Nicolas Schmit : “L’UE a sauvé des millions d’emplois mais les citoyens ne le savent pas”

Nicolas Schmit : “L’UE a sauvé des millions d’emplois mais les citoyens ne le savent pas”

Alors que les partis eurosceptiques risquent de faire une percée spectaculaire au sein du prochain Parlement, les pro-européens ont du mal à convaincre l’opinion publique des bienfaits de l’Europe. Pour le Commissaire européen chargé de l’emploi, des questions sociales et de l’insertion, Nicolas Schmit, l’UE souffre d’abord d’un manque de communication. Pour celui qui est également chef de file du Parti socialiste européen (PSE) aux élections, et principal opposant à Ursula von der Leyen pour la présidence de la Commission européenne, la souveraineté européenne n’est pas synonyme d’abolition de la souveraineté des Etats.

L’Express : Comment expliquez-vous la montée dans les sondages des parties populistes et d’extrême droite quasiment partout sur le continent ?

Nicolas Schmit : Nous sommes, comme rarement dans l’histoire contemporaine, victimes à la fois d’une succession et d’un empilement de crises depuis une vingtaine d’années. Cette polycrise a miné la social-démocratie. Commençons par la crise financière de 2008, métamorphosée en crise sociale et économique. Puis est survenue la pandémie de Covid, la guerre en Ukraine et enfin, la crise énergétique. Nous vivons donc dans un climat d’incertitude et d’instabilité qui désoriente les populations. Or, ces sentiments sont utilisés par l’extrême droite pour alimenter la peur. Tout naturellement, les peuples se tournent vers ceux qui n’ont jamais exercé le pouvoir avec ce réflexe “pourquoi pas eux, après tout…”.

Par ailleurs, je pense que les politiques libérales dans certains pays ont grevé le pouvoir d’achat et laminé les services publics. Et, là encore, la réponse des citoyens est la même : “les responsables de droite, de gauche ou du centre sont responsables, essayons les autres !”. Dernière explication : le problème migratoire. Nous avons mal géré cette question. Et plus spécifiquement l’insertion des jeunes de la deuxième génération, mais aussi et surtout de la troisième. Une insertion réussie se fait par des politiques actives de logement, des politiques éducatives. Reconnaissons-le, nous avons échoué sur ces sujets.

Vous êtes depuis cinq ans Commissaire à l’emploi, aux affaires sociales et à l’insertion. L’Union européenne a fait beaucoup pour l’emploi, notamment avec le financement du chômage partiel pendant la pandémie. Et pourtant, vous et l’institution que vous représentez n’arrivez pas à capitaliser sur cette réussite…

C’est vrai : l’Europe n’apparaît pas derrière ces projets. Sans doute, souffrons-nous d’un problème de communication ! Les citoyens ne savent que l’UE a permis de sauver des dizaines de millions d’emplois pendant la pandémie en donnant les moyens financiers à beaucoup de pays de mettre en place un système de chômage partiel très généreux. Tout cela grâce au programme SURE qui est le premier emprunt en commun de l’Union européenne, avant même le grand plan de relance de 750 milliards d’euros. C’est un peu la même chose en ce qui concerne la directive sur le salaire minimum. Evidemment, en France, où le Smic existe depuis des décennies, cette directive est assez invisible. Donc, oui, nous avons un problème de communication mais les médias, qui surpondèrent les mauvaises nouvelles ou braquent systématiquement le projecteur sur ce qui ne fonctionne pas, ont aussi leur part de responsabilité.

La bataille de la souveraineté – stratégique, industrielle, alimentaire – sera-t-elle la grande bataille de la future Commission ?

Oui évidemment ! Car nous vivons dans un contexte économique et géopolitique où l’Europe risque d’être reléguée en deuxième, voire en troisième division. Nous n’avons qu’une seule solution : mettre davantage de choses ensemble, en matière de technologie, d’industrie de la défense. La notion de souveraineté européenne ne veut pas dire l’abolition de la souveraineté des Etats. Cela veut dire mettre en commun, partager un ensemble de domaines. Elle est là, la vraie différence entre les pro-européens et ceux qui défendent bec et ongles un nationalisme à contre-courant de l’histoire. Leur projet n’est pas de consolider ni de réparer une Europe, certes imparfaite, mais de la démanteler. C’est pour cela qu’ils sont aussi dangereux. Et c’est pour cela que le combat contre l’extrême droite est aussi important.

Justement, quand on parle de “faire ensemble”, Emmanuel Macron défend le lancement d’un nouveau grand emprunt européen pour financer la construction d’une défense européenne. Est-ce audible par certains grands pays, au premier rang desquels l’Allemagne, quand on sait que les 27 ne se sont toujours pas mis d’accord sur les modalités de remboursement du précédent emprunt ?

Trouver de nouvelles ressources financières pour rembourser le précédent grand emprunt est l’une des premières missions auxquelles devra s’attacher la prochaine Commission. C’est vrai que cela fait près de quatre ans que nous travaillons dessus, sans résultat. Mais les Etats-membres sont parfois contradictoires. Ils s’entendent à Bruxelles sur un schéma ou une proposition et puis les refusent quand nous entrons dans les détails. Prenez le cas de la directive sur la taxe sur les transactions financières, elle est bloquée depuis des années. Si l’UE lance un nouveau grand emprunt en commun, ce ne sont pas les Etats qui pourront le rembourser. Il y a donc urgence pour l’Union européenne à trouver des nouvelles ressources.

Et sur le volet social, quelle doit être la priorité de la prochaine Commission ?

La première, c’est d’abord de veiller strictement à la stricte transposition dans chaque pays de ce qui a été voté à Bruxelles. C’est le cas notamment de la directive encadrant le travail sur les plateformes ou celle sur le salaire minimum. Deuxièmement, l’Europe doit se pencher sur la qualité des services publics. Leur revalorisation et leur renforcement sont cruciaux. Car le manque d’investissement de ces dernières années explique pour partie aussi la montée de l’extrême droite.