Recul des Verts au Parlement européen : “L’environnement a été dilué parmi d’autres priorités”

Recul des Verts au Parlement européen : “L’environnement a été dilué parmi d’autres priorités”

En 2019 les écologistes avaient créé la surprise en obtenant 13,5 % des voix au Parlement européen. Cinq ans plus tard, les partis verts de l’UE sortent des élections européennes en position de faiblesse. Leurs effectifs à Strasbourg chutent de près de 30 %, avec 52 députés, bien loin des 71 obtenus lors de la mandature précédente. En France, la déconvenue est majeure, la liste portée par Europe Ecologie – Les Verts ne pointe qu’à 5,5 % des votes. En Allemagne, les écologistes étaient le deuxième parti du pays lors des élections européennes de 2019, avec 20,5 % des suffrages. Cette fois, ils sont tombés à 11,9 %.

Alors que le mandat d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s’était ouvert par la mise en place d’un vaste plan de transition écologique – le Pacte vert, comprenant des mesures emblématiques comme la sortie des énergies fossiles, la fin de la vente des véhicules thermiques d’ici à 2035, ou la réduction des pesticides -, l’élan environnemental de l’Union européenne s’est essoufflé. L’épidémie de Covid, la guerre en Ukraine et la crise énergétique ont-elles eu raison de l’ambition verte du continent ? Attaquée par la droite et les partis populistes, la transition écologique “ne se suffit plus à elle-même”, mais les élus écologistes ont encore un rôle à jouer, explique Phuc-Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques de l’énergie européenne et française au sein du Centre Energie de l’Institut Jacques Delors.

L’Express : Alors que le mandat d’Ursula von der Leyen s’était ouvert sur les fortes ambitions environnementales de son Pacte vert, les politiques climatiques sont désormais contestées. Que s’est-il passé en cinq ans ?

Phuc-Vinh Nguyen : La question environnementale a été évidemment moins présente dans la campagne, en France mais aussi dans les autres Etats de l’Union Européenne, en raison de la dilution des priorités. La crise du Covid-19, puis la guerre en Ukraine et la colère des agriculteurs ont relégué ces sujets au second plan. L’environnement est resté une priorité dans les esprits, mais plus au même niveau qu’avant, bien derrière la sécurité, ou la question du pouvoir d’achat. En conséquence, le climat n’a pas été un déterminant du vote, comme cela avait été le cas en 2019, avec la forte mobilisation de la jeunesse.

In fine, cela doit nous questionner sur la manière dont le Pacte vert a été dépeint dans le paysage politique. Il y a eu, de la part des forces populistes notamment, beaucoup d’instrumentalisation, de récupération politique, dans une logique électorale. On l’a vu aux Pays-Bas, avec le mouvement des agriculteurs-citoyens et Geert Wilders. Cela a pu refroidir une partie des responsables politiques de porter haut ces questions environnementales. D’où cette incapacité de la part de ceux qui devaient défendre ce plan à imposer un contre-récit face aux forces de droite et d’extrême droite. Ce que l’on voit au fond, c’est que la transition écologique ne se suffit plus à elle-même, le narratif politique n’est plus suffisant, alors que les différents chocs de ces dernières années auraient pu être l’occasion de mettre en lumière les co-bénéfices qui sont apportés par la transition.

Est-ce que cela signifie que les écologistes seront amenés à jouer un rôle moins important à Strasbourg ?

Il ne faut pas se leurrer sur ce que représentait le poids politique des Verts au Parlement européen. Ils n’ont jamais réussi à être à l’initiative sur les sujets environnementaux. C’était une force d’appoint lorsque la grande coalition formée du Parti populaire européen (PPE), des sociaux-démocrates (S&D), et des libéraux de Renew ne se mettait pas d’accord sur les questions environnementales. Mais leur rôle le plus important pourrait se jouer, dans le mois qui vient, sur la nomination de la présidence de la Commission européenne. Là, ils ont la capacité d’être une force d’équilibre, pour éviter que la Commission européenne ne regarde trop sur sa droite, c’est-à-dire au-delà du PPE, pour sécuriser des voix.

En 2019, la nomination d’Ursula von der Leyen s’était jouée à neuf voix près, et les Verts n’avaient pas apporté leur soutien. Cette fois, leur intérêt doit être de participer à un accord de coalition avec le PPE, les sociaux-démocrates et Renew, une sorte de grande coalition élargie, qui verrait les Verts conditionner leur soutien à l’octroi de garantie vis-à-vis du Pacte vert européen. Le but serait que l’on ne revienne pas sur un certain nombre d’objectifs qui ont été décidés au cours de la mandature précédente. C’est, selon moi, la principale plus value que peuvent avoir les Verts vis-à-vis du Pacte vert. Parce qu’ils ne seront pas assez puissants numériquement parlant pour poser leurs conditions, mais qu’ils ont plus d’eurodéputés que le mouvement d’extrême droite Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, vers lequel Ursula von der Leyen était tentée d’aller chercher une majorité.

Alors que la préoccupation environnementale semble reléguée au second plan, et que le PPE sort gagnant de ces élections, est-il crédible de penser qu’Ursula von der Leyen cherche encore le soutien des écologistes ?

Oui, pour une raison : c’est qu’elle est pragmatique. Et qu’elle veut être réélue. Or, le Pacte vert, c’est elle qui l’a mis en place, en prenant acte des élections de 2019 et de ce mouvement de forte sensibilité sur les questions environnementales. Le Pacte vert représente donc son héritage politique, de la même manière que l’ancien président de la Commission Jean-Claude Juncker avait lancé un plan d’investissement qui a porté son nom. Elle a tout intérêt à faire en sorte de garder le Pacte vert européen vivant, et à continuer à le déployer sur le plan industriel.

Il reste donc de la place, politiquement parlant, pour des objectifs climatiques au sein de l’Union européenne ?

Oui, car le plan doit désormais être mis en œuvre au niveau national. C’est pour cela qu’il faut sécuriser les objectifs européens, les faire voter, pour donner de la visibilité aux Etats. Il est certain que dans un pays comme la France, où le risque de voir un Premier ministre Rassemblement national se profile, cette mise en œuvre va en pâtir. Le risque de ces élections législatives en France, c’est que les politiques amalgament le rejet d’une partie des normes environnementales, comme on l’a vu lors de la crise des agriculteurs, en un rejet plus général des politiques climatiques. Pourtant, quand on regarde les enquêtes d’opinion sur les priorités politiques exprimées par les Européens, on constate qu’il n’y a pas tant un rejet des ambitions climatiques ou environnementales qu’une dilution de cette priorité parmi d’autres.

La question qui se pose aujourd’hui, c’est comment réussir à concilier les temporalités de pouvoir d’achat et de lutte contre le changement climatique ? Force est de constater que pour le moment, on n’y est pas arrivé. C’est là ou le Pacte vert européen est difficile à porter politiquement. Les résultats à court terme ne sont pas forcément rentables, ils ne se font pas ressentir par les électeurs. On peut adopter des objectifs de rénovation énergétique des bâtiments, par exemple, qui servent des objectifs sur lequel les gens sont globalement d’accord, mais ces mesures sont confrontées à l’urgence du quotidien, comme le prix de l’essence ou de l’électricité. Cette articulation est difficile à trouver. C’est pour cela que l’Union européenne doit continuer à impulser un tempo.

Mais ce tempo peut-il résister à l’arrivée d’un éventuel premier ministre d’extrême droite en France, ou de la montée de l’AfD en Allemagne ?

Au niveau européen, oui, car on ne peut pas détricoter le Pacte vert sous l’impulsion d’un seul Etat membre. D’un point de vue légal, c’est la Commission qui dispose du pouvoir de revenir ou non sur les objectifs, et pour le moment ce n’est pas le cas. Les Etats peuvent toujours choisir de ne pas les mettre en œuvre nationalement, mais ils s’exposent à des sanctions.

Quels sont les principaux dossiers sur lesquels l’Union européenne doit avancer dans le cadre du Pacte vert ?

Sur les volets énergies et transport, une grande partie du travail a été fait, les textes ont été adoptés. Là où il reste des règlements à faire passer, c’est sur la partie agricole, sur les baisses d’utilisation des pesticides par exemple. Les débats auront lieu au cours de la prochaine mandature, et avec une majorité de droite au Parlement, il y aura forcément des compromis moins ambitieux. Comme on l’a vu dans le rejet du règlement sur les pesticides, la position du Parlement était moins ambitieuse que la proposition initiale de la Commission. Sur ces dossiers, on devrait voir des majorités ad hoc – texte par texte – se former.