Loïg Chesnais-Girard : “Le RN donne des coups de boutoir permanents sur la Bretagne”

Loïg Chesnais-Girard : “Le RN donne des coups de boutoir permanents sur la Bretagne”

Avant ce dimanche 30 juin, aucun candidat du Front national ou du Rassemblement national n’avait jamais franchi le cap du premier tour des élections législatives en Bretagne. Le 7 juillet, ils seront présents au second tour dans 26 des 27 circonscriptions de la région, avec cinq candidats s’étant même qualifiés en première position.

Une situation à laquelle Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne, ne veut pas rester indifférent. Celui qui avait quitté le Parti socialiste après l’accord de la Nupes en 2022 en raison de la présence de La France insoumise appelle à un barrage républicain contre l’arrivée du RN au pouvoir, jugeant qu’il s’agit d’une “urgence absolue”. Le tout en fustigeant la politique “hypercentralisée” menée par Emmanuel Macron depuis 2017, selon lui responsable de la détresse de nombreux citoyens dans le pays.

L’Express : Comment analysez-vous cette percée historique du Rassemblement national en Bretagne ?

Loïg Chesnais-Girard : Les citoyens ont exprimé lors des élections européennes une insatisfaction, une colère, une détresse. Le président leur a demandé de confirmer leur sentiment, et ils l’ont fait avec force, avec cette vague qui touche tous les territoires. La Bretagne partait d’un peu plus loin, donc les dégâts sont peut-être moins importants. Mais cette vague est là, comme partout ailleurs. Nous avions bien senti depuis quelque temps que le Rassemblement national, en conquête du pouvoir, ciblait la Bretagne. Il cherchait les endroits les plus vulnérables, là où il y avait le moins de voix données au RN, en quelque sorte les parts de marché les plus importantes à récupérer. On les a vus venir, que ce soit sur la pêche, sur l’agriculture. Mais aussi sur des situations très particulières, comme on l’a vécu avec le centre d’accueil de migrants, à Callac. Le RN donne depuis quelque temps des coups de boutoir permanents sur la Bretagne.

Et puis, notre région n’est pas étanche aux angoisses du monde. Comme partout, nous avons également des fins de mois difficiles pour beaucoup de personnes, des familles monoparentales qui travaillent à plein temps et ne s’en sortent pas, des angoisses climatiques qui menacent. Il y a une forme d’exaspération qui s’exprime, sur les services publics qui ne sont pas là ou en recul. Sur toutes les promesses faites à Paris, et qui ne redescendent pas dans les territoires, que ce soit sur l’école, la santé, les transports, les fins de mois, le pouvoir d’achat. Tout cela génère de la colère et de la défiance. Ces législatives, c’est l’échec du showbiz politique, qui est à côté de la vie réelle des bourgs et des campagnes, à côté de la vie réelle que nous vivons ici.

Depuis 2017, Emmanuel Macron et son camp avaient toujours réalisé de très bons scores en Bretagne. Est-ce que cette poussée du RN ne reflète pas également les déçus du Macronisme, notamment hors de Paris ?

En 2018, Emmanuel Macron était venu prononcer un discours à Quimper. Il nous avait annoncé qu’il voulait s’inspirer de la Bretagne pour la France. Il nous avait parlé de la force des territoires, de capacités d’initiatives, de la pleine confiance qu’il avait en nous.

L’individualisme sape notre cohésion et notre envie de vivre ensemble

Mais derrière, qu’a-t-on eu ? Des décisions très centralisées. Si, à chaque fois que j’ai un problème, que soit sur l’île d’Ouessant, dans le centre de la Bretagne ou à Fougères, je dois attendre que le président ou un ministre lise le texto pour avoir une réponse, même pour répondre à des situations simples… On marche sur la tête. Ce n’est pas ça la République agile, qui répond aux attentes concrètes des citoyens. La République, ce n’est pas seulement un président de la République et un gouvernement. Ce sont aussi tous les élus de la République, les différentes assemblées. Un conseil municipal, un maire, est tout aussi noble qu’un président de région ou un ministre. Et il va peut-être falloir qu’on l’entende.

Cette coupure entre Paris et le reste du pays s’est-elle aggravée ces sept dernières années ?

Je vais vous prendre un exemple. Cela fait désormais sept ans qu’Emmanuel Macron a été élu. Pas une seule fois le président de la République n’a réuni l’ensemble des 18 présidents de région de l’Hexagone et d’outre-mer. Nous avons été reçus par les Premiers ministres, c’est vrai. Mais du temps des présidents précédents, jusqu’à Jacques Chirac, les présidents de région étaient reçus à l’Elysée. C’est symptomatique d’un Etat central qui a peur de ses territoires. Mais on a peur de quoi ?

Tout cela n’est pas anodin. Car cet hypercentralisme démobilise les capacités d’initiatives locales. Cela déresponsabilise, puisqu’il y a toujours Paris qui va gérer. Alors pourquoi prendre les décisions difficiles ? Pourquoi assumer les choses, puisque Paris prend tout le temps la main ? Cette verticalité enlève la responsabilité locale. Sauf qu’en conséquence, nous n’avons pas les outils pour répondre à la détresse et à l’exaspération des citoyens. Moi, on me demande de régler les sujets de climat, de mobilité, de logement avec un cure-dent et une pince à épiler. Ça ne fonctionne pas ! Cette République crève de son centralisme, comme le montre ce net coup d’arrêt qui est donné par nos concitoyens. Et il va falloir réinventer autre chose. Et la France a besoin de coopération et d’horizontalité. Et ça, ce sont bien sûr tous les élus de la République, mais aussi la société civile, les associations, les chefs d’entreprise. C’est toutes ces hommes et toutes ces femmes engagées qui font la France.

La tradition “démocrate-chrétienne” bretonne avait longtemps été perçue comme une forme de rempart à la montée de l’extrême droite. Que s’est-il passé pour que se produise une telle bascule ?

Il y a tout d’abord l’individualisme, qui sape notre cohésion et notre envie de vivre ensemble. L’un des combats que je mène, avec d’autres, c’est me battre contre ce combo “plaid-canapé-Netflix”. Qui fait que vous êtes bien, dans votre cocon, mais qui ne suffit pas pour se réaliser. Il faut continuer à avoir envie de l’autre, en renforçant nos associations, le dialogue dans les quartiers ou dans les bourgs. Il faut trouver des manières d’engager les gens, pas que dans leurs métiers, mais aussi dans leur vie sociale et citoyenne. C’est un vrai combat qui, en Bretagne, est encore présent. Un peu abîmé, certes, mais tout n’est pas perdu. Nous continuons d’avoir une singularité sur cet aspect-là.

Le deuxième point réside à mes yeux dans les sept années que nous venons de passer. De cette force centrale, qui met en œuvre ce centralisme, et qui nie les nuances. En Bretagne, depuis longtemps, nous avions une opposition entre les démocrates-chrétiens et les sociaux-démocrates. Deux formes de modérations, qui ont furieusement ancré en elles des convictions, des utopies.

Je ne mettrai jamais de signe d’équivalence entre La France insoumise et le Rassemblement national

Nous avions toujours réussi à gérer nos alternances, qui sont saines dans la République. Or, le président de la République a conçu une forme de force centrale qui absorbe tout, comme un trou noir. Mais si on met tous les raisonnables, tous les compétents, tous les experts ensemble, que reste-t-il ? Les extrêmes. C’est ce que l’on observe aujourd’hui : une droite disloquée, une gauche abîmée. Et il reste des forces radicales qui s’expriment puissamment, jusque dans notre Bretagne.

Vous aviez fait le choix de quitter le PS en 2022 après l’accord de la Nupes, en raison de la présence de La France insoumise. Cette fois-ci, vous avez fait le choix de rejoindre la dynamique du Nouveau Front populaire. Pourquoi ce changement de position ?

J’avais en effet fait le choix de quitter le PS après la Nupes. Ma ligne politique, ce n’est pas de chercher à prendre le pouvoir en brutalisant le pays ou en cultivant le chaos. Je pense que nous avons besoin de sérénité, de calme, y compris dans nos utopies, car les citoyens veulent être rassurés. Mais je ne mettrai jamais de signe d’équivalence entre La France insoumise et le Rassemblement national. Je fais la différence entre les militants de LFI, les sympathisants et électeurs qui croient en ses valeurs tout en étant Républicains, et quelques personnalités qui utilisent des relents de haine, de brutalisation, de tensions dans la société et qui ont des expressions et attitudes qui les placent hors du champ républicain, sur des lignes antisémites inquiétantes. Et de l’autre côté, le RN, qui structurellement, dans son ADN, est le parti du racisme et de l’antisémitisme. Ce sont eux qui comptent trier nos concitoyens entre les Français “purs”, les Français qui ont la double nationalité…

Or face à la décision du président de la République de dissoudre, il fallait opposer un autre espoir, une autre envie, une autre solution au RN. C’est là que s’est mise en œuvre la dynamique nécessaire de l’alliance des gauches. Et bien entendu que je devais en être, tout en rappelant mes lignes rouges. Car l’urgence, c’est aujourd’hui que le Rassemblement national n’obtienne pas la majorité absolue à l’Assemblée.

On a assisté à travers la France à une vague de désistements afin de contrer l’élection de députés RN. La Bretagne n’y échappe pas. Pensez-vous que ce “barrage républicain” tiendra dans votre région ?

Je consacre l’entièreté de mon temps à empêcher l’arrivée d’un député du Rassemblement national en Bretagne. J’y mets toute mon énergie, en appelant toutes les forces politiques du spectre républicain en Bretagne, notamment pour que les désistements s’opèrent partout. Je m’adresse à des élus de droite, de gauche. Mais aussi des élus de La France insoumise qui, pour beaucoup d’entre eux ici, sont tout à fait responsables. A des élus écologistes qui, dans mon hémicycle, trouvent parfois que je ne suis pas assez engagé. Tous ces hommes et ces femmes, je discute avec eux parce qu’il y a péril, et que la Bretagne peut montrer le chemin à suivre pour le pays.

Je ne m’autorise pas le désespoir. Je suis un élu de la République qui travaille l’enthousiasme. L’enthousiasme ça se communique, ça se renouvelle, et ça produit des effets pour nos concitoyens. Même ceux qui sont dans l’inquiétude et la difficulté, et il y en a beaucoup. Si on leur montre qu’on a de l’ambition, et qu’on travaille sérieusement, alors on pourra emmener tout le monde. Ce sera notre défi demain pour le pays. On ne peut pas attendre l’homme ou la femme providentielle. Il n’y aura pas de super-héros qui arrivera et réglera tous les soucis. Il faudra une ambition et un projet collectif. Notre état d’esprit à nous Bretons, c’est la ténacité, le courage et le respect des règles. C’est à la base de la reconquête de notre ambition collective dans ce pays. Et on va y arriver, j’en suis certain.