Luc Gwiazdzinski : “Le Covid a modifié notre rapport à la nuit”

Luc Gwiazdzinski : “Le Covid a modifié notre rapport à la nuit”

L’Express : Les Français vivent-ils de plus en plus la nuit ?

Luc Gwiazdzinski (1) : Sur la longue durée, la réponse est “oui”. Pendant des millénaires, la nuit était simplement le temps du repos social. Les choses ont vraiment commencé à changer au XIXe siècle, avec la société industrielle. Depuis, ce phénomène s’est accentué car les activités de loisirs se sont à leur tour étendues. Et c’est logique : désormais, nous bénéficions à tout moment de la lumière, les urbains sont de plus en plus nombreux et le temps de travail s’est réduit.

Qu’en est-il à l’étranger ?

La conquête de la nuit est un phénomène mondial, mais elle diffère selon la latitude, le développement économique et les cultures. En Europe, des villes comme Barcelone ou Istanbul vivent en grande partie la nuit. En Afrique, c’est plus difficile, notamment parce que l’électricité n’est pas encore présente partout. En Scandinavie, l’ambiance n’est pas du tout la même à Helsinki l’hiver et l’été, quand il fait jour quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre !

Le Covid a-t-il modifié notre rapport à la nuit ? Incontestablement. D’un côté, le retour des couvre-feux nous a permis de mesurer la valeur d’un apéritif pris le soir entre amis. A l’inverse, nous avons redécouvert le calme et nous sommes rendu compte de l’impact de nos modes de vie sur les ressources naturelles et sur les dépenses énergétiques. La nuit est à la fois noire et blanche, selon la définition des verbicrucistes.

Les élus locaux ont-ils pris conscience de ces enjeux ?

Oui. De plus en plus de municipalités ont créé des instances de gouvernance spécifiques. Une cinquantaine de villes dans le monde comptent même des “maires de la nuit” et des “conseils de la nuit” – dont Paris, Bordeaux, Lyon, La Rochelle, Quimper… Et cela a des effets concrets. Les transports en commun circulent plus tard, les horaires des piscines et des bibliothèques sont décalés, des gérants de bar insonorisent leurs locaux. On peut regretter les conflits entre “la ville qui dort” et “la ville qui s’amuse”, mais rien ne sert de faire l’autruche. Mieux vaut coconstruire des solutions intelligentes et définir ensemble “jusqu’où ne pas aller”.

(1) Géographe, professeur à l’ENSA Toulouse, auteur de La nuit, dernière frontière de la ville (Editions de l’Aube) et coauteur avec Christian Graff de Rythmes et flux à l’épreuve des territoires (Editions Rhuthmos).