Les investissements responsables sont-ils vraiment performants ?

Les investissements responsables sont-ils vraiment performants ?

Epargner et investir sont deux actes répondant à des logiques bien différentes. Le premier consiste à limiter ses dépenses pour dégager un surplus de revenus à la fin du mois quand le second invite à placer cet excédent de façon à le faire croître dans le temps. Pour beaucoup de professionnels de la gestion de patrimoine, verser de l’argent chaque mois sur un livret A répond à une logique d’épargne alors qu’acquérir des actions ou des parts de fonds sur les marchés relève d’une démarche d’investisseur. Quelle différence ? L’horizon de placement, le risque pris… mais aussi l’espérance de gain. Là où les supports d’épargne réglementée ne promettent que de sauvegarder votre pouvoir d’achat, les produits plus risqués permettent d’envisager des gains plus substantiels à long terme.

Cette théorie tient-elle toujours la route si l’on s’intéresse à des supports d’épargne éthiques ou responsables ? En la matière, la réponse est – encore – un peu plus complexe. En premier lieu, il faut savoir de quoi l’on parle tant l’offre est vaste et recouvre des typologies de produits différentes. En outre, la notion de placements vertueux recouvre, elle aussi, une large variété de nuances.

Il faut ainsi distinguer l’épargne solidaire et celle dite responsable ou durable. La première consiste à financer, via une partie de son argent, des organismes de l’économie sociale et solidaire. Ces derniers ayant des objectifs de rentabilité faible ou nul, elle repose donc largement sur l’abandon d’une partie de sa performance financière. L’exemple des livrets de partage en est le plus probant : avec ces placements, vous pouvez gratifier une association de tout ou partie de vos gains annuels, réduisant de facto votre rentabilité. Quant aux fonds solidaires, ils investissent une partie de leur portefeuille dans ces mêmes organismes (entre 5 et 10 %) et le reste dans des titres traditionnels. Ils conservent donc un objectif de gain aligné sur le marché, mais leur trajectoire de performance est néanmoins affectée par leur poche solidaire. De ce fait, ils progressent généralement moins que les fonds classiques en période de hausse, mais réagissent mieux lorsque la Bourse baisse, la poche solidaire faisant office d’amortisseur.

“On ne perd pas de performance avec l’ISR”

Du côté de l’investissement socialement responsable (ISR), l’essentiel de l’offre repose sur des fonds, qu’ils soient monétaires, obligataires ou, la plupart du temps, en actions. Ils intègrent dans leur sélection de valeurs des critères extrafinanciers, avec pour objectif de composer un portefeuille de sociétés mieux-disantes sur les sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance (les fameux critères ESG).

Les conséquences de cette analyse sur les performances des fonds ont beaucoup interrogé depuis leur création. “Depuis trente ans, la démonstration est faite que l’on ne perd pas de performance avec l’ISR”, énonce Grégoire Cousté, délégué général du Forum pour l’investissement responsable. Mieux : selon Matt Christensen, responsable mondial de l’investissement durable et d’impact chez Allianz GI, toutes les études académiques suggèrent une corrélation positive entre ESG et performance financière à long terme ! La logique sous-jacente est assez intuitive : les entreprises qui intègrent ces questions à leur stratégie de croissance sont plus solides et plus résilientes dans le temps.

“Il est en revanche impossible de dire que tous les fonds ISR surperforment tout le temps”, nuance Matt Christensen. L’exercice 2022 l’a d’ailleurs mis en évidence avec des résultats très négatifs pour ces produits. “Leurs rendements ont davantage souffert que les fonds traditionnels, et cela dans de nombreuses catégories”, souligne en substance Morningstar dans une étude de juin 2023. Une évolution qui tient aux caractéristiques intrinsèques des fonds responsables. “Par rapport aux fonds traditionnels, de nombreux fonds ESG ont une sous-pondération structurelle du secteur de l’énergie, qui a surperformé depuis deux ans”, pointe le fournisseur de données alors qu’ils favorisent des secteurs tels que la technologie, l’industrie et la santé. Plus un fonds sera coloré responsable ou durable, plus il comporte de biais sectoriels, plus il est susceptible de dévier de la trajectoire du marché mesurée par les grands indices.

A la recherche d’un supplément d’âme

Mais le résultat de ces placements ne doit pas être jugé qu’à l’aune de la performance financière. C’est tout le concept de la double matérialité, introduit par la réglementation européenne en matière de finance durable. Cela signifie que la performance globale doit être évaluée selon deux axes : sa performance financière et son impact sur la planète. La première repose sur les conséquences positives ou négatives de l’ESG sur les activités économiques. Par exemple, la raréfaction de l’eau peut engendrer des difficultés d’approvisionnement et des hausses de coûts pour les entreprises qui en dépendent.

La seconde étudie les conséquences de l’activité humaine sur la nature et les hommes. Ainsi une entreprise qui rejette des polluants aura un effet négatif sur l’environnement. “Il est indispensable d’intégrer les externalités négatives générées par certaines entreprises, comme la pollution, et qui sont ensuite financées par la collectivité”, estime Coline Pavot, responsable de la recherche Investissement responsable à la Financière de l’échiquier. Cette approche différente permet d’intégrer la finalité de ces fonds. “Le débat de la performance est mal posé car il repose sur un cadre théorique qui n’intègre pas le prix du carbone, du climat ou encore de la biodiversité, souligne Hervé Guez, directeur des gestions actions, taux et solidaire chez Mirova. Il ne faut pas se comparer aux autres fonds, mais plutôt se fixer des objectifs à atteindre, tant sur le plan financier qu’extrafinancier.”

De fait, en choisissant un placement responsable ou solidaire, l’épargnant recherche généralement un supplément d’âme par rapport à un produit lambda. Or, l’évaluation de la seconde n’est pas toujours aisée. Certes, lorsque vous investissez directement dans une foncière solidaire comme Habitat et humanisme, vous savez que cette dernière utilise les capitaux levés pour bâtir ou rénover des logements pour des personnes en difficulté. L’association dont elle dépend rend compte régulièrement de son action. Même lisibilité si vous vous tournez vers le financement participatif de projets d’énergies renouvelables. C’est moins évident lorsqu’il s’agit de fonds cotés. Ces derniers tentent de plus en plus de rendre des comptes via des indicateurs clés, notamment sur la partie environnementale, qui est la plus facile à mesurer via les émissions de gaz à effet de serre notamment. Mais démontrer la performance extrafinancière reste encore un défi pour le monde de la finance durable.

Un article du dossier spécial Placements responsables paru dans L’Express du 30 mai