Macron et la dissolution : une autodestruction nationale et européenne, par Marion Van Renterghem

Macron et la dissolution : une autodestruction nationale et européenne, par Marion Van Renterghem

Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’au soir des élections européennes les plus importantes de l’Histoire le plus européen des présidents français ait engagé l’avenir de l’Europe par la moins européenne des décisions. Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de ­l’Assemblée nationale sans prévenir ses partenaires européens, qui figurent parmi les premiers concernés et qui en seront peut-être les premières victimes.

A 20 heures le 9 juin, le soulagement l’emportait encore sur l’inquiétude. La vague nationale-populiste avait gagné du terrain, mais le raz-de-marée europhobe n’avait pas eu lieu. La France détenait le record des scores de l’extrême droite, l’Allemagne n’était pas en reste, et le gouvernement allemand d’Olaf Scholz subissait lui aussi une défaite sévère. Le nouveau Parlement européen restait néanmoins stable, chahuté sans être bouleversé, ­toujours dominé par la coalition des chrétiens-démocrates, des sociaux-démocrates et des libéraux. De 20 h 59 à 21 h 04 le même soir, le discours télévisé du président Macron agissait comme une bombe. Les autres résultats étaient soufflés.

A Bruxelles comme dans les capitales des Etats, l’inquiétude ou la colère s’expriment derrière la politesse publique. Les premiers sondages pronostiquent le dévissage du parti présidentiel et une future Assemblée au mieux ingouvernable, au pire aux mains du Rassemblement national. Personne n’accuse le président français d’une montée de l’extrême droite dont le phénomène est commun à toute l’Europe, jusqu’aux Etats-Unis. Chacun se veut compréhensif envers une “clarification” visant à mobiliser en vingt jours un front républicain, ou sinon à bloquer l’entrée du RN à l’Elysée en démontrant sa nullité à Matignon. Mais le pari macronien d’une dissolution anticipée, au plus mauvais moment et à laquelle il n’était aucunement contraint, accable.

Danger existentiel pour l’UE

Dans le pire contexte géopolitique, quel était l’intérêt de provoquer des élections express ne laissant pas le temps de faire campagne, au lieu de batailler pour une vraie coalition à l’allemande comme les autres Européens ont appris à le faire ? Comment le dirigeant qui a su imposer le projet de souveraineté européenne peut-il prendre le risque de donner les clefs de la France à un parti d’extrême droite europhobe et pro-Poutine et de renforcer une extrême gauche qui ne l’est pas moins ? Comment l’artisan du grand emprunt post-Covid et d’un début de politique industrielle commune, en première ligne pour unifier les Européens face à Poutine, pour mobiliser le soutien à l’Ukraine et constituer l’indispensable Europe de la défense, comment le doyen de l’Union européenne peut-il la lâcher au nom d’un pari personnel insensé, dans un moment de guerre sur le continent et de phase critique du danger existentiel pour l’UE ? Comment celui qui martèle que “l’Europe est mortelle” peut-il jouer à lui porter un coup fatal ?

En quelques jours et avant même les résultats des élections, la France a déjà perdu de sa puissance dans l’UE, dans le monde et sur les marchés. Elle renvoie l’image d’un pays instable et imprévisible. Malgré la défaite du gouvernement Scholz, l’Allemagne voit se creuser le spread, l’écart de taux d’intérêt avec celui de la France, qui augmente à son profit de 0,7 % en une semaine. La parole d’Emmanuel Macron sur la souveraineté stratégique de l’Europe a perdu toute autorité alors que se jouent des moments clefs du soutien à l’Ukraine. Les deux nouveaux maîtres du jeu sont deux nationalistes : l’Italienne Giorgia Meloni, proeuropéenne et pro-Otan de circonstance, et le Hongrois Viktor Orban, proche de Trump et de Poutine, l’ami des ennemis de l’Europe. Par une sombre ironie de ­l’Histoire, la première est actuellement l’hôte du G7, et le second prendra en juillet la présidence tournante de l’UE.

La mortelle Europe a fait un pas vers le vide. La France affaiblie fragilise son unité, dont dépendent la souveraineté des Etats membres et la survie de leurs démocraties dans un monde de grandes puissances et face à l’impérialisme hégémonique de Poutine. Le coup de dés présidentiel de juin 2024 rappelle le référendum de juin 2016 sur le Brexit : un pari sans stratégie, une élection sans campagne, une autodestruction nationale et européenne. A nous de bloquer la dernière étape.

* Marion Van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du “Piège Nord Stream” (Arènes)