Reiki, Access Bar, décodage biologique dentaire… Ces charlatans encore présents sur Doctolib

Reiki, Access Bar, décodage biologique dentaire… Ces charlatans encore présents sur Doctolib

Mais que se passe-t-il chez la principale plateforme de prise de rendez-vous médicaux en France ? Ici, une infirmière proposant des séances de Reiki, une pratique qui fait régulièrement l’objet de signalement auprès de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Là, un psychologue mettant en avant des cessions d’Access Bar, une pseudo-thérapie aux dérives inquiétantes. Ou encore des ostéopathes qui prétendent soigner le bégaiement et le strabisme, alors que ces troubles doivent être pris en charge par des orthophonistes, et d’autres qui mettent en œuvre une multitude de techniques issues de la “médecine quantique”, qui n’a jamais fait la moindre preuve d’une efficacité thérapeutique. On trouve, même, des praticiens proposant de la naturopathie, alors que la mise en avant de cette pratique sur le site avait déclenché une intense polémique, il y a deux ans, poussant Doctolib à supprimer 7 500 comptes de son site.

Sur les réseaux sociaux, la persistance de centaines de profils faisant la promotion de pseudo-médecines émeut de nombreux médecins. Certains accusent la plateforme de ne toujours pas avoir pris la mesure du charlatanisme, voire de s’en faire la vitrine. Interrogée par L’Express, la première licorne française (évaluée à près de 5,9 milliards d’euros, selon Statisa) dément, même si elle reconnaît que des professionnels proposent effectivement des “thérapies” non conventionnelles sur son site. “La conclusion des consultations lancées il y a deux ans était que Doctolib ne peut pas faire le tri tout seul parmi les centaines de pratiques existantes, ne doit pas choisir laquelle est acceptable ou non et doit prendre le cadre juridique comme référence”, plaide le site, qui avait rencontré le ministère de la Santé, mais aussi les collectifs No FakeMed (qui alerte sur les dangers des fausses médecines) ou l’Extracteur (connu pour avoir dénoncé les dérives du chantre du crudivorisme Thierry Casasnovas).

Des “zones grises” du droit où se réfugient certains professionnels

Aujourd’hui, la plateforme se borne à référencer les professionnels de santé tels que définis par le code de Santé publique (médecins, odontologistes, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, aides-soignants, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, ostéopathes, etc.), qui sont enregistrés par leur Agence régionale de santé (ARS), possèdent un numéro au Répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS), ainsi qu’un diplôme validé par l’Etat. Tous les autres ont été sortis du site de prise de rendez-vous. Problème, les praticiens qui remplissent ces critères peuvent donc rester… même s’ils proposent des pseudo-thérapies dans leurs profils.

“Cela nous oblige à nous montrer très vigilants sur ce qui relève, ou pas, de l’illégalité, et c’est parfois très compliqué. Mais seule une petite minorité est concernée”, assure encore la plateforme, selon laquelle 1 % des cas sortiraient de la légalité. Les 99 % restants se trouveraient dans une “zone grise” du droit. Il n’existe, par exemple, aucun texte interdisant à un médecin de pratiquer le chamanisme, tant qu’il ne propose pas ces pratiques non conventionnelles dans le cadre du soin. “En tant qu’entreprise privée, nous ne pouvons pas nous prononcer sur ce qui doit être accepté ou pas, ni enquêter afin de déterminer si chaque professionnel de la santé respecte bien une stricte séparation”, estime Doctolib.

“Les praticiens peuvent s’attribuer des compétences qu’ils n’ont pas”

“Il s’agit d’éléments de langage qu’ils répètent depuis plusieurs mois, mais ce n’est pas parce qu’un professionnel de santé a un numéro RPPS qu’il peut faire n’importe quoi”, s’agace un réanimateur francilien qui diffuse régulièrement ses signalements sur X (ex-Twitter), mais souhaite garder l’anonymat. “Doctolib laisse des praticiens s’attribuer des compétences ou prétentions de soins qu’ils n’ont pas et qui flirtent parfois avec la pratique illégale de la médecine”, dénonce-t-il. Ce réanimateur avait par exemple pointé, il y a plusieurs mois, la présence de praticiens proposant de l’ostéopathie vaginale. Depuis, il n’en existe plus trace sur Doctolib, qui a donc réagi. Mais d’autres problèmes persistent.

“On trouve des professionnels de santé qui effectuent des hydrothérapies du colon pratiquées avec des machines colorées importées de Chine, ce qui n’a rien à voir avec la pratique médicale qui s’appelle un lavement : on est sur de l’exercice illégal de la médecine”, poursuit le docteur francilien. Même son de cloche du côté du collectif No FakeMed, “déçu” de la situation actuelle. “Il y a plus d’un an, nous avions mené un travail qui a conduit à l’éviction des praticiens problématiques. Aujourd’hui, nous comprenons qu’il est parfois difficile pour eux de tout modérer, mais nous constatons aussi un manque de volonté et d’engagement. Or ils sont tout de même responsables de qui ils accueillent sur leur site”, souligne le Dr. Pierre de Bremond d’Ars, médecin généraliste et président du collectif.

Alors où l’entreprise doit-elle placer la barrière ? Devant l’ostéopathie, dont les Français raffolent et qui peut avoir des bénéfices pour les traitements de douleurs superficielles au dos, mais dont certains praticiens affichent des prétentions de soins non prouvées par la science, voire dangereuses ? Ou devant la médecine traditionnelle chinoise, pour laquelle les preuves d’efficacité sont limitées, mais dont le diplôme est pourtant délivré par des universités ? Quid de la sophrologie, tout autant critiquée, mais présente dans de nombreux hôpitaux ? Et si le reiki et la kinésiologie peuvent conduire à des pertes de chances pour des malades, notamment en retardant une prise en charge adaptée, elles ne sont pas non plus illégales. La Miviludes estime d’ailleurs que la seule mention d’une pratique non conventionnelle ne suffit pas à prouver une déviance de soin ou une dérive sectaire – pour cela, il faut un faisceau d’indice et des investigations plus poussées.

“Cet outil a un tel succès que nous nous attendons à ce que la modération soit hauteur de ce succès. Même si j’entends qu’il est difficile de tout contrôler ou d’agir sur les praticiens qui ne font rien d’illégal, Doctolib pourrait au moins se doter d’un comité scientifique indépendant, qui saurait justement où pour placer la limite, ou encore restreindre l’accès de son site aux professions qui un Ordre”, propose de son côté le Dr. Jérôme Barrière, oncologue engagé en faveur des bonnes pratiques de soin.

Doctolib ne pourrait-il pas, aussi, empêcher les professionnels de santé de proposer des pratiques qui sortent de leur domaine de compétences validées ? “Doit-on suspendre un compte sur la simple base d’une mention d’acupuncture, par exemple ? Nous ne le pensons pas”, rétorque Doctolib, qui indique être attentif aux signalements des profils problématiques et demander régulièrement à des professionnels de modifier leurs descriptions, voire intervenir directement si nécessaire. La plateforme se réserverait également le droit d’alerter les Ordres, les ARS, ou même la gendarmerie, en cas de doute. “Nous vérifions chaque mois entre 15 000 et 20 000 comptes (sur 170 000 en France) et nous envoyons 1 000 notifications pour illégalité par an”, poursuit la licorne française, qui reconnaît tout de même rencontrer des problèmes avec les professions dépourvues d’Ordre, notamment les ostéopathes et les psychologues, ce qui rendrait les signalements et la prise d’informations juridiques difficiles.

“Il n’en demeure pas moins que les signalements des profils sont toujours aussi compliqués sur Doctolib et la meilleure façon de faire bouger les choses reste encore de le faire bruyamment sur X, déplore Pierre de Bremond d’Ars. Il est vrai qu’il y a un manque de soutien institutionnel, mais malgré tout, c’est leur responsabilité d’hébergeur de mettre sur la même échelle des praticiens de santé sérieux et d’autres qui font des choses complètement farfelues, voire à risque de dérives sectaires”.

“Lire l’avenir dans les dents”

Certains cas interrogent. En quelques clics, il est ainsi possible de prendre rendez-vous chez le Dr. Marc Mickaël Bransten, un médecin qui a été radié de l’Ordre des médecins en raison de ses prescriptions dangereuses pour, selon lui, traiter la maladie de Lyme, comme L’Express l’a relaté en mai dernier. Bien que la radiation du Dr. Bransten est suspendue, puisqu’il a fait appel de cette décision, une de ses victimes s’en est émue sur X. “Nous avons connaissance de ce cas particulier et avons contacté l’Ordre. Bien que l’appel soit suspensif, le directeur général de l’ARS local aurait le droit, s’il estimait qu’il y a un danger imminent pour le patient, de prononcer la suspension immédiate. A notre connaissance, il ne l’a pas fait. En attendant, nous ne pouvons pas dire le droit à la place des autorités”, insiste Doctolib. Reste qu’en se basant sur ses conditions d’utilisation, la plateforme de prise de rendez-vous médicaux pourrait par exemple opposer l’atteinte à sa réputation. Ce qu’elle n’a pas fait non plus.

Plus récemment, Doctolib a aussi été vivement critiqué pour avoir invité, dans ses équipes de création de contenus sur les réseaux sociaux, une assistante dentaire naturopathe et promotrice du décodage biologique dentaire, une pratique mystique qui prétend “lire l’avenir dans les dents” (sic). Une initiative là encore critiquée par de nombreux médecins, dont le collectif No FakeMed. Cette fois, le site de prise de rendez-vous médicaux plaide la bonne foi. “Nous travaillons avec beaucoup de professionnels de la santé dans le cadre d’actions très diverses. Là, il s’agissait d’un binôme entre une dentiste et son assistante, car ce sont ces dernières qui utilisent le plus nos logiciels, nous n’étions pas informés que cette dernière développait en parallèle une activité de naturopathe… Sinon nous ne l’aurions pas invitée”, se défend l’entreprise. Reste que ce manque de vigilance ne passe pas inaperçu, et risque d’être encore longtemps critiqué, tant que Doctolib ne prend pas des mesures plus drastiques.