Orban, Meloni, et la voix brisée de la France en Europe, par Marion Van Renterghem

Orban, Meloni, et la voix brisée de la France en Europe, par Marion Van Renterghem

Depuis le 1er juillet, Viktor Orban est président du Conseil de l’Union européenne. Le plus anti-européen des dirigeants européens se retrouve le maître de cérémonie des 27 chefs d’Etat et de gouvernements à Bruxelles, ainsi que des réunions entre leurs ministres et leurs ambassadeurs. Celui qui se distingue parmi ses pairs en violant les règles de l’Etat de droit et en mettant son veto aux aides à l’Ukraine sera chargé de les aider à trouver des consensus… En dépit des apparences, ce n’est pas un gag, mais le simple fruit du hasard : ainsi en a décidé le calendrier des présidences tournantes de l’Union qui reviennent à tour de rôle à chacun des 27 Etats membres, le temps d’un semestre.

Orban président, c’est tout un symbole et le Premier ministre hongrois s’en empare avec une joie non dissimulée. En témoigne le slogan qu’il a choisi pour marquer le cap de ses priorités pour les six prochains mois : “Make Europe Great Again”. Ces quatre mots disent bien le double jeu de ce national-populiste, proche de Donald Trump et de Vladimir Poutine, à la fois membre de l’UE et de l’Otan et ami des ennemis de l’UE et de l’Otan. Derrière l’objectif hypocrite de faire peser l’Union sur la scène internationale, la formule est un clin d’œil à son ami Trump qui s’est fait élire en 2016 sur la promesse (empruntée à l’ex-président Ronald Reagan) du “Make America Great Again”. Les deux hommes, qui se sont reçus dans leurs résidences respectives, partagent quelques grandes lignes idéologiques : nationalisme, culte du chef, suprématisme blanc et chrétien, traditionalisme, démocratie “illibérale”, par la mise au pas des contre-pouvoirs et la mise en place de l’autocratie. Et une même détestation de “Bruxelles”.

Viktor Orban n’est plus un cas isolé en Europe. Son homologue nationaliste italienne Giorgia Meloni a triomphé aux élections. Elle se différencie d’Orban et Marine Le Pen par son opposition à Poutine mais partage leurs lignes trumpiennes, jusqu’à ses discours enflammés contre une UE qu’elle utilise. Elle s’est abstenue au Conseil lors du vote pour reconduire à la tête de la Commission la candidate PPE Ursula von der Leyen, laquelle comptait pourtant sur son appui. Elle a voté contre la nomination du Portugais Antonio Costa (S & D) au Conseil, et de l’Estonienne Kaja Kallas (Renew) à la tête de la diplomatie européenne. Les dirigeants de la coalition centrale des groupes chrétiens-démocrates (PPE), sociaux-démocrates (S & D) et libéraux (Renew) s’étaient entendus en amont pour la nomination de ces “top jobs” de l’UE. Grossière erreur, ils ont laissé à l’écart la Première ministre italienne avec une arrogance qu’elle n’oubliera pas. Viktor Orban a voté à l’identique au Conseil. Aucun des deux n’a fait de vague. Ils savent qu’ils ont le vent en poupe pour détricoter l’Union de l’intérieur.

Le spectre d’une France germanophobe et europhobe

Si, après le 7 juillet, la France se retrouve avec un gouvernement dirigé par le Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella, c’est la dynamique de l’Union européenne qui bascule, avec Meloni en patronne et Orban en base arrière de Poutine. En Allemagne, les dirigeants redoutent “une catastrophe” pour le moteur franco-allemand. Déjà, aujourd’hui, la voix de la France est affaiblie en Europe par l’imprévisibilité née d’une dissolution expresse et par la perspective de trois années sous gouvernance nationale-populiste, germanophobe et europhobe.

Le président de la République maintiendra sa place au Conseil de l’UE mais les membres du gouvernement siégeront dans les conseils de ministres (défense, affaires étrangères, écofin, etc.). La marge de manœuvre du chef de l’Etat, qui n’a pas la maîtrise du budget, sera limitée au moment le plus crucial de l’histoire de l’Union européenne, qui joue son existence en Ukraine. Quid de l’augmentation du fond pour la défense européenne ? Du grand emprunt finançant la réindustrialisation de l’UE ? De l’aide financière et militaire à l’Ukraine ? “Emmanuel Macron m’a dit que rien ne devrait changer”, a relaté le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Mais que vaut désormais la parole de la France ?

Le prochain sommet de l’Otan comptera parmi ses priorités le soutien à l’Ukraine sur le long terme. Il aura lieu à Washington du 9 au 11 juillet, dans la foulée des résultats des législatives en France. Emmanuel Macron s’y rendra avec retard, lendemain d’élection oblige. Avec quel ministre de la Défense ?