Palais de Tokyo : l’art au service de la propagande anti-israélienne, par Omar Youssef Souleimane

Palais de Tokyo : l’art au service de la propagande anti-israélienne, par Omar Youssef Souleimane

Dans l’histoire tumultueuse entre Israéliens et Palestiniens, certaines périodes ont apporté un espoir, comme l’année 1993, celle des accords d’Oslo et de la poignée de main entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. Ou 1978, année du traité historique de Camp David qui débouchera sur la paix entre Israël et l’Egypte en contrepartie du Sinaï. Au niveau artistique, Rita et le fusil, un poème de l’écrivain palestinien Mahmoud Darwich (1941-2008), est devenu un symbole de non-violence au Proche-Orient. Dans les années 1960, Darwich était alors amoureux d’une femme juive israélienne, mais il était pour eux impossible de continuer ensemble suite à la guerre des Six Jours.

En visitant “Passé inquiet” consacrée à la Palestine et autres luttes contre “l’impérialisme” au Palais de Tokyo (jusqu’à fin juin), on souhaiterait voir des photos de ces événements. Mais l’exposition, conçue par Kristine Khouri et Rasha Salti, chercheuses en histoire culturelle du Moyen-Orient, a déclenché une vive polémique suite à la démission de la collectionneuse d’art Sandra Hegedüs-Mulliez, mécène du Palais de Tokyo. En 2009, cette dernière avait fondé le Sam Art Projects, une fondation qui produit trois expositions par an, accompagnées d’un prix pour des artistes venant d’Amérique latine, d’Afrique ou du Proche-Orient. Elle dit avoir pris sa décision afin de ne pas participer à des “causes très orientées (wokisme, anti-capitalisme, pro-Palestine…)”. Pour Sandra Hegedüs-Mulliez, l’exposition “Passé inquiet” propose “sans mise en perspective, des points de vue biaisés et mensongers sur l’histoire de ce conflit, donnant la parole, sans contradiction, à des propos racistes, violents et antisémites”.

La démission de la collectionneuse lui a attiré des critiques. Le Monde a notamment publié une tribune de plusieurs personnalités, tels l’ancien ministre de la Culture Jack Lang ou le dramaturge Emmanuel Demarcy-Mota, défendant la liberté de programmation des institutions culturelles. “Je n’enlève la liberté de personne, simplement, je pratique la mienne. Ils ont le droit d’organiser ce qu’ils veulent comme expo, et j’ai le droit de ne pas être d’accord. C’est très important d’avoir une liberté des deux côtés. En m’agressant, ça conforte ma décision, ces gens ont une vérité à eux qui n’est pas discutable. Quand on questionne cette vérité, on est attaqué. Je dénonce l’impossibilité de dénoncer” nous répond aujourd’hui Sandra Hegedüs-Mulliez.

Manipulation historique

A l’entrée de l’exposition, on pense tomber sur les symboles traditionnels de la Palestine : keffieh, drapeaux, pastèque, branches d’olivier… Mais on découvre de nombreux photos et slogans de conflits qui n’ont rien à voir avec Gaza ou la Cisjordanie. Dans la pièce la plus grande, le Chili occupe une place importante avec des clichés de Salvador Allende (1908-1973), président socialiste renversé par Augusto Pinochet. Le mot “apartheid” est répété plusieurs fois sur les murs, en lien avec l’Afrique du Sud. On trouve aussi une photo de kalachnikov brandie par un poing de couleur rouge à côté du mot “révolution”.

Dans la présentation de l’exposition, les curatrices expliquent que celle-ci “retrace des histoires d’engagement d’artistes ainsi que quatre cas de musées solidaires du mouvement international anti-impérialiste des années 1960-1980.” Après avoir contemplé les différentes photographies, le visiteur peu au fait de l’histoire du Proche-Orient se dira qu’il est clair qu’Israël doit être considéré comme un pays impérialiste, colonialiste et raciste, contre lequel il est nécessaire pratiquer une résistance armée. Et qu’importe si le conflit israélo-palestinien n’a rien à voir avec l’Afrique du Sud ségrégationniste ou la sanglante dictature de Pinochet. Rappelons qu’Israël est une démocratie, la seule dans la région, qui a pour citoyens près de deux millions de Palestiniens. Le danger de ces comparaisons manipulatrices, c’est qu’elles incitent l’opinion publique à la haine contre Israël en jouant sur la culpabilité de l’Occident vis-à-vis de sa propre histoire coloniale ou impérialiste.

En n’évoquant nullement les conditions historiques qui ont mené à la création de l’Etat d’Israël en 1948, l’exposition ferme toutes les portes menant à une solution pour sortir de cette tragédie. Présenter Israël comme un pays “colonial”, c’est reprendre la propagande élaborée par les dictateurs arabes afin de désigner un “ennemi” étranger bien pratique pour dominer leur propre peuple, et justifier l’état d’urgence ou l’interdiction de la liberté d’expression.

Célébration de terroristes

Le thème de la maison occupe une place particulière dans l’exposition. On peut lire en arabe, sur plusieurs dessins adressés aux enfants : “la maison du Palestinien est en Palestine, comment il peut la récupérer ? Avec des armes.” Le discours victimaire omniprésent diabolise Israël et simplifie le conflit en le présentant comme une lutte entre les bons et les méchants. Le mot “Israël” est d’ailleurs absent dans cette exposition. Il est remplacé par “l’ennemi”. Seule une carte est affichée à plusieurs endroits avec pour unique légende : “Palestine.” Un texte en arabe parle en ces termes de Gaza : “Elle est connue durant son histoire pour sa résistante contre les croisades, les Anglais, et les sionistes.” Le texte cite plusieurs noms de “résistants”, comme Abou Youssef (alias Mohammed Youssef al-Najjar), membre du Fatah, mouvement de libération national de la Palestine. Celui-ci a organisé plusieurs attentats contre Israël, avant d’être assassiné par le Mossad en 1973, suite au massacre de Munich de 1972.

L’année 1978 est bien présente dans “Passé inquiet”. On voit des extraits de journaux et des photos sur l’exposition internationale d’art pour la Palestine, inaugurée à Beyrouth cette année-là. Juste à côté, une manifestation accompagnée par les mots “Contre la judaïsation de la Galilée”, avec des clichés de Yasser Arafat. A l’époque, le leader de l’Organisation de libération de Palestine (OLP) séjournait dans la capitale libanaise. La même année, son organisation commettait des dizaines d’attentats contre des civils israéliens, comme le massacre de la route côtière, qui a coûté la vie à 38 civils, dont 13 enfants. Plus tard, en 1982, Israël a envahi le sud du Liban, en réponse aux attaques lancées par les milices palestiniennes depuis ce territoire. Des Libanais chrétiens ont alors collaboré avec Israël, avant de devoir fuir leur pays suite au départ de Tsahal et de se réfugier dans l’Etat hébreu. Autant de détails absents d’une exposition qui privilégie le discours victimaire.

Si les points de vue résolument anti-israéliens relayés par ces tableaux ou photos faisaient partie d’une diversité artistique ou étaient simplement remis dans leur contexte historique, on pourrait comprendre la tenue d’une telle exposition. Mais celle-ci est en contradiction manifeste avec le mot des organisateurs qu’on peut lire à l’entrée : “les curatrices et le palais de Tokyo réaffirment leur solidarité avec toutes les populations victimes de cette tragédie, condamnent les actes terroristes du Hamas, l’antisémitisme, et appellent à un retour à la paix.”

Au lieu de montrer la complexité d’un conflit vieux de soixante-quinze ans et rappeler des moments qui ont pu unir Israéliens et Palestiniens afin de faire barrage à la barbarie, le Palais de Tokyo a choisi de servir la propagande anti-israélienne la plus primaire. Quand l’art se met au service de l’idéologie…

* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.