Parlement envahi, tirs à balles réelles : que se passe-t-il au Kenya ?

Parlement envahi, tirs à balles réelles : que se passe-t-il au Kenya ?

Partout au Kenya, des manifestants s’opposent depuis plus d’une semaine à un projet de nouvelles taxes du gouvernement. Mardi 25 juin, des milliers de personnes étaient rassemblées à Nairobi, la capitale, dans le cadre de ce mouvement inédit mené par la jeunesse et baptisé “Occupy Parliament”.

Mais la manifestation a viré au chaos après que des manifestants ont forcé les barrages de police et pénétré dans le Parlement, où est actuellement débattu le projet de taxes, situé dans le quartier d’affaires de la capitale kényane. La police a tiré à balles réelles, tuant au moins cinq personnes et faisant au moins 31 blessées, ont annoncé dans un communiqué plusieurs ONG dont Amnesty Kenya.

Le Parlement envahi, au moins 5 morts et des blessés

Après quelques dizaines de minutes, la police a repris le contrôle de l’enceinte du Parlement. Des images de la télévision montraient des salles saccagées, tables renversées, fenêtres brisées et du mobilier fumant jonchant des jardins. Des journalistes de l’AFP présents sur place ont vu trois personnes inanimées, gisant dans des mares de sang, aux abords du Parlement, où un bâtiment a été brièvement en feu. Amnesty International Kenya évoque de “nombreux blessés”, tandis que l’ONG Commission kényane des droits humains (KHCR) a affirmé avoir vu la police “tirer sur quatre manifestants, […] tuant l’un d’entre eux”, dans un communiqué sur X.

Police have shot four protesters, as witnessed by KHRC, killing one. We strongly condemn the police killing. Such actions are unacceptable and constitute a grave violation of human rights. Justice and accountability are imperative. We will vigorously push for police… pic.twitter.com/3z9CEXUDPj

— KHRC (@thekhrc) June 25, 2024

“Au moins cinq personnes ont été tuées par balles alors qu’elles secouraient les blessés. Trente et une ont été blessées”, indique un autre communiqué de plusieurs ONG, dont Amnesty Kenya, qui ajoute avoir également relevé au cours des dernières 24 heures 21 cas d’enlèvements de personnes par des “officiers en uniforme ou en civil”.

“Malgré l’assurance du gouvernement du Kenya que le droit de réunion serait respecté, les observateurs des droits humains signalent le recours croissant aux balles réelles par la police nationale dans la capitale Nairobi”, avait déclaré un peu plus tôt dans la journée à l’AFP le directeur exécutif d’Amnesty International au Kenya, Irungu Houghton. “Il est maintenant urgent que les médecins puissent bénéficier d’un passage sûr pour soigner les nombreux blessés”, avait-il ajouté.

Trois camions de l’armée ont acheminé des renforts pour sécuriser les abords du Parlement, où des dizaines de manifestants faisaient face aux forces de police, ont constaté les journalistes de l’AFP. A quelques centaines de mètres du parlement, la police utilisait un canon à eau pour éteindre un incendie dans les bureaux du gouverneur de Nairobi, selon des images diffusées par la chaîne Citizen TV.

Une montée progressive des violences dans la journée

Les tensions sont montées progressivement au fil de la matinée, la police faisant usage de gaz lacrymogènes, puis de balles en caoutchouc. Les manifestants – majoritairement des jeunes venus avec drapeaux kényans, sifflets ou vuvuzelas et scandant “Nous sommes pacifiques” – se sont heurtés à un important dispositif policier déployé dans le centre d’affaires, barrant notamment l’accès au Parlement.

De premiers heurts ont éclaté vers la mi-journée après que des manifestants ont progressé dans une zone abritant plusieurs bâtiments officiels (Parlement, Cour Suprême, mairie de Nairobi…), avant que les manifestants ne parviennent à pénétrer dans l’enceinte du Parlement, où les députés venaient d’approuver des amendements au texte, qui doit être voté d’ici le 30 juin. Certains manifestants ont jeté des pierres en direction des forces de police, dans un face-à-face tendu à quelques centaines de mètres du Parlement.

D’autres manifestations se sont tenues pacifiquement, sans aucune opposition policière, dans plusieurs autres villes du pays, notamment dans les fiefs de l’opposition de Mombasa (est) et Kisumu (ouest), à Eldoret (ouest), grande ville de la vallée du Rift, région d’origine du président William Ruto, Nyeri (sud-ouest) et Nakuru (centre), selon des médias locaux.

Un mouvement lancé par la “Gen Z”

Largement pacifique, le mouvement baptisé “Occupy Parliament” (“Occuper le Parlement”) a été lancé sur les réseaux sociaux peu après la présentation au Parlement le 13 juin du projet de budget 2024-2025 prévoyant l’instauration de nouvelles taxes, dont une TVA de 16 % sur le pain et une taxe annuelle de 2,5 % sur les véhicules particuliers.

Le gouvernement avait annoncé le 18 juin retirer la plupart des mesures mais les manifestants ont poursuivi leur mouvement, demandant le retrait intégral du texte. Ils dénoncent un tour de passe-passe du gouvernement qui envisage de compenser le retrait de certaines mesures fiscales par d’autres, notamment une hausse de 50 % des taxes sur les carburants.

Initialement porté par la “Génération Z” (jeunes nés après 1997), le mouvement s’est transformé en une contestation plus large de la politique du président Ruto. Le chef de l’Etat s’est dit prêt à dialoguer avec la jeunesse dimanche.

Plusieurs morts et blessés depuis huit jours

Cette mobilisation a déjà été marquée par la mort de deux personnes à Nairobi. Plusieurs dizaines d’autres ont été blessées par la police, qui a également procédé à des centaines d’arrestations.

“Malgré des arrestations massives et des blessés, les manifestations ont continué à prendre de l’ampleur, soulignant le mécontentement généralisé de la population”, a souligné lundi dans un communiqué Amnesty International Kenya, mettant en garde contre un risque “d’escalade (qui) pourrait entraîner davantage de morts”.

Amnesty et l’ONG Commission kényane des droits de l’homme ont accusé les autorités de mener des enlèvements de militants. La porte-parole de la police, Resila Onyango, n’a pas donné suite aux sollicitations de l’AFP sur ces accusations.

Le pays est lourdement endetté

Le projet de budget doit être voté au Parlement avant le 30 juin. Pour le gouvernement, ces taxes sont nécessaires pour redonner des marges de manœuvre au pays, lourdement endetté.

Le Kenya, pays d’Afrique de l’Est d’environ 52 millions d’habitants, est une locomotive économique de la région. Mais le pays a enregistré en mai une inflation de 5,1 % sur un an, avec une hausse des prix des produits alimentaires et des carburants de respectivement 6,2 % et 7,8 %, selon la Banque centrale.