Quoi qu’il se passe dimanche, il restera une République bordélisée et brutalisée, par Abnousse Shalmani

Quoi qu’il se passe dimanche, il restera une République bordélisée et brutalisée, par Abnousse Shalmani

A l’heure où j’écris ces lignes, les résultats du second tour des législatives ne sont pas encore connus. Nous sommes au cœur de la campagne et ce cœur est en ébullition. Peut-être que l’improvisation née d’une folle dissolution, le temps court de la campagne, la panique – intense, palpable, abrutissante –, le choix qui se rétrécit, l’attitude pour le moins déconnectée du président Folamour de la République, le brouillard en guise d’avenir, peut-être que tous ces ingrédients ont précipité le retournement des valeurs, l’autorisation d’insulter, de mépriser, de mentir, de se renier. Cette campagne a aussi été révélatrice de ce que l’on soupçonnait, de ce qui s’analysait pourtant déjà, de ce qui s’étalait sous nos yeux mais encore recouvert d’une chape d’espoir de réconciliation, de la possibilité, même infime, que cela puisse n’être qu’un temps intermédiaire : le temps de la brutalisation et de la bordelisation.

Après une première semaine de campagne où il était évident que la France insoumise se moquait des valeurs républicaines, où il était cohérent et moral de rejeter le vote LFI à la suite d’une campagne européenne où le conflit Israël-Hamas prenait toute la place, où soudain “le juif”, volontairement confondu avec non seulement l’Israélien mais aussi avec Netanyahou, prenait une place disproportionnée, une place de coupable idéal, une place dreyfusarde, la donne a pourtant changé après les résultats du 30 juin. Les républicains de gauche comme de droite ne votent pas LFI. Point barre. Ni le RN, ni LFI. Ça se tient politiquement et moralement. LFI a fait un choix politique, il est cohérent qu’il en paye le prix. Et ce prix était raisonnable, proportionné. Et puis soudain, en quelques heures, le barrage s’installe. Un barrage dorénavant à sens unique. Un barrage uniquement contre le RN. On se bouche le nez, mais on vote LFI contre le RN. On verra pour l’antisémitisme après. Après quoi ? Abandonner ne serait-ce que quelques jours la lutte contre l’antisémitisme au nom de la lutte contre le national-populisme, c’est donner un blanc-seing au racisme. L’Histoire nous l’a ô combien prouvé. On ne négocie ni avec les antisémites ni avec les racistes.

Barrage veut aussi dire engagement. On réclame de l’engagement sonnant et trébuchant. L’extrême-droite est sur le perron de Matignon, il ne s’agit plus de subtilités, c’est un luxe ! Les tribunes contradictoires succèdent aux tribunes à la con. Comment faire le tri ? Voter PS malgré l’accord signé avec LFI ? Voter Verts malgré le “je m’en fous” de Marine Tondelier face à Melenchon et l’antisémitisme ? Voter LFI quand même ? Après les sportifs, les rappeurs s’engagent avec un morceau composé contre le Rassemblement national. L’annonce a été faite sur les radios publiques, sans précaution. Avaient-ils déjà entendu l’entièreté de “No Pasaran” ? Avaient-ils lu les paroles ? Avaient-ils lu le complotisme, la référence à Kadyrov, la haine contre la France, les appels au meurtre, la misogynie décomplexée, la violence inouïe au tournant de chaque virgule ? Existe-t-il une meilleure réclame pour le RN ? En guise de défense du morceau engagé, on avance cette idée aussi ahurissante que paternaliste : c’est le vocabulaire des jeunes, ils comprennent quand on leur parle “comme ça”. Comme à de violents demeurés complotistes antisémites ?

Quelques heures plus tard, une vidéo d’Aymeric Lompret et celle qui était encore pour moi l’immense Blanche Gardin se diffuse sur les réseaux sociaux. Le 1er juillet, ils ont participé à un “sketch” lors de la soirée Voices for Gaza sur la scène de La Cigale, à Paris. Ce n’est pas de l’humour, c’est de l’antisémitisme militant, le Hamas applaudirait, lui qui n’a pas d’humour. D’ailleurs, au cas où le doute s’agiterait, la première phrase de Blanche Gardin est limpide : “Depuis le 7 octobre, je suis antisémite.” Ricanements de connivence dans la salle. Depuis le 7 octobre, les actes antisémites ont bondi de 1000 %. Gardin enchaîne sur une attaque dégueulasse contre Sophia Aram. Une attaque qui est comme un crachat à la face de la République dont l’humoriste – une vraie, elle – est l’enfant. Sophia Aram serait “islamophobe”. Sophia Aram islamophobe parce que capable de reconnaître les morts de Gaza et les pogroms du 7 octobre.

Je ne sais pas où sera la France en termes de sièges le 8 juillet. Mais la bordélisation et la brutalisation s’accrochent dorénavant aux basques de la République en l’abîmant sévèrement.