblissement de la France

A Pékin, on ne souhaite pas l’effondrement de l’Europe et de ses puissances, mais “seulement” l’affaiblissement politique et militaire de la primordiale d’entre elles, la France ; économiquement, l’UE demeure l’un des deux principaux débouchés pour les produits chinois, et par conséquent un client absolument déterminant. Or, au sein de l’UE, même si l’économie française n’est que la seconde (de plus en plus loin) derrière l’Allemagne, son poids reste non négligeable. Aussi, la Chine n’aurait rien eu à gagner à voir à Matignon un Premier ministre totalement inexpérimenté et fort peu rassurant pour les investisseurs, les créanciers et autres agences de notation ; en revanche, Pékin escompte – RN aux affaires ou pas et quelle que soit la composition de l’Assemblée nationale – un repli militaire tricolore dans l’immense zone indo-Pacifique, à commencer par la Nouvelle-Calédonie, où la France possède de nombreuses zones insulaires et archipélagiques peuplées de centaines de milliers de citoyens, et dispose de plusieurs millions de km2 de zones économiques exclusives.

Enfin, aux Etats-Unis, l’actuel président Joe Biden ne souhaite en aucun cas un affaiblissement qu’aurait provoqué à ses yeux l’arrivée au pouvoir du RN ou de l’extrême gauche ; très fidèle à l’alliance atlantique et favorable à une Europe solide et démocratique (et francophile, à l’instar de son secrétaire d’Etat Blinken), le président américain sait, en pleine contre-offensive militaire russe en Ukraine et au moment où se renforce un axe autoritaire russo-sino-iranien, le poids de Paris sur le Vieux Continent et bien au-delà. C’est d’autant plus vrai que le puissant allié britannique semble en déclin. Pour sa part, Donald Trump, s’il avait été au pouvoir, aurait vraisemblablement applaudi à l’arrivée aux affaires d’un parti traditionnellement hostile à l’Otan, cette alliance atlantique perçue par l’ancien (et futur ?) président américain comme bien trop coûteuse.

Frédéric Encel, chroniqueur à L’Express, auteur d’une thèse de doctorat sur Jérusalem, publiée sous le titre “Géopolitique de Jérusalem” (Flammarion, 2009).