Protégé de Macron, rival de von der Leyen : Thierry Breton, les coulisses des tractations à Bruxelles

Protégé de Macron, rival de von der Leyen : Thierry Breton, les coulisses des tractations à Bruxelles

D’une fumée blanche à l’autre. Alors qu’Emmanuel Macron s’est enfin résolu à nommer un chef de gouvernement, tous les regards se tournent désormais vers Bruxelles. Mercredi 11 septembre, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, devrait dévoiler le casting du futur collège des 27 commissaires qui règnent sur la citadelle de Berlaymont. Qui, à quel poste et avec quel intitulé ? Un exercice de haute voltige où la géographie, la main des partis politiques, la masse critique des pays, le sexe et – parfois – les compétences des candidats proposés par les Etats membres s’entremêlent dans un équilibre infernal à trouver.

D’après nos informations, Thierry Breton, commissaire sortant chargé du Marché intérieur, devrait hériter d’un titre ronflant : vice-président exécutif chargé de l’Industrie et de l’Autonomie stratégique. Dans cette diplomatie européenne, chaque mot est pesé au trébuchet. “Vice-président”, un galon donc, pour celui qui n’était que commissaire lors de la précédente mandature. “Exécutif”, ensuite, une médaille supplémentaire pour Breton qui n’aime rien tant que s’affranchir de la hiérarchie. Le périmètre enfin, vaste, au cœur de l’agenda de la future Commission. Un champ labouré par le président français depuis des mois. “C’est la déclinaison de ce qu’Emmanuel Macron a présenté à ses partenaires européens lors du sommet de Versailles en mars 2022”, observe Valérie Hayer, la présidente du groupe Renew au Parlement européen. Renforcement de nos capacités de défense, souveraineté stratégique dans l’alimentation, les médicaments, l’énergie, les métaux critiques ou les semi-conducteurs, réorientation de la politique commerciale, régulation des grandes plateformes numériques…

Sauver les apparences

Pour l’Elysée, décrocher ce portefeuille serait une façon de limiter la perte d’influence de la France dans les instances européennes. La claque du camp présidentiel aux élections législatives de juin, le feuilleton politique de l’été et la dérive inquiétante des finances publiques ont clairement fragilisé la position tricolore. “A ces facteurs conjoncturels s’ajoutent des raisons plus structurelles, comme l’incapacité de la France à bâtir des coalitions avec les pays de l’Est et du sud de l’Union, observe Jérémie Gallon, avocat et spécialiste des questions européennes. En 2017, Macron incarnait la boîte à idées du futur de l’Union ; aujourd’hui il est isolé.” Dans ce contexte, une vice-présidence exécutive avec un champ d’intervention aussi large que l’autonomie stratégique permettrait à au chef de l’Etat français de sauver les apparences.

Reste la personnalité de Thierry Breton. Sa reconduction à Bruxelles n’a pas été un long fleuve tranquille. Certes, le bilan du commissaire sortant est plutôt positif. Son rôle au moment du Covid dans l’organisation industrielle et la montée en puissance de la production de vaccins sur le sol européen a été essentiel. Il a construit les fondations d’une industrie de défense européenne commune, en coordonnant la production et la livraison de munitions à l’Ukraine. Il s’est aussi attaqué aux méthodes de cow-boys des géants du Web en finalisant deux règlements européens – le Digital Markets Act et le Digital Services Act – qui limitent en partie leurs abus. Et il est le père de la première régulation européenne sur l’intelligence artificielle, certes très contestée par les pépites de l’IA.

Oui mais, derrière les batailles gagnées, l’homme et son ego, sa stratégie de bulldozer et son côté franc-tireur ont sérieusement agacé. “Que ce soit au Parlement européen, à la Commission ou dans les directions générales, il y a une fatigue Breton”, souffle un haut fonctionnaire. Symbole de cette exaspération, la relation entre Ursula von der Leyen et le Français a, au fil des années, tourné à la guerre de tranchées. Au point que la présidente de la Commission aurait menacé de poser son veto sur un possible retour de Breton.

“Breton s’est glissé dans un trou de souris”

Les torts sont partagés. La non-collégialité de von der Leyen a irrité Breton, qui en retour n’a eu de cesse, notamment pendant la campagne européenne, de noircir le bilan de l’Allemande. “A la fin du printemps dernier, Macron s’était presque résolu à ne pas reproposer l’ancien patron d’Atos comme futur commissaire français”, explique un fin connaisseur des questions européennes. Le nom d’Elisabeth Borne ou celui de Laurence Boone, l’ex-ministre déléguée chargée de l’Europe – circulent alors. Ceux de Clément Beaune, l’ex-ministre des Transports, et de Bruno Le Maire, le patron de Bercy – ce dernier aurait refusé le poste – sont aussi avancés.

Mais la dissolution du 9 juin et l’impasse politique au lendemain du second tour des élections législatives rebattent totalement les cartes. Trop compliqué pour Macron de trouver à la fois un Premier ministre et un commissaire européen. D’autant qu’au début de l’été, la gauche et le RN commencent à mettre leur grain de sel. Le 10 juillet, de passage à Bruxelles, Jean-Luc Mélenchon exige que le nom du représentant de la France à la Commission soit décidé par l’alliance du Nouveau Front populaire. “Il est de la prérogative du Premier ministre de nommer le commissaire européen”, renchérit aussitôt Marine Le Pen, sans qu’aucun texte juridique ne confirme ces prétentions. Pour clore la polémique naissante et reprendre la main, Emmanuel Macron propose officiellement, dans une lettre adressée le 25 juillet à Ursula von der Leyen, la reconduction de Thierry Breton au poste de commissaire. Un seul nom, donc, alors que la présidente de la Commission avait demandé à chaque Etat membre de lui soumettre deux candidats, une femme et un homme. “Breton s’est glissé dans un trou de souris pour conserver son poste”, observe un député européen.

Reste aujourd’hui à connaître l’étendue exacte de son pouvoir. Il y a le titre d’un côté et son champ réel d’action de l’autre. Lors de la précédente mandature, Margrethe Vestager, auréolée de son combat contre les Gafa, avait certes été propulsée vice-présidente de la Commission, mais elle avait été rapidement éclipsée, par Breton notamment. Aujourd’hui, la notion “d’autonomie stratégique” est suffisamment large et vague pour que certains commissaires se marchent sur les pieds. Dans un discours prononcé à Prague, le 30 août, Ursula von der Leyen a confirmé la création d’un commissaire à la Défense… poste que Breton s’était auto-attribué au printemps dernier. Dans la nouvelle organisation de la Commission, le vice-président Breton pourrait se retrouver flanqué d’un ou deux commissaires – à la Défense ou au Numérique. Une forme de mise sous surveillance par la patronne. “Il faut se méfier de l’illusion d’optique des titres ronflants. Ce n’est pas forcément un signe d’influence”, conclut un haut fonctionnaire européen.

Une influence diffuse

L’influence française, il faudra aussi la chercher du côté des directeurs généraux et même des chefs d’unités au sein de la Commission : “Ce sont eux qui rédigent réellement les règlements européens et leur rôle est extrêmement important”, poursuit Jérémie Gallon. Olivier Guersent, à la tête de la direction de la Concurrence, ou Stéphanie Rizo, à celle du Budget, resteront-ils en poste ? Tout comme Charles Fries, le secrétaire général adjoint du SEAE – le Service européen pour l’action extérieure -, cheville ouvrière de l’aide militaire et financière à l’Ukraine depuis le début de la guerre ? Alexandre Adam, le conseiller Europe d’Emmanuel Macron, devrait, lui, être nommé directeur adjoint du cabinet d’Ursula von der Leyen. Un bureau resté vacant depuis quasiment trois ans…

Pour Thierry Breton, la prochaine étape sera celle de l’audition et du vote au Parlement européen dans le courant du mois d’octobre. “Si de nouvelles révélations sortaient sur la débâcle du géant français Atos qu’il dirigeait avant d’être nommé à Bruxelles, certains députés européens pourraient se faire les dents sur lui”, redoute un parlementaire français. Un rejet du Parlement européen et ce serait le retour à la case départ, en France. Trop tard, le poste de Premier ministre est déjà pris…

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