Michel Barnier et les couacs gouvernementaux : de l’art délicat du recadrage

Michel Barnier et les couacs gouvernementaux : de l’art délicat du recadrage

Au temps béni de la majorité absolue. Qu’il était simple pour un Premier ministre de diriger son gouvernement, lui-même soutenu par une armée de députés dociles. Cela filait droit et mouftait peu ! Jean-Pierre Chevènement avait théorisé cette verticalité, propre à la Ve République. “Un ministre, ça ferme ça gueule ou ça démissionne.”

Mais c’était avant cette coalition gouvernementale précaire, où cohabitent des personnalités aux accointances idéologiques bien relatives. Où des ministres ne comptent pas sacrifier leurs idées au nom de la sacro-sainte solidarité gouvernementale. Pourquoi diable faudrait-il être solidaire de collègues qu’on défiera bientôt dans les urnes ? Pour Michel Barnier, le management va décidément être élevé au rang d’art.

Les premières leçons n’ont pas tardé. Celui qui demandait lundi à ses ouailles “d’agir plus que de communiquer” et éviter “l’esbroufe” n’a pas été vraiment écouté. Voilà le ministre de l’Economie Antoine Armand décrétant mardi sur France Inter son refus de recevoir le Rassemblement national à Bercy pour discuter des finances publiques. S’ensuit un coup de fil réglementaire de Michel Barnier au ministre, suivi d’un communiqué de rétropédalage de l’intéressé. Du classique. La suite sort de l’ordinaire. Plusieurs députés Ensemble pour la République (EPR) volent au secours d’Antoine Armand, coupable d’avoir rejeté le RN hors de l’arc républicain.

“L’autorité de Barnier sera remise en cause”

L’agacement vire à la fronde quand est révélé un coup de téléphone de Michel Barnier à Marine Le Pen pour calmer le jeu. Même des députés de l’aile droite haussent les sourcils face à une telle imprudence. “Le recadrage suffisait, il n’était pas obligé d’appeler Le Pen”, cingle une élue. “Avoir besoin de la rassurer, c’est choquant”, lâche un autre, pourtant critique envers la sortie du locataire de Bercy.

Et la Macronie inventa le recadrage du recadrage. Elle innove avec d’autant plus d’aisance qu’elle ne se sent guère liée par les déclarations du Premier ministre, simple choix d’Emmanuel Macron. Elle ne doit rien à cet homme, sa liberté de ton est totale. “De par la composition du gouvernement, l’autorité de Barnier sera remise en cause matin, midi et soir”, anticipe déjà un cadre Horizons.

Michel Barnier n’a pas la tâche facile. Le Premier ministre doit imposer son autorité, sous peine d’éroder sa propre légitimité. “Une question de survie”, note un conseiller ministériel. Mais il doit le faire avec doigté, au risque de mettre le feu à une maison en bois. La teinte idéologique de chaque recadrage est scrutée et peut agacer une frange de la coalition. Ainsi, le chef du gouvernement reste pour l’heure à distance de la passe d’armes opposant Bruno Retailleau à Didier Migaud. Le ministre LR de l’Intérieur cible déjà “l’inexécution des peines”, quand le garde des Sceaux, issu du Parti socialiste, lui rappelle le principe d’indépendance de la justice.

Dilution du recadrage

Jamais le pouvoir n’a été aussi dilué sous la Ve République. Cette dilution touche aussi l’exercice du recadrage. Voici la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher mettant en garde Bruno Retailleau sur une suppression de l’Aide médicale d’Etat, une mesure “pas acceptable”. Dans cet attelage baroque, chacun veut préserver sa pureté doctrinale et rester dans son couloir de nage. “Fermer sa gueule”, n’est-ce pas déjà acquiescer ?

Les députés sont aussi prêts à dégainer le martinet. Le patron du groupe EPR à l’Assemblée Gabriel Attal souhaite que les ministres EPR se rendent désormais aux réunions hebdomadaires du groupe. Laurent Wauquiez réclame au gouvernement une “rupture” avec les années écoulées. “Ce gouvernement tient sa légitimité de son assise parlementaire. Si elle est outrepassée, il perd sa légitimité”, note un député EPR. L’autorité s’exerce aussi du bas vers le haut. Un Premier ministre à l’autorité fragile, des députés quasi donneurs d’ordres… Entre Matignon et le Palais Bourbon, bientôt des cours collectifs de management ?

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