Pourquoi Rima Hassan n’a rien d’une “exilée”, par Omar Youssef Souleimane

Pourquoi Rima Hassan n’a rien d’une “exilée”, par Omar Youssef Souleimane

Être interdit de visiter la maison de son enfance, de voir ses amis ; vivre sous la menace d’un régime fasciste qui contrôle son pays d’origine ; souffrir de la difficulté de s’assimiler dans une nouvelle société, de s’adapter à de nouvelles traditions ; être privé de passeport ; passer son temps dans l’attente du retour, un jour, peut-être. Voilà ce que ça signifie être exilé. On utilise aussi les mots “réfugié” ou “migrant”. Mais peu importe le terme que l’on adopte, aucun d’entre eux ne convient à Rima Hassan (LFI) qui vient de faire son entrée au Parlement européen. Pourtant, la militante n’a cessé de se présenter comme une réfugiée palestinienne.

Depuis douze ans, je n’ai pas vu ma mère, ni personne d’autre de ma famille. Ils sont tous en Syrie. Avec le temps qui passe, la distance entre nous grandit. Durant mes premières années en France, je n’avais pas de passeport, je ne pouvais pas me déplacer en dehors de l’Union européenne. Finalement, j’ai obtenu la nationalité française en 2022. Cela a été une grande joie, mais en l’absence de ma mère, elle est restée incomplète. La naturalisation m’a permis de me déplacer partout dans le monde, sauf dans mon pays d’origine. Les opposants qui sont revenus en Syrie après avoir fui l’enfer de Bachar el-Assad ont fini par être assassinés, malgré les nombreuses promesses du régime. Mazen al-Hamada en est un exemple : ayant été torturé dans les abattoirs du parti Baas, il a témoigné dans les médias après avoir réussi à s’échapper de la Syrie. Depuis son retour à Damas en 2020, il a disparu. Moralité : ne jamais faire confiance à un dictateur. Cela m’oblige à être prudent chaque fois que je contacte un membre de ma famille : jamais de téléphone, les services de renseignement le surveillent. Mon père est mort il y a quatre ans. J’ai reçu la nouvelle par texto, sans pouvoir même échanger avec quelqu’un de ma famille. J’ai été obligé de vivre le deuil tout seul. Voilà le quotidien d’un exilé. Une souffrance incompréhensible pour celui qui ne l’a pas vécue. Nous les exilés savons que si nous rentrons un jour, nous ne reconnaîtrons plus notre pays natal, parce qu’il aura tellement changé, tout comme les gens qui y vivent. De ce point de vue-là, l’exil est une condamnation à vie.

“Droit de retourner”

Née à Neirab, dans la banlieue d’Alep, en 1992, Rima Hassan n’a rien vécu de tout ça. Neirab est l’un des plus petits “camps” pour les Palestiniens de Syrie. En vérité, ce sont des quartiers ou des villages, comme les autres. A l’âge de 9 ans, Rima Hassan est venue en France rejoindre sa mère. Elle a obtenu la nationalité française à l’âge de 18 ans, tout en gardant “le droit de retourner” en Palestine, la terre d’une partie de ses ancêtres. Ce droit est l’une des questions centrales du conflit palestino-israélien. Il a été consacré par l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1948. En Syrie, les Palestiniens n’obtiennent pas la nationalité syrienne afin de conserver ce “droit” comme forme de résistance à l’existence même d’Israël. Les Palestiniens en Europe peuvent être naturalisés en gardant leur statut de réfugié, ce qui n’est le cas d’aucun autre peuple fuyant son territoire lors d’une guerre. Sinon, les descendants des réfugiés vietnamiens vivant par exemple en France auraient le droit de revenir s’installer au Vietnam comme des Vietnamiens. Idem pour les descendants des exilés arméniens ou algériens.

Mais chez les Palestiniens, ce “droit” se transmet d’une génération à l’autre, alimentant le statut de “réfugié” mis en avant par Rima Hassan. Pourtant, non seulement elle a vécu en France plus longtemps qu’au Proche-Orient, mais elle n’a de surcroît jamais visité cette Palestine fantasmée. Le seul lien qui la lie à ce territoire, c’est celui de ses grands-parents paternels, qui ont quitté leur village suite à la Nakba en 1948, s’installant en Syrie. Cette Palestine n’est qu’une utopie sur laquelle la députée européenne LFI investit : “Au nom de quoi ne pourrais-je pas retourner dans le village de mes grands-parents ?” s’est-elle demandé dans l’émission C ce soir. En réalité, Hassan peut y retourner et y circuler grâce à son passeport européen, comme beaucoup de Palestiniens l’ont fait.

En mars, Hassan a réalisé un retour médiatisé à Neirab pour être “proche de son peuple”, comme elle l’a déclaré sur Al-Jazeera arabe. La candidate a confirmé avoir quitté la France parce qu’elle ne se sentait plus en sécurité après avoir reçu des menaces de mort pour son soutien à la cause palestinienne. Mais était-elle plus en sécurité dans son quartier de naissance contrôlé d’une main de fer par les services de renseignement d’Assad ? Comment a-t-elle pu rentrer en Syrie sans être importunée par la police, alors qu’elle est la fondatrice et présidente de l’Observatoire des camps de réfugiés en France ? C’est peut-être parce qu’elle n’a jamais condamné les exactions du pouvoir syrien contre les Palestiniens vivant sur son territoire. Entre 2011 et 2022, pas moins de 3075 Palestiniens opposants au régime ont été arrêtés, 98 venant de Neirab. Jusqu’à aujourd’hui, on ne sait pas ce qu’ils sont devenus. Cette question ne semble pas perturber Rima Hassan.

Discours victimaire contreproductif

Peu de temps après son retour en Syrie, elle s’est aussi rendue en toute sécurité en Jordanie. Puis la militante propalestienne est revenue en France pour rejoindre LFI comme candidate française aux élections européennes. Dans sa dernière interview pour Al-Jazeera, le 4 juin, elle a insisté sur le fait que la Palestine est “une cause européenne à cause des accords Sykes-Picot qui ont engagé la Grande-Bretagne et la France dans le mandat colonial. Ce qui a conduit à la division de la région et à la création d’Israël.” Ce sont les mêmes mots répétés par des régimes totalitaires au Proche-Orient, qui se maintiennent au pouvoir en alimentant cette thèse d’un supposé complot contre leur peuple. Rima Hassan ne veut pas d’une solution à deux Etats, pourtant adoptée par les Nations Unies, mais qui a été refusée par les Etats arabes en 1948, au moment de la création d’Israël. Sans ce conflit originel, on connaîtrait aujourd’hui sans doute un autre Proche-Orient, plus pacifique et prospère.

Affirmer que l’Europe est coupable de la guerre entre Israël et le Hamas, c’est comme dire que le Royaume-Uni est le responsable de la guerre civile en Irak, parce qu’il a occupé ce pays au début du XXe siècle. Si on suit cette logique, la guerre civile en Syrie est la faute de la France, et les batailles claniques en Libye celle de l’Italie. Ce discours victimaire s’avère parfaitement contreproductif.

Au Proche-Orient, se concentrer sur l’avenir est une véritable nécessité pour avancer. Vivre dans le passé afin de constituer un Etat “du fleuve à la mer”, comme le dit Rima Hassan, et réinstaller des “réfugiés” palestiniens qui n’ont jamais connu la Palestine, ce n’est que provoquer encore plus de sang et de catastrophes dans une région déjà suffisamment troublée.

* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.