Macron, le nouveau Louis XVI, a réussi ce qu’il voulait, par Jean Peyrelevade

Macron, le nouveau Louis XVI, a réussi ce qu’il voulait, par Jean Peyrelevade

Les démocraties sont particulièrement exposées au risque du populisme qui peut finir par les faire disparaître. On voit partout aujourd’hui la montée fort inquiétante de cette menace, aux Etats-Unis, en Europe et surtout en France. Pour quelles raisons ?

La réponse est assez simple, dans son principe. En démocratie, ce sont les citoyens qui votent. Ils portent donc, tout naturellement, sur la scène politique au moment des élections leurs revendications personnelles : qui ne voudrait gagner plus, être mieux protégé, payer des impôts réduits, travailler moins, partir plus tôt en retraite, payer moins cher essence, énergie, loyer et, en bref, voir son pouvoir d’achat s’améliorer ?

C’est normalement aux organisations politiques et sociales, au sens large du terme (partis politiques, élus locaux, parlementaires, personnalités gouvernementales, syndicats, autorités indépendantes, experts), à analyser ces demandes, mesurer les conséquences dans la durée de telle ou telle politique et rappeler à tous que l’on ne peut distribuer que des richesses qui ont été réellement produites. Toute mesure prise en faveur des citoyens doit être financée, sous peine d’être illusoire. Ce travail de transformation est fondamental, avant toute prise de décision. Il n’y a pas de démocratie digne de ce nom sans ce débat et cette discipline collectifs. On ne peut pas répondre aux désirs des uns ou des autres sans un vrai travail de fond. Combien de Français savent-ils que notre productivité par tête a diminué depuis cinq ans d’environ 6 % ? Et l’on s’étonne de connaître une croissance trop molle pour répondre aux demandes ?

Or, le vrai travail politique a disparu avec les corps intermédiaires. Nous avons évolué de plus en plus vite vers la réinstitution d’une sorte de monarchie où le roi, seul à son sommet, multiplie des promesses immédiates qu’il est incapable de tenir et qu’il croit suffisantes pour assurer sa popularité. Le verbe remplace l’action. Faute évidente de résultats, le peuple déçu finit par ne plus exprimer qu’une colère croissante. Le populisme s’installe.

La France est particulièrement exposée à ce danger, pour des raisons institutionnelles. Emmanuel Macron n’est donc pas le seul responsable de cette tragique évolution. Mais il l’a de plus en plus fortement incarnée et, par sa décision personnelle, a décidé à lui tout seul de détruire brutalement le dernier espace où l’on pouvait peut-être espérer voir renaître un dialogue responsable et intelligent, l’Assemblée nationale.

Crime contre la démocratie

Dès l’origine de la Constitution de la Ve République, le général de Gaulle refuse l’idée d’un régime parlementaire et explique en termes à peine feutrés qu’il veut réinstaller la stabilité d’un pouvoir monarchique. Mais il avait heureusement prévu la présence de contre-pouvoirs : le Premier ministre qui dirige l’action du gouvernement, l’Assemblée nationale élue tous les cinq ans alors que le président peut réfléchir à plus long terme puisqu’il est élu pour sept ans, ce qui entraîne la possibilité de cohabitations, donc du “vivre-ensemble” en politique.

Le premier dérapage important a lieu en 1962 lorsque, par référendum, de Gaulle instaure l’élection au suffrage universel du président de la République : le peuple choisit directement son monarque. C’est ensuite l’adoption du quinquennat sous la double impulsion en l’an 2000 de Lionel Jospin et de Jacques Chirac qui aggrave le dérapage institutionnel : le Parlement est aux ordres de l’exécutif avant même de s’être réuni. Le législatif est soumis à l’exécutif, ce qui est une ineptie qui n’existe dans aucune vraie démocratie. Le temps politique est en même temps rythmé de périodes trop courtes pour le développement d’actions inscrites dans la durée.

Ainsi, un glissement irréversible de la totalité du pouvoir exécutif vers l’Elysée s’est progressivement produit, au détriment de Matignon et des Premiers ministres, qui ne sont plus que des “collaborateurs” du président. Mais cette transformation a été portée à son acmé, en toute lucidité, par Emmanuel Macron. Faut-il le citer ? En juillet 2015, il déclarait : “Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple n’a pas voulu la mort.” En octobre 2016, pour bien se faire comprendre, il ajoutait que la France avait besoin d’un président jupitérien.

Eh bien, grâce à la folie d’un pouvoir totalement verticalisé qui l’a poussé à commettre une sorte de crime contre la démocratie, le roi Emmanuel Macron, est à nouveau seul devant le peuple. La campagne électorale, qui peut donner la victoire à l’extrême droite, se déroule de manière nécessairement incompréhensible. Les programmes n’ont aucune importance : ceux du Rassemblement national d’un côté, du Nouveau Front populaire de l’autre, sont aussi inapplicables l’un que l’autre et contiennent une longue liste de promesses impossibles à réaliser : le succès électoral commande. Des armées d’économistes conduits par leur idéologie plus que par la rigueur intellectuelle multiplient leurs soutiens à des propositions qui relèvent de l’imaginaire. Quant à la majorité actuelle, déjà écrasée, elle continue à dire, comme pendant les sept dernières années : “Ayez confiance, votez pour nous et tous vos problèmes seront résolus”, alors qu’aucun des grands défis que nous avons à aborder pour améliorer la situation de tous les Français (dette publique, compétitivité de l’appareil productif, plan de rénovation thermique, recherche et développement, formation des jeunes, taux d’emploi global) n’a simplement été défini. Ne vous inquiétez pas, braves gens, il n’y aura pas d’augmentations d’impôts déclare sans cesse un ministre des Finances irresponsable.

Conclusion, le nouveau Louis XVI a réussi ce qu’il voulait : être seul devant le peuple. Le roi Macron va avoir le bonheur de faire revivre l’histoire dont il est nostalgique : dans l’ordre symbolique, le peuple va lui couper la tête.