Montres : non, la Suisse n’a pas inventé l’horlogerie mécanique

Montres : non, la Suisse n’a pas inventé l’horlogerie mécanique

“La Suisse n’a pas fondé l’horlogerie mécanique”, rappelle Pascal Ravessoud, vice-président de la Fondation de la Haute Horlogerie (FHH). En déplacement à Paris pour présenter les activités de la FHH Academy autour de l’éducation et de la connaissance horlogères, l’équipe genevoise de la FHH a posé pour L’Express le cadre du contexte historique. “Les débuts de l’horlogerie mécanique en Europe datent du XIIIe siècle, avec l’essor des horloges monumentales. On en trouve de premières traces en France, mais aussi en Italie, en Allemagne et dans tous les pays européens dotés d’un pouvoir stable.” Emmanuel Schneider, directeur du contenu à la FHH, ajoute : “Nous ne connaissons ni le berceau ni l’inventeur de l’horloge mécanique à poids moteur, ancêtre de l’horlogerie mécanique contemporaine.”

Et la Suisse, dans tout cela ? Pour comprendre le rôle qu’elle occupe aujourd’hui dans ce secteur, il faut remonter au milieu du XVIe siècle. A cette époque, la Réforme de Jean Calvin bannit les objets d’apparat, notamment les bijoux, qui étaient alors largement fabriqués en Suisse. Les joailliers se retrouvent au chômage technique. Parallèlement, un grand nombre de protestants, persécutés en Europe, viennent se réfugier sur place. La conjonction de ces deux événements va favoriser le développement de l’horlogerie locale. “A l’époque, les échanges et le partage des différentes techniques étaient courants. Surtout, les horlogers voyageaient beaucoup, raconte Pascal Ravessoud. Il y avait alors une certaine perméabilité des frontières.”

Aurélie Streit, vice-présidente de la FHH, complète le tableau en évoquant la France, “un pays historiquement grand producteur d’horlogerie, notamment dans l’Arc jurassien et à Paris.” De nos jours, les montres tricolores ont plus que jamais le vent en poupe et capitalisent sur leur passé. De nouvelles marques naissent chaque année et celles qui ont choisi de miser sur des mouvements conçus et assemblés dans l’Hexagone mettent l’accent sur cette spécificité nationale, à laquelle les amateurs se montrent de plus en plus sensibles.

Il en va de même dans d’autres pays européens, qui ont aussi contribué à écrire une partie de cette histoire. Ainsi, la Grande-Bretagne représente l’un des berceaux de l’horlogerie, surtout grâce à la chronométrie marine, qui a permis l’établissement de la longitude en mer, une invention de John Harrison. “Cette technique n’est arrivée que plusieurs décennies plus tard sur le continent car les Britanniques l’ont tenue secrète, afin de la réserver à leur marine, fait remarquer Pascal Ravessoud. En effet, qui maîtrise la mer maîtrise le monde”.

Comme les autres grands Etats européens, l’Allemagne est une terre horlogère depuis très longtemps. Emmanuel Schneider rappelle que notre voisin a commencé par développer une industrie de la pendule dès le XVIIe siècle, dans le massif montagneux de la Forêt-Noire. Les XVIIIe et XIXe siècles voient l’essor des horloges à coucou, spécialités de cette région. En 1845, les premiers horlogers s’installent à Glashütte, petite cité au sud de Dresde. Ferdinand Adolph Lange y fonde A. Lange & Söhne, marque qui verra son activité interrompue par la Seconde Guerre mondiale et la nationalisation des biens par le régime de la RDA, comme ce fut aussi le cas pour l’autre manufacture de la ville, Glashütte Original.

A. Lange & Söhne

Dans l’Europe du Sud, l’histoire horlogère de l’Espagne connaît aussi son lot de savants et de princes intéressés par l’horlogerie mécanique, explique l’équipe de la FHH. Sans doute moins bien lotie par rapport à d’autres nations, l’Espagne compte cependant quelques horlogers d’exception et une marque populaire, Festina, établie à Barcelone pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle appartient depuis quarante ans au groupe Festina Lotus.

Du côté de l’Italie, les racines sont, de longue date, ancrées dans le territoire. Emmanuel Schneider estime que des artistes, scientifiques et humanistes comme Léonard de Vinci, Galilée ou encore Filippo Brunelleschi ont fait avancer l’horlogerie dans la Botte. Il raconte aussi comment Giovanni Panerai a fondé en 1860 une boutique qui vendait des montres suisses et fabriquait en parallèle des composants de mesure. Equipementier de la marine, Panerai livrait d’abord des outils de plongée. Par la suite, au début du XXe siècle, la marque est devenue fournisseur officiel de la marine royale italienne. “Panerai n’a commercialisé aucune montre avant de se lancer sur le marché civil en 1993”, fait-il remarquer.

Au-delà des frontières européennes, s’il y a un pays profondément attaché à la fabrication des montres depuis cent ans, c’est bien le Japon, souvent considéré comme le grand concurrent de la Suisse. Les marques nippones couvrent différentes gammes de prix : de Seiko à Grand Seiko, en passant par Citizen ou Casio. A propos de l’Empire du Soleil Levant, Pascal Ravessoud évoque “une certaine fierté liée aux garde-temps made in Japan à partir de la Seconde Guerre mondiale”.

Grand Seiko

En 1969, ces fabricants, notamment Seiko, mettent à mal l’horlogerie traditionnelle européenne avec leurs montres à quartz. La grande compétition se jouait alors sur la précision. Or, le quartz était imbattable sur ce point. “Ce fut un véritable changement de paradigme, raconte le vice-président de la FHH. Seiko reste aujourd’hui une marque qui se focalise sur la précision, aussi bien dans ses mouvements mécaniques qu’à quartz.” Et chez Grand Seiko, il décrit “un temps infini consacré à régler les machines pour atteindre la perfection dans la fabrication des composants”. Une exigence qu’il rapproche de celle des horlogers suisses.