Nouvelle-Calédonie : les leçons d’une faillite d’Etat, par Nicolas Bouzou

Nouvelle-Calédonie : les leçons d’une faillite d’Etat, par Nicolas Bouzou

Tout à nos difficultés politiques et financières, bien réelles, nous oublions qu’un territoire français a sombré il y a déjà quatre mois dans une violence endémique qui empêche la levée d’un couvre-feu. La Nouvelle-Calédonie est en proie à des pénuries de médicaments, de nourriture et de carburant. La visite présidentielle au début des émeutes du mois de mai n’a absolument rien changé à la situation. L’équivalent de 15 % du PIB calédonien a été détruit par les violences. Concrètement, un grand nombre de bureaux, d’usines et de commerces ont été brûlés, et pas seulement à Nouméa.

Comme pendant le Covid, pour éviter une faillite économique générale, l’Etat distribue des aides et finance du chômage partiel. Nous en sommes déjà à 400 millions d’euros. Mais il y a une différence entre le “quoi qu’il en coûte” de 2020 et le “quoi qu’il en coûte” calédonien. Le premier était une réponse, dispendieuse mais rationnelle, à l’expansion d’un virus en provenance de Chine. Le second est la conséquence de l’incapacité de l’Etat à faire régner l’ordre dans l’un de ses territoires. Cette fois, la France est responsable de ce qui arrive. Alors même que nous cherchons à faire des économies à tous les étages, l’Etat distribue des centaines de millions d’euros parce qu’il échoue à assurer ses fonctions régaliennes élémentaires. Ubuesque et navrant.

Un potentiel écologique et géopolitique

Faut-il tirer des enseignements généraux du drame calédonien sur la situation de nos territoires ultramarins ? Sans doute, mais en comprenant que ces derniers pourraient constituer, pour notre pays, de magnifiques atouts économiques, écologiques et géopolitiques si l’on traitait leurs habitants en adultes et non pas en assistés. Grâce à ces bouts de France, nous sommes présents en Amérique du Nord, dans les Caraïbes et dans les océans Atlantique, Pacifique et Indien.

J’écris ces lignes de Guadeloupe, où je suis venu donner des conférences et rencontrer des entreprises. L’économie locale est un Janus. D’un côté, l’île connaît une situation sociale dégradée, particulièrement visible dans les rues de Pointe-à-Pitre. Plus d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pas loin d’un quart des jeunes ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. Des “neets” selon l’acronyme anglo-saxon – not in Education, Employment or Training. Les coupures d’eau sont légion car le réseau est mal entretenu. Les prix de l’alimentation sont 50 % plus élevés qu’en métropole en raison du manque de concurrence dans la distribution et de l’absurde taxe sur l’octroi de mer qui frappe les importations pour financer les collectivités locales. Quant au personnel politique, il semble peu passionné par le développement économique.

Mais la Guadeloupe, c’est aussi un écosystème de start-up étonnant. J’ai rencontré ces jeunes gens qui bravent la bureaucratie et l’insularité pour entreprendre, dans les énergies renouvelables, l’économie circulaire, le covoiturage, la livraison de produits de santé ou le recyclage des sargasses, ces algues brunes venues du Brésil qui prolifèrent à cause du dérèglement climatique et viennent s’échouer sur les plages antillaises, générant un sulfure d’hydrogène nauséabond voire dangereux pour la santé.

L’entrepreneuriat, une planche de salut

Cette jeunesse entreprenante, soutenue par les banques, n’est pas celle qui caillasse la police ou monte des barrages au prétexte de la vie chère. Elle n’attend pas de la métropole qu’elle la plaigne, ni même qu’elle la couvre d’argent public. En revanche, elle aimerait bien, pour le bon fonctionnement de ces entreprises naissantes, que les services publics fonctionnent et que les jeunes soient formés. Idéalement, il serait bon que notre diplomatie s’active aussi pour multiplier les accords de coopération économique, non pas avec des pays situés à des milliers de kilomètres, mais avec ceux d’Amérique du Sud et des Caraïbes.

On en revient toujours au même point. En outre-mer comme en métropole, c’est l’entrepreneuriat qui fait la croissance, et la croissance qui permet la solidarité. Le rôle de l’Etat est de faire régner la sécurité. Le reste est optionnel. Voilà quelques idées simples mais qui devraient guider la remise en ordre de notre sphère publique. Sinon, me faisait remarquer un dirigeant d’entreprise antillais, le pire adviendra : le scénario calédonien.

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