Rhum arrangé : l’histoire derrière un retour en vogue

Rhum arrangé : l’histoire derrière un retour en vogue

Malgré le formidable élan de l’agriculture biologique, la filière vin souffre. Six millions d’hectolitres sont partis en distillation l’année dernière et une centaine de milliers d’hectares vont être arrachés, soit près de 15 % de la surface totale. La faute au désamour qui frappe le sang de la vigne en France : moins 70 % en soixante ans – les rouges étant plus à la peine que les autres. Pour conjurer l’inexorable tendance, les initiatives se multiplient. Comme, pour recouvrer la faveur des palais féminins et des milléniaux ou encore casser les codes de la consommation. Les cocktails en général et le Rhum en particulier n’échappent pas à la règle et se réinventent sans cesse. Notre guide.

L’engouement des Français pour le rhum ne se dément pas. Un phénomène qui s’explique par sa montée en gamme, sa versatilité et sa capacité à réinventer l’Histoire, comme l’ont prouvé les rhums arrangés, sans doute créés au début du XVIIe siècle par des marins de la Royal Navy basés en Inde. On parlait alors de “punch“, confectionné à l’origine à base d’arak, avant de passer au rhum. Dans les deux cas, le but était le même : conserver épices et fruits en les plongeant dans de l’alcool. Une préparation – parfois médicinale – qui devient l’une des boissons les plus populaires du Vieux Continent jusqu’au XIXe siècle. Avant de signer l’un des plus grands succès de l’industrie des spiritueux ces dernières années. En 2021, ses ventes ont même enregistré une progression de 44 % en grandes surfaces (d’après Nielsen). Cyrille Lawson, responsable du développement des rhums HSE, en Martinique, note toutefois “un fléchissement depuis le Covid, sauf en grande distribution, où les achats croissent toujours.”

Un cahier des charges rigoureux

Aujourd’hui, selon le législateur, le rhum arrangé n’en est plus un. Dans la nouvelle réglementation européenne du 25 mai 2021, cette catégorie est en effet (re)devenue punch au rhum, rejoignant la classification des liqueurs. Son cahier des charges stipule que son degré alcoolique provient de l’emploi exclusif d’eau-de-vie de canne à sucre, qu’elle doit titrer 15 % au minimum avec une teneur minimale de sucre de 100 grammes par litre, et que ses substances aromatisantes doivent être exclusivement naturelles. Voilà pour la loi, mais, dans la réalité, les amateurs parlent toujours de “rhum arrangé”, même lorsqu’il n’atteint pas les 37,5 % réglementaires pour l’appellation “rhum”. On ne change pas une équipe qui gagne.

Autre fait notable : les arrangés deviennent plus sophistiqués et qualitatifs. “Les meilleurs sont revenus à l’approche artisanale des origines, indique Christian de Montaguère, fondateur à Paris de la boutique à son nom. Leur pourcentage d’alcool reste un indicateur. Ceux qui affichent 18 %, moins chers en raison des taxes moins importantes qui les frappent, se retrouvent plutôt dans les rayons de la grande distribution. Les cavistes préfèrent des taux supérieurs. Certaines marques produisent d’ailleurs la même référence avec des degrés d’alcool différents pour toucher les deux marchés.”

Spécificités régionales

Fortement ancrées dans la culture locale des Antilles et de la Réunion, les recettes anciennes à base de rhum font désormais chavirer la métropole. A tel point que de nombreuses nouvelles marques apparaissent. “Des opérateurs font également valoir leur spécificité régionale en utilisant par exemple des herbes de Provence dans le Sud-Est ou du caramel au beurre salé en Bretagne”, remarque Cyrille Lawson. C’est le cas d’Halto, fondée par Théo Parant, un ex-étudiant en école de commerce qui a lâché sa start-up londonienne dévolue à l’intelligence artificielle. Elaborés à Montélimar et inspirés par les régions françaises, ses arrangés rendent hommage à Bordeaux avec un rhum (de la Martinique) aux saveurs de cannelé, à Menton avec le citron, à l’Ardèche et ses marrons et, bien sûr, à la capitale du nougat. Autre cas de figure, sur le bassin d’Arcachon. Les arrangés Darwinn & Co s’inspirent d’un manuscrit rédigé dans les années 1930 par Nicholas Darwinn, un passionné de rhum. Des recettes traditionnelles donc, mais remises au goût du jour avec, notamment, moins de 5 % de sucres ajoutés.

Egalement en charge du développement de La Fabrique de l’arrangé (implantée à Marcoussis, dans l’Essonne, en raison de la proximité du marché de Rungis) depuis son rachat par HSE, en 2020, Cyrille Lawson détaille les ingrédients nécessaires à la réalisation d’un bon arrangé : “Le rhum doit être de belle qualité et titrer de 40 à 50 %. Il faut compter de 50 à 150 grammes de sucre, un exhausteur de goût indispensable. Les fruits, à maturité, sont l’objet d’une sélection drastique, puis découpés à la main avant de macérer.”

Alors que dans la plupart des arrangés les fruits sont visibles, Isautier, leader de la catégorie en grande distribution et pionnier de la catégorie avec Gingerlick, créé en 1970 à la Réunion, fait le choix inverse. “L’alcool ne les conserve pas longtemps”, explique Cyril Isautier, qui préside la plus ancienne distillerie de l’île de l’océan Indien, dans les mains de la même famille depuis six générations. En revanche, une large palette de techniques est utilisée pour obtenir les préparations aromatisantes : distillation, jus, purées de fruit, mais aussi liqueurs, à l’image de l’Arhumatik Ananas Victoria, ode à l’un des fruits emblématiques de la Réunion.

La vogue des spiced

Si les arrangés restent une spécialité française, d’autres boissons à base d’eau-de-vie de canne à sucre retrouvent aussi des couleurs. D’origine britannique, les spiced remplacent les fruits par des épices, comme la vanille, le poivre, le gingembre, la noix de muscade ou le clou de girofle. Et, contrairement à leur cousin arrangé, un rhum brun peut leur servir de base. Devenus incontournables en mixologie, les spiced inspirent d’autres spiritueux, comme le whisky. Un prêté pour un rendu, le rhum regardant de près depuis quelques années le travail sur le bois mené par les producteurs d’eau-de-vie maltée.

La grande famille des arrangés, des punchs et des spiced représente finalement un formidable laboratoire pour tester des innovations techniques et de nouveaux goûts. “Nous progressons de manière empirique”, confesse Cyrille Lawson, qui, pour répondre aux envies du consommateur, prévoit l’arrivée d’autres types de fruits, la noisette du Piémont torréfiée, par exemple. Une soif d’expériences qui gagne toute l’industrie du rhum. En République dominicaine, la maison familiale Brugal utilise une technique inédite de torréfaction aromatique des fûts pour les flacons de sa Coleccion Visionaria. “Des fûts de chêne européens neufs sont toastés avec des fèves de chocolat directement grillées à la flamme avant d’accueillir le rhum, qui absorbe ensuite les arômes fournis par cette méthode de torréfaction inédite”, explique Hugo Gargaud, le responsable de la marque dans l’Hexagone. Toujours dans la Caraïbe, Alexandre Gabriel, le créateur de Planteray, a imaginé, pour son Cut & Dry Coconut, un mariage entre eau-de-vie de canne et noix de coco. En morceaux, celle-ci est séchée puis infusée dans du rhum blanc avant d’être assemblée avec une eau-de-vie de la Barbade élevée de 3 à 4 ans. Ni rhum ni arrangé, cette boisson spiritueuse se révèle une délicieuse gourmandise. Que demander de plus ?

NOTRE SÉLECTION

Les 12 meilleures boissons spiritueuses au rhum pour l’été

Arhumatic – Atoca (28 %)

La dernière édition limitée de la maison lilloise réunit la canneberge et le maracudja, une version plus acidulée du fruit de la passion. De la vivacité et une agréable amertume en finale, la signature de la canneberge (cranberry). 39,90 €.

Isautier Ananas Vanille Piment (37 %)

Ce rhum arrangé réunit trois emblèmes de la Réunion : l’ananas Victoria, la vanille Bourbon et le piment oiseau. Du fruité, de la douceur, et une finale légèrement piquante au goût de revenez-y. 16,90 €.

La Fabrique de l’arrangé – Tutti Frutti (30 %)

Cette recette inédite de La Fabrique de l’arrangé allie une macération de fruit de la passion et une infusion de thé blanc, de rose et de litchi. Bel équilibre, et des arômes magnifiés par la subtilité de la rose. 35 €.

Rivière du Mât Macadamia & Caramel (17 %)

Une nouvelle gamme pour la distillerie réunionnaise. Baptisée L’Onctueux, elle propose une liqueur de crème de lait et de rhum. Une alliance réussie entre l’intensité aromatique de la noix de macadamia et la douceur du caramel. 13,45 €.

Planteray Cut & Dry (40 %)

En provenance de La Barbade, une ode à la noix de coco, un autre emblème de cette île de la Caraïbe avec l’eau-de-vie de canne à sucre. Coupés et séchés à l’air libre, les morceaux de coco infusent ensuite dans des rhums blancs qui sont assemblés à un rhum élevé entre 3 et 4 ans. Saveurs exotiques intenses, idéal pour réussir une pina colada de compétition. (44,90 €)

Halto Nougat de Montélimar (30 %)

Une autre idée de la Provence avec cet arrangé à base de la spécialité de Montélimar, la ville qui héberge les activités d’Halto, une jeune marque dont le crédo est basé sur les régions de France. La douceur d’un amaretto conjuguée à la vigueur d’un rhum agricole. (39 €)

Saint James Banane flambée-Vanille Bourbon (35 %)

La distillerie martiniquaise de Sainte-Marie prépare ses arrangés avec du rhum blanc pur canne et des fruits récoltés à pleine maturité. Ce classique s’inscrit dans la tradition insulaire en faisant preuve d’une belle générosité aromatique avec deux ingrédients seulement. Parfois, moins, c’est plus. (33 €)

Darwinn Maraberry (32 %)

Dans leur rhumerie artisanale de La Teste-de-Buch, au bord du Bassin d’Arcachon, Elisabeth et Jonathan Toledo invitent au voyage à travers une riche gamme d’arrangés. Les rhums blancs avec lesquels ils travaillent proviennent exclusivement de la distillerie Reimonenq, en Guadeloupe. Le fruité de la framboise introduit délicieusement les notes acidulés de la passion. Léger en sucre. (32 €)

Chatel Gingembre Passion (40 %)

Distillerie familiale installée à La Réunion depuis plus d’un siècle, Chatel propose une large gamme d’arrangés élaborés sur une base de rhum Savanna. Celui-ci joue sur le contraste entre le côté épicé du gingembre et l’acidité du fruit de la passion. Équilibre parfait. (29,90 €)

MaloRhum Punch Bier’ (35 %)

Une proposition originale en provenance de Saint-Malo. Ses notes houblonnées et maltées devraient ravir les amateurs de bière, une autre boisson reine de l’été. Le travail de deux passionnés qui revisitent le rhum arrangé en utilisant des techniques qui se rapprochent de celles de la cuisine. (39,50 €)

Ti Spicy de Ced’ (45 %)

Sa base, un pur jus de canne de Martinique a été affiné en fûts de sauternes avant d’accueillir une macération de poivre de Timut, de clou de girofle, de kumquat et de citron noir séché d’Iran. Le tout étant ensuite infusé dans le rhum. De l’élégance, de la fraîcheur et du caractère. (36 €)