Mandat d’arrêt demandé par la CPI : derrière Netanyahou, tout Israël sur le banc des accusés

Mandat d’arrêt demandé par la CPI : derrière Netanyahou, tout Israël sur le banc des accusés

En trente ans de carrière politique, Benyamin Netanyahou est devenu un habitué des procédures judiciaires, lui qui reste poursuivi dans trois affaires de corruption en Israël. Mais la claque infligée par la Cour pénale internationale (CPI), ce lundi 20 mai, s’annonce sans précédent : le procureur général Karim Khan réclame un mandat d’arrêt pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité possiblement commis lors de la guerre dans la bande de Gaza. Si ce mandat venait à aboutir, le Premier ministre israélien rejoindrait la sinistre bande de Vladimir Poutine et de l’ancien dictateur soudanais Omar El-Béchir.

Jusqu’au bout, Netanyahou a tout fait pour empêcher Karim Khan d’annoncer cette requête. Alors que ni Israël ni les Etats-Unis ne sont membres de la CPI, les administrations israéliennes et américaines ont multiplié les pressions afin de retarder cette décision, sous prétexte qu’elle mettrait en péril un éventuel accord de trêve avec le Hamas. Mais les dégâts étaient déjà là, après sept mois de guerre à Gaza et plus de 34 000 morts palestiniens : Netanyahou, en compagnie de plusieurs hauts dirigeants de l’Etat hébreu et du chef du Hamas Yahya Sinwar, se retrouve sur le banc des accusés, mis en cause dans les bombardements de civils et soupçonné d’avoir mis en place une stratégie délibérée de famine.

Les juges de la Cour pénale internationale vont à présent déterminer si les conditions sont réunies pour délivrer ces mandats d’arrêt réclamés par le procureur général. Une telle décision contre “Bibi” n’aurait rien de symbolique : il obligerait les 124 pays membres de la CPI à arrêter le Premier ministre israélien s’il se rend sur leur territoire. Fini donc les voyages diplomatiques à Paris ou Londres. Ce serait une première dans l’Histoire pour un dirigeant israélien et un revers massif pour Netanyahou, qui à chaque campagne électorale met en avant sa proximité avec les grands de ce monde.

Un Premier ministre impopulaire, mais élu légitimement

Mais les accusations du procureur général de la CPI vont bien au-delà de la personne du Premier ministre. C’est tout l’Etat hébreu qui se retrouve attaqué par cette procédure. Contrairement au cas russe, dans lequel Poutine est poursuivi à titre individuel pour sa guerre d’agression contre l’Ukraine et plus spécifiquement pour la déportation d’enfants ukrainiens, Israël reste une démocratie, même imparfaite, avec à sa tête un ensemble d’institutions et de personnalités politiques capables de prendre les décisions dans la conduite de la guerre à Gaza.

Netanyahou et ses alliés d’extrême droite sont arrivés légalement au pouvoir après les élections de novembre 2022 et un subtil jeu d’alliance politique. “Depuis des années, la trajectoire de la politique israélienne reste constante sur la question palestinienne, rappelle Hugh Lovatt, spécialiste du Moyen-Orient au European Council on Foreign Relations. Aucun parti juif israélien ne soutient vraiment une solution à deux Etats et même les centristes revendiquent de garder le contrôle sur la vallée du Jourdain et promettent de ne jamais diviser Jérusalem. Cet alignement politique reflète des changements de perception profonds du côté israélien, qui ont été poussés par Netanyahou mais ne se résument pas à lui.”

Si le Premier ministre atteint des records d’impopularité depuis le 7 octobre et doit encore affronter des manifestations monstres chaque samedi à Tel-Aviv et à Jérusalem, peu d’Israéliens remettent en cause la guerre menée dans la bande de Gaza. “Les manifestants défilent contre la personne de Netanyahou, mais pas contre les politiques qu’il met en place ni contre les idées qu’il représente, souligne Mairav Zonszein, spécialiste d’Israël au sein de l’International Crisis Group. Netanyahou est loin d’avoir l’exclusivité des torts de la politique israélienne.” Dans un sondage du Peace Index paru en janvier, 88 % des juifs israéliens jugeaient que le nombre de victimes palestiniennes était justifié. Sur leurs chaînes de télévision, les Israéliens voient rarement la souffrance des Gazaouis, quand les vidéos des civils pris en otage par le Hamas tournent en boucle.

Depuis le 7 octobre, un sentiment de revanche consume petit à petit une grande partie de la société israélienne. Fin novembre à Jérusalem, nous avions rencontré Gug Metzger, dont les deux parents étaient retenus en otages par le Hamas. Ce quadragénaire venait d’installer son campement devant le bureau de Netanyahou pour réclamer son départ et racontait d’une voix calme, sans colère, être “israélien, arabe, de gauche, pacifiste”. Bref, l’antithèse du pouvoir en place. Avant d’ajouter : “Mais selon moi, pour chaque Israélien tué le 7 octobre, dix Palestiniens doivent mourir. C’est le minimum.” Depuis, sa mère, arrivée du Yémen il y a plus de cinquante ans, a été relâchée par l’organisation terroriste, mais il reste sans nouvelle de son père de 80 ans…

Alors que l’armée israélienne prépare ce qu’elle décrit comme son ultime combat, à Rafah, dernier bastion du Hamas où sont réfugiés plus d’1,5 millions de civils palestiniens, l’État hébreu est en train de perdre une immense bataille. Celle de l’opinion mondiale.