Productivité : l’IA aura les vertus que nous voudrons bien lui donner, par Nicolas Bouzou

Productivité : l’IA aura les vertus que nous voudrons bien lui donner, par Nicolas Bouzou

Inflation, salaires, déficit public : l’intelligence artificielle générative (IAG), façon ChatGPT, pourrait, en théorie, tout régler. L’accélération des gains de productivité liée à l’utilisation de cette technologie aurait, en effet, des conséquences économiques et financières cruciales. En réduisant les coûts de production des entreprises, elle diminuerait l’inflation et les taux d’intérêt. En augmentant l’efficacité des travailleurs, elle revaloriserait leurs salaires. En améliorant la croissance économique et donc les recettes fiscales, elle résoudrait une grande partie de nos déficits publics.

Mais ce miracle adviendra-t-il ? Le débat sur le lien entre IAG et productivité vient de prendre un nouveau tour avec la publication, à la mi-mai, d’un article intitulé “The simple macroeconomics of IA”, écrit par l’un des professeurs d’économie les plus réputés au monde, Daron Acemoglu, actuellement en poste au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Ce texte a fait l’effet d’une douche froide pour les techno-optimistes – dont l’auteur de ces lignes. Résumons l’argument.

Acemoglu souligne que l’IAG peut générer des gains de productivité de deux façons : en automatisant complètement des tâches faciles ou en augmentant la productivité des humains pour les tâches complexes. D’après lui, le gain de productivité total serait néanmoins faible au bout du compte, de l’ordre de 0,5 % d’ici à dix ans, avec un impact nul sur la croissance du PIB. Pourquoi ce résultat si décevant ? Premièrement, les tâches facilement automatisables – vérifier l’identité d’une personne, résumer un texte, écrire un communiqué de presse… – sont en réalité peu nombreuses. Et les métiers monotâches, qui peuvent être totalement automatisés – on a beaucoup parlé ces dernières semaines des doubleurs de séries ou de films –, sont encore moins répandus.

Deuxièmement, l’adoption de l’IAG par les entreprises semble encore lente, notamment parce qu’elle entraîne des réorganisations complexes et coûteuses. Dans les faits, et en France notamment, le phénomène paraît plus rapide que ce que suggère Acemoglu, j’y reviendrai dans une prochaine chronique. Troisièmement, on ne sait pas si la libération du temps de travail permise par l’IAG sera réallouée à du travail productif. Elle peut l’être à des activités à faible valeur ajoutée, voire à du temps de loisir. Quatrièmement, l’IAG destinée à des tâches complexes – comme la vérification de la fiabilité d’une information – s’entraîne sur des données humaines, elles-mêmes hétérogènes et parfois fausses. Sa progression a donc tendance à plafonner.

De Patrick Sébastien à Baudelaire

L’article d’Acemoglu rassurera ceux qui craignent que la vitesse d’adoption de l’IA modifie le travail et les emplois à une vitesse incompatible avec la capacité d’adaptation de nos sociétés, ou qu’elle fasse exploser les inégalités. Néanmoins, il serait erroné d’y voir une victoire des techno-pessimistes. Déjà, l’IAG continue de progresser rapidement, comme en témoignent les écarts de performance spectaculaires entre les différentes versions de ChatGPT. Ensuite, cette analyse met en lumière un point essentiel : l’impact économique et social de l’IAG sera la conséquence des usages qu’en auront les utilisateurs et les entreprises.

Demander à ChatGPT de transformer une chanson de Patrick Sébastien en poème de Baudelaire est amusant, spectaculaire, mais destructeur de productivité par le temps perdu et l’énergie gaspillée. Quant à la fabrication et la propagation de fake news par ce biais, elles peuvent générer des coûts colossaux pour nos sociétés. A l’inverse, si les entreprises passent rapidement à l’IAG pour former leurs salariés, augmenter leurs compétences techniques ou linguistiques, les rendre plus productifs dans leurs tâches actuelles et redéployer le temps gagné vers l’action commerciale, le service client ou la recherche et le développement de nouveaux produits, cette révolution pourrait générer des gains de productivité massifs. Au bout du compte, c’est l’arbitrage entre une utilisation lente et irréfléchie d’un côté ou rapide et intelligente de l’autre qui fera la différence. Le choix est collectivement entre nos mains. Soyons adultes.