Productivité : quand les entreprises françaises investissent… sans en tirer les bénéfices

Productivité : quand les entreprises françaises investissent… sans en tirer les bénéfices

La productivité d’une économie, d’un secteur ou d’une entreprise est le meilleur indicateur de sa compétitivité et de sa capacité à faire croître son activité à long terme. On aurait pu penser qu’avec la massification de l’enseignement supérieur, la mondialisation des marchés de capitaux et la rapidité de la diffusion des technologies par Internet, la productivité allait converger. Il n’en est rien. Celle-ci présente de très forts écarts. Dans l’approche la plus simple, on mesure la productivité apparente du travail, obtenue comme le rapport entre la valeur ajoutée et la quantité de travail utilisée pour la générer, et la productivité apparente du capital, rapport entre la valeur ajoutée et la quantité de capital immobilisée pour la produire.

Le décrochage de la richesse produite entre l’Europe et les Etats-Unis tient principalement à un décrochage de la productivité par heure travaillée. Le sujet étant stratégique, le Conseil de l’Union européenne a recommandé en 2016 la création de conseils nationaux de la productivité dans chaque Etat membre de la zone euro. Le Conseil français de la productivité, présidé par Natacha Valla, remet chaque année un rapport sur l’évolution de celle-ci.

Parmi les pays développés, la France se singularise par une baisse de la productivité du travail. Depuis 2019, celle-ci a baissé de 8,5 % par rapport à sa tendance pré-Covid. Les créations d’emplois, liées au développement massif de l’apprentissage et à la rétention de main-d’œuvre dans certains secteurs, ont été en effet plus dynamiques que le PIB. En outre, l’emploi moins qualifié a progressé plus vite que l’emploi qualifié.

Chute de la productivité du capital en France

Mais peu de gens étudient la question de la productivité du capital. Or, celle-ci est en chute libre en France selon les statistiques de l’OCDE. Sur la dernière décennie, elle est à – 1,4 % par an, deuxième moins bonne performance après l’Autriche (- 1,6 %). Pourtant l’investissement en capital est bien orienté en France depuis l’an 2000 (+ 2,9 % par an), et bien supérieur à l’Allemagne (+ 1,7 %). Cela signifie que nos entreprises investissent sans en tirer les bénéfices, situation pire que de ne pas investir.

L’investissement en capital peut se diviser en quatre catégories : les bâtiments, les machines, les logiciels et la R & D. Dans les années 1990, 25 % de l’augmentation du capital en France était due aux investissements en logiciels et bases de données, puis 29 % dans les années 2000, 43 % dans les années 2010 et 61 % depuis 2020. On voit la formidable montée en puissance du logiciel, en écho à la célèbre phrase de Marc Andreessen “Software eats the world”, de 2011. A titre de comparaison, en Allemagne, le logiciel ne pèse que 14 % de l’augmentation du capital depuis 2020.

Cet écart s’explique en réalité par une mauvaise comptabilisation, chez nous, du logiciel. Le passage en SaaS, software as a service, fait que vous n’achetez plus le logiciel mais une licence d’utilisation. Autrement dit, ce n’est pas un investissement mais une charge, aussi appelée consommation intermédiaire. Or, nos entreprises sont de plus en plus consommatrices de SaaS, pour leurs logiciels de bureautique, leur outil de gestion client (CRM), leur outil de planification des ressources (ERP), leurs plateformes de réservation… Une récente révision statistique a fait chuter l’investissement en logiciels et bases de données – la formation de capital fixe, en jargon d’économiste – de 82 à 62 milliards d’euros par an. Sur la foi de ce nouveau calcul, la productivité française du capital serait donc un peu moins dramatique qu’annoncée.

Mais cette baisse de productivité tient aussi à une mauvaise conjonction entre travail et capital. On achète des machines ou des logiciels, mais du fait d’une main-d’œuvre moins qualifiée et d’une moindre flexibilité des organisations, on les utilise avec moins d’efficacité que nos voisins. Se doter d’un logiciel de reconnaissance automatisée des factures mais garder les mêmes équipes détruit de la productivité. N’oublions pas enfin que la dépendance de la France aux logiciels SaaS pose un autre problème : celui de la perte de valeur. Ces logiciels sont essentiellement vendus par des entreprises étrangères qui localisent leurs revenus hors de France. Le plus gros éditeur de logiciel allemand, SAP, réalise près de 5 milliards de revenus en Allemagne. Dassault, lui, n’en fait que 500 millions en France.