Livres : éloge de la nouvelle, ce genre injustement mal-aimé

Livres : éloge de la nouvelle, ce genre injustement mal-aimé

En France, la nouvelle a mauvaise presse. Faute de prescripteurs (libraires, journalistes), elle est présumée repoussoir pour le lecteur et serait source de méventes. D’où le peu d’appétit des éditeurs pour ces formes courtes, que Michel Déon appelait malicieusement “mes danseuses”. Mais, qui, de l’œuf ou de la poule… ? C’est l’éternelle question dont la revue Décapage s’est emparée dans son numéro printemps-été 2024 (16 euros) à travers le témoignage de 21 écrivains, apôtres du genre.

En guise de mise en bouche, surgissent les grands noms du domaine, Raymond Carver, Joseph Conrad, Ernest Hemingway, Alice Munro, Anton Tchekhov, Marcel Aymé, James Salter ou encore Edgar Allan Poe, qui en donnait cette jolie définition : “Texte de fiction, traitement d’un seul incident, matériel ou spirituel, et qu’on peut lire d’une traite.” La nouvelle garde aujourd’hui encore un statut à part aux Etats-Unis, rappelle Julia Kerninon, les écrivains devant “faire leurs preuves comme nouvellistes avant d’avoir droit de s’attaquer au sacro-saint roman”.

Reste que, contrairement aux idées reçues, c’est en France, et non outre-Atlantique, que s’impose le genre, à la fin du XIXe siècle, grâce aux très nombreux journaux qui publient alors feuilletons et nouvelles à la pelle. L’un des grands coupables de la désaffection actuelle, Belinda Cannone l’a déniché en la personne d’Alain Robbe-Grillet, l’auteur de Pour un nouveau roman (1963), selon qui la création devait être soumise à l’écriture, au détriment des personnages et de l’intrigue… Les écrivains de Décapage ont fait fi, bien sûr, des conseils du “pape du Nouveau Roman”. Ainsi de Guillaume Sire, qui n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il écrit : “Les romanciers sont des prophètes, les nouvellistes des saints, les lecteurs de romans des martyrs, les lecteurs de nouvelles des aristocrates.”

Petites lampes de poche

Tout comme Mark Greene qui proclame ainsi son enthousiasme : “La nouvelle est un bagage léger qui nous permet d’avancer, de nous repérer, de garder la tête haute. Elle ne prétend pas changer le monde. Elle est, et restera, cette petite lampe de poche qui ne se déculotte pas devant l’obscurité de l’univers.” De même, Colombe Boncenne, grande lectrice de Julio Cortazar et de Joyce Carol Oates, a sorti ses petites lampes de poche, tout en s’efforçant de les relier les unes aux autres, “par un travail de couture, de ramification de détails ou de motifs, et d’une composition réfléchie”. Ainsi est né De mes nouvelles (éditions Zoé), sorti en mars dernier.

Véronique Ovaldé partage l’engouement de ses confrères : “La nouvelle, c’est l’implicite et le camouflé, c’est le silence et l’interstice. Une nouvelle […] ça ne sent jamais la sueur, c’est ludique et profond à la fois, ça se brode et se chantourne.” L’auteure de Ce que je sais de Vera Candida confie aimer tout particulièrement les nouvelles qui se répondent les unes les autres et la variation des points de vue comme autant de déclinaisons du même. Et qui en fait une illustration lumineuse avec son épatant recueil A nos vies imparfaites (Flammarion), tout juste auréolé du prix Goncourt de la nouvelle. Dans ses huit nouvelles, variations sur nos désarrois contemporains, les personnages passent subtilement du premier plan au rôle de figurant. Et nous sont de plus en plus attachants.