Philippe Grangeon, co-fondateur d’En Marche : “Placer le RN et LFI sur un pied d’égalité est dangereux”

Philippe Grangeon, co-fondateur d’En Marche : “Placer le RN et LFI sur un pied d’égalité est dangereux”

Parmi les amis d’Emmanuel Macron, il en est un qui occupe une place singulière. Parce qu’il l’accompagne dès les premières heures de son aventure politique, parce qu’il a l’expérience et le caractère qui offrent une liberté de parole, Philippe Grangeon est de ceux dont l’avis compte double pour le président de la République. Issu de la gauche, ancien conseiller de Nicole Notat à la CFDT, Grangeon a longtemps veillé à ce que le barycentre du macronisme ne penche pas trop à droite mais soit bien un “en même temps”. S’imposant un devoir de réserve depuis son départ de l’Elysée en 2020, soucieux de ne pas encombrer le chef de l’Etat, il prend aujourd’hui la parole pour réclamer que la majorité donne, “sans barguigner”, des consignes claires pour “éviter le pire”.

“Pour des consignes de vote claires au second tour des élections législatives”

Qu’on comprenne ou non la décision du président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale, l’ensemble des forces politiques du pays, mais aussi l’immense majorité des Français ont le sentiment de vivre, sidérés et inquiets, un moment décisif, un moment historique, où se jouent sans doute dans les urnes le destin et l’avenir de notre pays.

Ce dimanche 30 juin, lors du premier tour des élections législatives, les Français auront la possibilité de choisir entre trois principaux projets pour le pays. Ils pourront voter pour la majorité présidentielle, qui est la famille politique à laquelle j’ai la fierté d’appartenir. Ce bloc central, qui gouverne le pays depuis sept ans, se présente aujourd’hui devant les électeurs avec un bilan parfois contrasté mais néanmoins robuste dans de nombreux domaines, en particulier en matière économique et fort d’un engagement européen exemplaire.

Les Français pourront également faire le choix de l’union des gauches, baptisée pour la circonstance Nouveau Front populaire. Il faut reconnaître que cette coalition bancale sur le plan programmatique et au sein de laquelle subsistent de nombreux désaccords sur des sujets fondamentaux, s’est constituée dans l’urgence, afin de faire face au péril de l’extrême droite.

Les électeurs auront enfin le choix de voter pour le Rassemblement national et ses nouveaux alliés. Le Rassemblement National n’est pas une force politique comme les autres. Derrière le masque de la normalisation et de la banalisation, son identité sa doctrine et ses valeurs n’ont pas changé. Elles s’inscrivent dans le sillon historique de l’extrême droite française.

L’observation lucide et responsable du rapport de force politique conduit aujourd’hui, sur la base des résultats des élections européennes, à redouter le pire, avec la perspective d’une majorité absolue, sinon relative, obtenue par l’extrême droite le 7 juillet prochain. En clair, le Rassemblement national, avec ses dirigeants connus ou moins connus, pourrait gouverner notre pays. Cette victoire aurait des conséquences incalculables, tant au plan national qu’international. La victoire du Rassemblement national serait un signal catastrophique envoyé par la France à l’Europe et au monde. Cette victoire, surtout, inoculerait un poison lent dans le corps social de notre République, qui abîmerait nos valeurs fondamentales, la liberté, l’égalité et la fraternité.

Ce choix politique ambigu pourrait en effet, dans la dynamique actuelle, favoriser l’accession du Rassemblement national au pouvoir

Rarement un second tour des élections législatives a revêtu de si grands enjeux pour le pays.

La République est aujourd’hui en danger. Les consignes de vote qui seront données aux électeurs doivent être les plus claires possibles : tout faire pour limiter au maximum le nombre d’élus du Rassemblement national. Et je veux alerter ma famille politique contre la tentation périlleuse du “ni-ni” (ni RN, ni LFI). Ce choix politique ambigu pourrait en effet, dans la dynamique actuelle, favoriser l’accession du Rassemblement national au pouvoir. Placer l’extrême droite et La France Insoumise, qui n’est qu’une partie de la coalition du Nouveau Front populaire, sur un pied d’égalité, est dangereux. Alors que l’extrême droite est aujourd’hui aux portes du pouvoir, il est hautement improbable que La France Insoumise gouverne le pays dans quelques jours. Cette formation, dont je ne partage en aucune façon les idées radicales, les dérapages antisémites de certains responsables et l’outrance permanente, appartient à une coalition composée de socialistes, d’écologistes et de communistes, dont la grande majorité des responsables politiques sont des femmes et des hommes respectables.

Lorsqu’ils figureront dans des triangulaires où leur maintien pourrait avoir pour conséquence de faire gagner le candidat de l’extrême droite, ils devront se retirer

C’est pourquoi et sans barguigner, si nous voulons nous donner toutes les chances d’éviter le pire, la majorité doit donner des consignes claires. Dans les cas de figure où ses candidats ne seront pas qualifiés pour le second tour, ils devront appeler à voter pour les candidats qui s’opposeront au Rassemblement national. Lorsqu’ils figureront dans des triangulaires où leur maintien pourrait avoir pour conséquence de faire gagner le candidat de l’extrême droite, ils devront se retirer. Cette consigne de vote, qui rassemble tous les républicains, s’inscrit résolument dans la logique du dépassement qui était la promesse de la victoire à l’élection présidentielle de 2017. Et gardons aussi en mémoire qu’à deux reprises, en 2017 et en 2022, l’ensemble des forces politiques républicaines a appelé à voter en faveur d’Emmanuel Macron ou à faire barrage à Marine Le Pen.

Dans l’hypothèse, malheureusement vraisemblable, où la majorité présidentielle ne retrouvait pas une majorité absolue lui permettant d’être reconduite aux affaires, on peut aisément imaginer deux cas de figure.

Le scénario du pire : l’extrême droite obtient la majorité absolue à l’Assemblée nationale, nous entraînant alors dans une cohabitation et une République en grande tension. Les forces politiques d’opposition devront alors dialoguer et s’entendre lorsque cela sera possible, à l’Assemblée nationale et partout ailleurs, afin de s’opposer et de construire une alternative à un projet d’ostracisme, ruineux économiquement et profondément antieuropéen.

Il existe un autre scénario, avec aucun des trois blocs en situation de l’emporter franchement le 7 juillet. Il serait alors possible et souhaitable de former une coalition de femmes et d’hommes de bonne volonté pour gouverner le pays. Mais cette hypothèse repose sur une condition impérieuse : que la majorité présidentielle indique clairement à ses électeurs que l’adversaire politique principal au second tour est le Rassemblement national et l’extrême droite. Pour construire cette digue au second tour, la position de la majorité devra naturellement entraîner la réciprocité auprès des autres forces politiques du camp républicain.

En ces temps historiques et graves et à l’heure où le président de la République appelle à la clarification, la majorité présidentielle doit faire preuve de cohérence et désigner clairement son adversaire principal. Il en va de l’avenir de notre République.

Philippe Grangeon est cofondateur d’En Marche, dont il a été le délégué général. Il a également été conseiller spécial du président de la République Emmanuel Macron entre 2019 et 2020.