Nexans, le Français qui se rêve en champion des câbles sous-marins

Nexans, le Français qui se rêve en champion des câbles sous-marins

L’anecdote pourrait figurer dans le petit livre des savoirs inutiles. Quelle entreprise possède les deux plus grandes tours de Norvège ? Le français Nexans (ex-Alcatel Câbles). Cocorico ! 153 mètres pour la plus haute, dont la construction s’est récemment achevée. Ce qui en fait le premier gratte-ciel du pays nordique, vante le géant des câbles électriques. Elle relègue au deuxième rang son aîné, copie quasi similaire vue de l’extérieur, une trentaine de mètres de moins, qui régnait jusqu’alors seule sur les environs de Halden, non loin de la frontière suédoise, à cent kilomètres au sud d’Oslo. Dans ces coquilles grises érigées entre fjord et forêts, nul bureau, étage ou salle de conférence. Du vide, ou presque. Seulement un laboratoire au sommet et deux tuyaux, un montant et un descendant, contenant un même câble électrique sur lequel sont apposées trois couches de polymères isolants. Ces tours d’extrusion sont essentielles dans la fabrication d’un câble sous-marin afin de garantir la protection de la partie conductrice, et donc la bonne qualité de ce passeur de dizaines de milliers de volts.

Pour décarboner l’économie et lutter contre le changement climatique, la planète doit s’électrifier. “On rentre dans une époque digne des Trente Glorieuses. Il nous faut repenser et reconstruire tous les réseaux électriques. Ce qu’il s’est passé pour les télécoms, avec plus d’un million de kilomètres de fibre optique dans les fonds marins, se reproduit pour l’énergie. Dans ce domaine, on est en train de bâtir l’équivalent d’Internet”, résume Christopher Guérin, le directeur général de Nexans.

La société française rêve de devenir le n°1 mondial de l’électrification, avec une spécialisation particulière dans les câbles sous-marins haute tension, incontournables pour raccorder les parcs éoliens en mer ou pour connecter les réseaux électriques de deux nations. L’entreprise se donne les moyens de ses ambitions, avec l’extension de 34 000 mètres carrés de son usine norvégienne, chiffrée à 290 millions d’euros, et l’investissement de 300 millions d’euros dans un nouveau navire câblier – son troisième -, qui devrait être opérationnel en 2026.

“Ils peuvent se permettre de choisir leurs clients”

Le groupe possède, en plus de celle de Halden, deux autres usines à Charleston (Etats-Unis) et en baie de Tokyo (Japon). Mais le doublement des capacités de production de sa fabrique historique est bienvenu, tant les tensions grandissent ces dernières années sur l’approvisionnement des câbles. Nexans, l’italien Prysmian et le danois NKT, les leaders du secteur, représentent entre 70 et 80 % du marché mondial. Les trois câbliers réunis affichaient, en 2019, un carnet de commandes d’environ 5 milliards d’euros. “Aujourd’hui, c’est 33 milliards”, pointe Christopher Guérin. Le volume de production augmente, mais moins vite que la demande. Résultat : les délais s’allongent. “On est rempli jusqu’en 2028”, note Vincent Dessale, le directeur des opérations de Nexans, qui a déjà enregistré pour 7 milliards d’euros de commandes, “à 98 % pour des projets sous-marins”.

“On signe maintenant des contrats pour des projets livrés après 2030. Le rapport avec ces câbliers, qui souffraient avant 2020, a complètement changé. Ils peuvent maintenant se permettre de choisir leurs clients”, constate Gilles Etheimer, le directeur des achats chez RTE, le gestionnaire du réseau électrique français. Une opportunité pour quelques acteurs chinois qui tapent à la porte, espérant concurrencer les champions européens ? “On n’est pas très ouverts”, poursuit Gilles Etheimer. “Il existe encore un écart technique et de savoir-faire, mais on va rapidement les voir arriver”, prévient toutefois Vincent Dessale, chez Nexans.

Dans son usine de câbles sous-marins haute tension à Halden, en Norvège, l’entreprise française Nexans peut produire des câbles allant jusqu’à 150 kilomètres de long et pesant près de 10 000 tonnes.

Afin de garder l’avantage, le français s’est fixé un cap clair : faire mieux avec moins. Fini la diversification. L’entreprise a opéré pendant le Covid-19 une sélection drastique : elle se concentre désormais sur quatre secteurs d’activité, au lieu de 34, tout en ayant réduit de 17 000 à 4 000 son portefeuille de clients. Une vision stratégique resserrée autour de “l’électrification du monde”, dont le filon des câbles sous-marins.

Dans l’usine norvégienne de Halden, qui a intégré de nouvelles technologies de production, ils sont fabriqués au terme d’un méticuleux processus. Les bobines de cuivre et d’aluminium s’évident en continu pendant qu’un automate enchevêtre les fils aux dimensions voulues pour former un conducteur. Au fur et à mesure de sa progression serpentine dans l’immense hangar, le câble en devenir est recouvert de nombreuses couches isolantes. La fabrication dure plusieurs semaines et le câble, dont une seule section peut mesurer jusqu’à 150 kilomètres et peser 10 000 tonnes, est ensuite stocké sur une immense table pouvant supporter le poids de la tour Eiffel. Charge aux imposants navires câbliers, qui peuvent accéder aux docks de l’usine grâce aux eaux profondes du fjord, de les poser, les joindre ou les réparer au fond des mers.

Ces maillons sont aussi invisibles qu’essentiels. A lui seul, Nexans compte plus de 443 projets d’interconnexion sous-marine, soit plus de 10 000 kilomètres de câbles – la distance entre Paris et Manille (Philippines). Un seuil qui sera vite dépassé lorsque l’entreprise aura livré, d’ici à 2026, le Celtic Interconnector, ce projet colossal qui doit lier les réseaux électriques français et irlandais grâce à une liaison sous-marine de 500 kilomètres. Le géant câblier a également connecté à la terre 42 parcs éoliens offshore, dont celui de Saint-Brieuc. Il s’occupera bientôt de ceux de Dieppe Le Tréport et… de New York. “La ville va être alimentée en énergie verte grâce à nous”, se félicite Christopher Guérin. Double cocorico !