Nucléaire : pourquoi l’armée aimerait se doter de ses propres centrales

Pendant que la France se demande si elle construira 6 ou 14 EPR dans le futur, les militaires, eux, lorgnent de plus en plus des petits réacteurs nucléaires pour alimenter leurs bases. Dans les couloirs d’Eurosatory, le salon international consacré à la défense et à la sécurité, nombre de généraux, équipementiers ou analystes évoquent le sujet. D’autant que les Etats-Unis ont décidé de franchir le pas. “Le département de la Défense américain pousse le dossier depuis plusieurs années déjà, et un premier petit réacteur situé dans une base de l’US Air Force devrait bientôt être mis en service”, glisse Ryan Duncan, directeur des relations avec les gouvernements chez Last Energy, une start-up qui propose des mini-centrales clef en main.

Les Etats-Unis ont retenu les leçons de l’histoire. En décembre 1941, les Japonais n’ont pas réussi à détruire les sites de stockage de carburant et les pétroliers de la flotte américaine. Leur perte aurait sans doute contraint la flotte du Pacifique à se retirer, n’ayant plus que quatre à cinq jours d’approvisionnement en carburant. “Cela aurait prolongé la guerre de deux ans”, déclarait l’amiral Chester Nimitz après le conflit.

100 millions de dollars l’unité

Aujourd’hui, la réglementation oblige les bases américaines à davantage de résilience. Si un incident coupe leur système principal d’alimentation en énergie, elles doivent être capables de fonctionner pendant 14 jours, grâce à des groupes électrogènes. Ce qui ne va pas sans poser quelques difficultés : dans les zones très éloignées comme l’île de Guam en plein Pacifique, il n’est pas facile de livrer les tonnes de carburant nécessaires. D’où le recours envisagé au nucléaire. “Cette technologie est éprouvée. Elle est capable de produire beaucoup d’énergie. Par ailleurs, toute la chaîne d’approvisionnement existe. Il n’y a pas besoin d’attendre plusieurs années pour la construire”, justifie Ryan Duncan.

Last Energy mise sur un petit réacteur de 20 mégawatts à eau pressurisée. Un système classique dont on a réduit la taille pour mieux répondre aux besoins d’une enceinte militaire. Cette installation ne coûte “que” 100 millions de dollars l’unité, bien moins que le prix d’un gros réacteur. Et il suffit de quatre mois pour la monter, après 20 mois de préfabrication en usine. C’est là toute l’innovation de la start-up américaine : le caractère modulaire ne s’applique pas uniquement au réacteur mais à toute la centrale. Celle-ci est constituée d’une quarantaine de blocs qui font tous la taille d’un conteneur standard. Il est donc très facile d’expédier l’ensemble dans n’importe quelle région du monde.

Des microréacteurs en kit

“Même si notre centrale est à moitié enterrée et que son réacteur est protégé par 500 tonnes de fonte, ce qui protège l’installation des crashs d’avions et des missiles, elle n’est pas prévue pour être située dans une zone de guerre”, précise toutefois Ryan Duncan. D’autres sociétés imaginent déjà des microréacteurs d’une puissance d’1 gigawatt, que l’on pourra livrer en camion, et monter – ou démonter – en quelques jours à peine. Il s’agit, là encore, d’une solution modulaire. Un premier démonstrateur, baptisé PELE, devrait être testé d’ici à la fin de l’année prochaine sur le sol américain.

Les critiques pleuvent déjà. Et si une attaque entraînait une fusion du cœur du réacteur ou éparpillait des fragments de combustible radioactif ? Pour les défenseurs du microréacteur PELE, ces inquiétudes sont prématurées. L’appareil n’en est qu’au stade du prototype. La plupart des mesures de protection seront extérieures au système lui-même et doivent encore être élaborées.

Cependant, l’avantage de PELE apparaît clairement lorsqu’on le compare au programme de reconversion de pétroliers en générateurs d’électricité mobiles durant la guerre du Vietnam, soulignent les militaires. A puissance comparable, l’ancienne solution nécessitait de gros navires et des millions de litres de carburant en réserve. Le microréacteur, lui, devrait tenir dans quatre conteneurs standards et être rechargé en combustible tous les trois ans.

“Une chose est sûre : que les clients viennent de l’armée ou du secteur civil, on pourra, d’ici une décennie, construire des petites centrales et des réacteurs nucléaires à la chaîne grâce à des giga-factories”, prédit Ryan Duncan. Last Energy table sur 10 000 ventes à terme. Comme si l’ère des gros réacteurs était définitivement révolue.