Les législatives vues de l’étranger : “Ces élections pourraient être les plus destructrices depuis la guerre”

Les législatives vues de l’étranger : “Ces élections pourraient être les plus destructrices depuis la guerre”

“Un acte d’autosabotage” digne d’un chef d’État “hystérique et imprévisible” : c’est ainsi que le quotidien allemand indépendant Der Spiegel (traduit par Courrier International) qualifie la décision prise par Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des législatives anticipées, après la victoire du Rassemblement National (RN) aux élections européennes le 9 juin dernier. Qu’elle soit progressiste ou conservatrice, la presse étrangère ne fait aucun cadeau au chef d’État français, et s’inquiète des conséquences de ses actes sur la stabilité du régime dans l’Hexagone et, plus largement, dans l’Union européenne.

“C’est une certitude, Emmanuel Macron a perdu le sens des réalités”, fustige le site d’informations en anglais The Local, qui estime que l’actuelle majorité ne peut plus espérer se baser sur le seul argument du barrage électoral face à l’extrême droite pour espérer être réélue. “Les Français ne veulent pas que Macron les sauve”, tacle Der Spiegel. “Quoi qu’il arrive, ce sera l’un des paris les plus fous de l’Histoire française moderne”, résume le New York Times.

Beaucoup interprètent le coup de poker d’Emmanuel Macron comme une tentative de porter le RN au pouvoir pour mieux le décrédibiliser, et ainsi “démystifier l’attrait contestataire” du parti, analyse le New York Times, qui y voit une tactique “cynique”. “Il est tout à fait possible que cette exigence péremptoire que les électeurs ‘assument leurs responsabilités ‘se retourne contre lui de façon spectaculaire” commente The Guardian. Et pire encore : qu’elle ne déstabilise non seulement l’équilibre politique intérieur français, mais aussi le bloc européen, en offrant un boulevard à l’extrême droite dans un pays central de l’Union européenne, relève le quotidien.

Macron condamné à devenir “un canard boiteux”

Outre-Manche, les observateurs politiques s’inquiètent en effet d’une possible paralysie du régime : “Une victoire sans appel de l’extrême droite pourrait faire de Macron un canard boiteux, condamné à ‘cohabiter’ avec un gouvernement ouvertement xénophobe, islamophobe, autoritaire et illibéral”, poursuit le journal britannique. Et même si le RN n’obtient pas la majorité absolue d’au moins 289 sièges, il devrait tout de même s’imposer comme le bloc politique le plus conséquent à la suite du scrutin, imposant à Emmanuel Macron et son parti de devoir chercher des alliances de circonstances, plus fragiles.

The Local s’attend ainsi à voir la France basculer à nouveau dans une “nouvelle IVe République (1947-1958)” et à renouer “avec la valse des gouvernements”. “Attendez-vous à d’autres drames à venir”, rapporte également le New York Times, en mentionnant les multiples déchirures et recompositions à l’œuvre au sein des mouvements politiques français, des querelles des Républicains aux disputes à gauche.

Des élections “destructrices” à l’international

Mais les préoccupations ne concernent pas uniquement l’Hexagone. Pour la rédaction européenne de Politico, ces législatives pourraient “être les plus destructrices depuis la guerre – non seulement pour la France, mais aussi pour l’Union européenne, l’Alliance atlantique et ce qui reste de l’ordre mondial libéral d’après-guerre”, en cas de victoire d’un parti populiste. Affaibli, Emmanuel Macron “ne sera plus le moteur de l’Union européenne, il aura du mal à tenir son rôle de ferme soutien de l’Ukraine contre la Russie, envisage Der Spiegel. Il provoque déjà la nervosité des marchés financiers, qui redoutent une nouvelle crise de l’euro.”

The Economist s’inquiète également des possibles conséquences de l’élection sur l’économie française : “La politique risque de faire obstacle à la renaissance de Paris en tant que centre commercial mondial”, puisque, selon le quotidien libéral, “les partis d’extrême droite et d’extrême gauche en tête” présentent tous deux “des plans de dépenses intenables qui effraient les investisseurs”.

Une possible victoire de la gauche ?

Mais la victoire du Rassemblement national n’est pas le seul scénario étudié en Europe et Outre-Atlantique. “Oubliez l’extrême droite. C’est la gauche qui pourrait faire pression sur Macron”, titrait mi-juin Politico, après l’annonce de la constitution du Nouveau Front populaire. Pour le média spécialisé sur les questions européennes, le pari d’Emmanuel Macron de gagner les législatives reposait sur la spéculation que la gauche se présenterait dispersée et finirait perdante aux élections, devant reporter ses voix sur l’actuelle majorité pour faire barrage.

Or, “les dernières élections législatives ont démontré la force de la gauche française lorsqu’elle s’unit”, rappelle le New York Times, qui n’exclue pas que le Nouveau Front populaire ne crée la surprise les 30 juin et 7 juillet. Une option moins envisagée par The Local, qui parle d’une alliance de circonstance “façon hydre tentaculaire, dont les nombreuses têtes tentent de se dévorer les unes les autres” et qui “brasse large, de la gauche contestataire […] à l’ancien président François Hollande”.

In fine, l’échec du projet centriste

Si les spéculations sont nombreuses et divergent sur la tournure que pourrait prendre la situation politique française dans les semaines à venir, tous pointent en revanche l’échec du projet centriste d’Emmanuel Macron. “Il n’a pas su proposer de grand récit fédérateur autour d’un réformisme centriste. Tout ce qu’il a entrepris au sujet de l’immigration ou de la délinquance a paru insuffisant à la droite et scandaleux à la gauche”, écrit le journaliste britannique John Lichfield.

Plus encore, le discours du “ni extrême gauche, ni extrême droite” adopté par le président ces derniers jours est vivement critiqué en Suisse, où Tages-Anzeiger y voit non seulement “une erreur factuelle” dans l’appréciation politique du Nouveau Front populaire, mais aussi un reflet de la banalisation de la rhétorique de l’extrême droite. “Il prétend souhaiter renforcer les partis modérés du centre et se montre extrême dans ses discours comme dans ses actes. Cela ne peut pas bien se terminer”, proteste encore Der Spiegel. Finalement, le New York Times se pose la question de la marque que ce coup de bluff laissera dans l’histoire politique française : “On se souviendra peut-être de lui non pas comme un opposant de principe à l’extrême droite, mais comme un facilitateur imprudent”.