Macron et Scholz, deux vents contraires réunis par la guerre, par Marion Van Renterghem

Macron et Scholz, deux vents contraires réunis par la guerre, par Marion Van Renterghem

Si la guerre en Ukraine a illustré comme jamais les divergences entre la France et l’Allemagne, la même guerre contraint aussi les deux pays à réfléchir comme jamais à leur obligation de se rapprocher sur les thèmes qui les divisent le plus, en particulier la défense. Les rares et subtiles modulations du visage d’Olaf Scholz, opportunément surnommé “Scholzomat” tant il paraît dépourvu d’affect, peuvent servir de thermomètre d’ambiance.

Le 26 février à l’Elysée, à l’issue de la conférence de Paris où Emmanuel Macron avait annoncé sans concertation que l’envoi de “troupes au sol” occidentales en Ukraine n’était pas à exclure, la froideur cinglante de Scholzomat semblait avoir atteint un point de non-retour. Le 28 mai en Allemagne, en amont du conseil des ministres franco-allemands de Meseberg, c’était le contraire. Olaf regardait Emmanuel en souriant. Il paraissait presque enthousiaste.

Pourtant le président franchissait alors une étape importante en déclarant que les armes livrées par la France à l’Ukraine pourraient frapper des sites militaires sur le territoire russe. Le chancelier allemand est resté prudent, mais il a approuvé, sans même attendre l’annonce qu’a faite Joe Biden d’une décision similaire, trois jours plus tard.

S’il s’oppose toujours à la livraison à l’Ukraine des missiles Taurus, il a laissé ouverte la possibilité que des armes moins puissantes puissent cibler des sites en Russie. “Il faut le dire clairement : [l’Ukraine] est attaquée et peut se défendre”, a déclaré Olaf Scholz en invoquant “le droit international”. La France, cette fois, avait pris des pincettes pour le rassurer : “Il ne s’agit pas d’un changement de stratégie, mais d’une adaptation au mode d’agression russe”, indique une source élyséenne. Si le chancelier refuse d’envoyer des militaires en Ukraine, il ne s’est pas non plus opposé à ce que des instructeurs y soient dépêchés dans le cadre d’une coalition de pays menée par la France, qui y a déjà officieusement des forces spéciales.

Le président allemand a joué l’anti-Scholtz

Ce moment de la visite d’Emmanuel Macron en Allemagne marque une avancée de plus, non seulement dans l’aide à l’Ukraine, mais aussi dans l’apaisement d’un tandem franco-allemand dont la guerre a révélé les incompatibilités. La visite d’Etat qui a précédé le conseil des ministres de Meseberg, la première d’un président français en Allemagne depuis celle de Jacques Chirac en 2000, a remis de l’huile dans les rouages. Le président Frank-Walter Steinmeier a clairement joué l’anti-Scholz pour compenser l’image d’une Allemagne réticente à embrayer vers “l’autonomie stratégique” européenne chère au chef d’Etat français. Il a même remercié Emmanuel Macron pour ses “idées visionnaires”, celles qui ont le don d’exaspérer une Allemagne pacifiste où l’industrie prime sur la géopolitique : “Tu essaies de nous faire sortir de notre réserve.”

En matière de culture stratégique et de défense, principal enjeu du moment, les sujets de discorde et d’irritation restent profonds autour de trois axes : le budget commun, toujours, mais aussi la relation à l’Otan et la bataille du leadership pour la sécurité européenne. L’Allemagne d’après guerre, qui doit aux Etats-Unis son identité démocratique, sa réunification et sa défense, se méfie d’une “autonomie stratégique européenne” si elle minore l’Alliance atlantique. Sur cette divergence fondamentale se greffe une bataille de leadership, alors que l’Allemagne investit massivement dans une défense jadis inexistante, et que la France est devenue, depuis le Brexit, la seule puissance de l’Union européenne à disposer de la dissuasion nucléaire et d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Emmanuel Macron suggère d’étendre la dissuasion française à l’Europe, Olaf Scholz ne peut s’y fier et souhaite réfléchir à un leadership partagé.

Sur le socle de ce clivage fondamental, et de surcroît quand les dirigeants français et allemand ne s’entendent pas, la diplomatie ne peut marcher qu’à tout petits pas. Le manque d’avancées historiques, les irritations persistantes et les pannes à répétition du moteur franco-allemand n’excluent pas les étapes franchies, mesurées à coups de symboles, de signaux faibles, et avec un double objectif, lui clairement partagé : la défense commune européenne et le soutien à l’Ukraine “aussi longtemps que nécessaire” Bien peu, bien tard.

* Marion van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du “Piège Nord Stream” (Arènes)