Richard Malka : “La gauche ? Mélenchon les a dévorés et ils ne le voient même pas”

Richard Malka : “La gauche ? Mélenchon les a dévorés et ils ne le voient même pas”

Nuls effets de manche en ce jeudi après-midi pluvieux. L’avocat qui nous reçoit est un citoyen effaré. “Emmanuel Macron nous a plongés dans une dépression collective par une décision qui paraît folle, et en réponse, la gauche a été minable.”, tonne Richard Malka. Il ne décolère pas de ce Nouveau Front populaire justifié, à gauche, par l’urgence de faire barrage : un “barrage factice, superficiel, carriériste pour certains”, dit-il. “On ne fait pas barrage en trahissant ses principes et sa conscience. On ne fait pas barrage en s’associant à un parti qui a réhabilité l’antisémitisme.(…) Cela ne fera que discréditer davantage la gauche, et donc préparer la victoire du RN”, déplore-t-il, en prévenant que “si le Rassemblement national prenait les commandes, ce serait destructeur pour ce pays, son essence et son image”. “Il y a dans la démocratie un germe pouvant produire la fin de la démocratie, prévient-il. Il faut s’interroger sur les raisons de ce désir d’autoritarisme, sinon on ne résoudra rien. Et pour commencer, il faut nommer les choses.” Grand entretien avec Richard Malka, en exclusivité dans nos colonnes.

L’Express : En tant que citoyen, dans quel état l’annonce de la dissolution – et de la campagne pour les législatives qui en découlait – vous a-t-elle plongé ?

Richard Malka : Comme beaucoup de Français : effaré et effrayé. Le président, censé être le gardien de la raison, semble l’avoir perdue. Provoquer le chaos n’est jamais une bonne idée. Ceci dit, ce n’est que le dernier acte d’un mouvement de décomposition à l’œuvre depuis des décennies. C’est une accélération inattendue mais nous serions probablement arrivés à cette situation à un moment ou à un autre. Je m’accroche à un espoir de sursaut. Mais pour cela, il faudrait une refondation complète des logiciels politiques de gauche et de droite. Se référer au Front populaire pour les uns, au gaullisme pour les autres, démontre à quel point ils sont dans des postures, une absence de pensée remplacée par des slogans et des étiquettes qui ont presque un siècle.

Qui fait l’effort de penser le monde d’aujourd’hui, un pacte social universaliste et laïc adapté à la modernité ? Une université où l’on transmettrait du savoir plutôt que de l’idéologie ? Une école publique qui tracerait à nouveau des voies pour l’excellence et préparerait à la citoyenneté ? Une République avec une ambition méritocratique et libertaire pour le monde ? Les partis politiques invoquent avec paresse leur mythologie respective pour ne pas avoir à se confronter au présent et à imaginer l’avenir.

Comment avez-vous accueilli la constitution d’une union à gauche allant de François Hollande à Jean-Luc Mélenchon, en passant par Raphaël Glucksmann, Carole Delga, David Guiraud, Philippe Poutou ou Rima Hassan ?

Evidemment, cela n’a aucun sens. Et d’abord, politiquement – d’ailleurs, nous savons tous, et eux les premiers, que cette union durera le temps des élections et se disloquera immédiatement après, car ils ne peuvent pas se voir. C’est donc d’un cynisme absolu. Ensuite, sur le plan moral, c’est un naufrage et c’est le principal problème : ce qui fait naufrage ne peut, par définition, pas constituer un barrage.

Justement, l’argument principal des partisans du Nouveau Front populaire est que ce dernier constituerait la seule chance de faire barrage à l’arrivée au pouvoir du RN… Qu’en pensez-vous ?

On ne fait pas barrage en trahissant ses principes et sa conscience. On ne fait pas barrage en s’associant à un parti qui a réhabilité l’antisémitisme – ce que le Front national n’était jamais parvenu à faire. On ne fait pas barrage en s’associant avec des gens qui traitent les autres – à commencer par Raphaël Glucksmann – de “sales sionistes”. On ne fait pas barrage en s’associant avec des gens dégoûtants qui relativisent le viol d’une gamine de douze ans. Macron nous a plongés dans une dépression collective par une décision qui paraît folle, et en réponse la gauche a été minable. Quand on se dit de gauche, la fin ne peut justifier les moyens. L’alliance littéralement monstrueuse dans laquelle elle s’est perdue ne peut pas être la bonne manière de faire barrage. Cela ne fera que la discréditer davantage et donc préparer la victoire du RN. On ne gagne jamais rien à se trahir et à cultiver l’incohérence. Ça ne marche pas. Finalement, on aurait Charybde et Scylla. La peste et le choléra, LFI et le RN. Ces deux-là s’alimentent réciproquement, comme toujours avec les extrêmes.

Depuis des décennies, j’entends la gauche répéter à destination de la droite qu'”il vaut mieux perdre une élection que de perdre son âme”. Je comprends aujourd’hui que ce n’était qu’un slogan pour garder le pouvoir. Car la gauche de gouvernement vient de s’associer à des gens infréquentables qui, au-delà même de la question de l’antisémitisme, ont passé des années à aller de violences en provocations à l’Assemblée nationale, à rechercher du buzz, à polariser, à fracturer, à antagoniser, à ne rien respecter, à faire peur et ainsi à banaliser le RN. Et ce sont avec ces personnes qu’il faudrait faire barrage… Ça n’a aucun sens.

Beaucoup, à La France insoumise, se récrient à grands bruits dès que l’on soulève la question de leurs clins d’œil appuyés à l’antisémitisme… Certains disent, même, que l’antisémitisme est instrumentalisé pour les disqualifier.

Il faut avoir sacrément envie de rester aveugle. Il n’y a pas eu un dérapage, il y en a eu 150 ! Il y a historiquement un antisémitisme de gauche et il a ressurgi avec violence. LFI a chauffé à blanc une partie de la population à coups de tweets, de slogans, d’amalgames. Ils ont accompli l’exploit de rendre l’antisémitisme sexy dans une partie de la jeunesse. Les agressions antisémites sont en augmentation de 1 000 % mais ce serait une malheureuse coïncidence et ils n’y seraient pour rien. D’ailleurs cette augmentation serait “résiduelle”. Mieux, leurs avocats nous expliquent maintenant dans des tribunes que c’est un antisémitisme sans gravité car ce n’est pas celui de l’extrême droite. La boucle est bouclée. Il y aurait donc un antisémitisme acceptable, voire raisonnable : on sort du tabou, l’impensable ne l’est plus. Et il leur fallait bien en arriver à cet impensable car leurs préjugés contre les juifs sont désormais trop évidents… et il faudra bientôt en arriver là aussi pour le PS, le PC et EELV qui devront justifier l’alliance conclue. C’est la logique des choses. Ces partis ont mis le doigt dans un engrenage funeste.

Certains arguent, enfin, que le Front populaire serait justement l’occasion de marginaliser le pire de LFI grâce à une dynamique qui serait en faveur des raisonnables…

Mélenchon les a déjà dévorés et ils ne le voient pas. Il a dévoré toute la gauche en la salissant. Quand on commence à faire des compromissions, on n’en finit jamais. Quand LFI aura détruit la laïcité, imposé le communautarisme, fait les yeux doux à tous les dictateurs du monde – Poutine, Xi, et les autres –, ceux qui ont cru “faire le bon choix” seront obligés d’aller toujours plus loin dans leurs renoncements et ne seront plus crédibles. Il y a une autre manière de faire barrage ; il y a d’autres partis entre LFI et consorts et le RN. Entre ces deux incompétences, ces deux violences et ces deux haines. Le vote du premier tour sera déterminant pour ne pas être enfermé dans un choix entre deux enfers au second.

Il y a quelques jours, Serge Klarsfeld, grand pourchasseur de criminels nazis, a dit sur LCI qu’en cas de second tour entre LFI et le RN, il choisirait le RN : “entre un parti antisémite et un parti projuif, je voterai pour un parti projuif”. Il n’était pas le premier. Que pensez-vous de ces prises de parole ?

Je n’ai aucune légitimité à juger du vote d’autrui mais je n’ai pas de mal à vous dire que jamais de ma vie je ne voterai pour le RN que j’ai tant combattu. C’est tellement évident. La prise de parole de Serge Klarsfeld est triste et relève d’une erreur absolue, pire, d’une faute. Ça aussi, c’est déprimant. Où que l’on pose le regard en ce moment, apparaissent trahison, haine, tristesse, violence, ou bêtise. C’est le temps du triomphe de la connerie et de ses représentants. Le temps où Hollande se retrouve associé à Poutou.

Aujourd’hui, le RN est en position d’obtenir une majorité relative si ce n’est absolue, et donc d’accéder à Matignon… Que cela vous inspire-t-il ?

C’est un parti dangereusement incompétent doublé d’une ligue de vertu. Je le vois dans beaucoup de mes dossiers judiciaires. Le RN est hostile à la culture, vu comme un milieu dégénéré. Si le Rassemblement national prenait les commandes, ce serait destructeur pour ce pays, son essence et son image. Je peux vraiment comprendre que certains puissent avoir envie de sanctionner les personnes au pouvoir depuis trente ou quarante ans, mais là, ce n’est pas eux que l’on va sanctionner, c’est nous-mêmes. On ne sait pas où cela s’arrêtera. Jusqu’à quel stade de destruction nous parviendrons.

Notre nation est l’une de celle où l’on jouit de la plus grande liberté sur la surface de la terre. On a la Sécurité sociale, une politique culturelle et sociale, l’école est gratuite, les inégalités sont bien moins grandes qu’ailleurs… Et ce peuple-là est au bord de se jeter de la falaise avec ses enfants dans les bras. Cela peut aller très vite, que ce soit avec le RN ou LFI. Mélenchon avec ses éructations n’a pas du tout l’ethos d’un démocrate. Regardez comme il exècre les journalistes ; comment il gère son mouvement en tyran. Peu m’importe de savoir si le poison qui me tuera viendra de l’extrême droite ou de l’extrême gauche. Je voudrais surtout pouvoir éviter de le prendre.

Nos institutions ne sont-elles pas assez résilientes pour résister aux conditions extrêmes ?

Il y a des garde-fous. Rien ne se fera du jour au lendemain. Mais plus profondément, je pense qu’il y a dans la démocratie un germe pouvant produire la fin de la démocratie. Il est présent partout en Occident. Regardez Trump, la Hongrie, l’Italie etc. C’est cela qui s’exprime. Il faut s’interroger sur les raisons de ce désir d’autoritarisme, sinon on ne résoudra rien. Et pour commencer, il faut nommer les choses. La déconnexion entre ceux qui nous gouvernent et les préoccupations d’une large partie de l’électorat est assez évidente.

A quoi est-elle due ?

Au fait que les politiques agissent, s’expriment et pensent en fonction de ce qu’on va dire d’eux le lendemain dans les médias.

Quelles sont ces choses qu’il faudrait nommer ?

On va retrouver mes thèmes de prédilection. Je le dis depuis des décennies. La place de la religion dans la société qui définit notre modèle de société, notre liberté d’expression, notre débat démocratique, notre culture, notre rapport au savoir, à la laïcité, au communautarisme et à l’universalisme, à la différence. Il faut regarder en face la peur de l’immigration qui à mon sens est davantage une peur de l’immixtion d’un prosélytisme religieux dans l’espace publique qu’un racisme. A-t-on encore le droit d’en parler à gauche ou plus jamais jusqu’à la fin des temps ? J’ai été halluciné de voir qu’ils avaient inscrit dans leur programme la lutte contre “l’islamophobie”. Voltaire doit se retourner dans sa tombe et Salman Rushdie s’est battu pour rien contre ce concept piège qui interdirait donc la critique d’une religion. C’est le racisme que l’on combat, pas la liberté d’expression à l’égard des croyances. Et ça vient de la gauche…

Le barrage factice, superficiel, carriériste pour certains, dont on nous parle tiendra au mieux deux ans… Ce n’est pas une alliance – au demeurant contre nature – qui fera barrage. Le score du RN ne fera que progresser inexorablement comme depuis quarante ans, tant que l’on ne s’attaquera pas aux questions de fond qui motivent ce vote. Un jour, de plus en plus proche, ils dépasseront 50 % quelles que soient les alliances en face.

A gauche, le fait de parler de ces questions peut vite être disqualifiant. Est-ce que cela ne bloque pas l’émergence de la bonne foi ?

Vous avez raison. Quand la lâcheté devient une vertu, effectivement, cela pose un problème démocratique. Nommer les choses fait peur. A chaque fois qu’on me le demande, je dois me faire violence pour y aller car je sais risquer l’opprobre.

Vous dites espérer le sursaut. D’où peut-il venir ?

Le pire n’est jamais certain. Fuyons les enragés, les “fous furieux”, pour parler comme Voltaire. Ne remettons pas notre sort entre leurs mains. Echappons-nous de la mécanique du malheur. Enfin, pour dépasser ce moment tragique, il nous faudra retrouver, je crois, une transcendance commune. L’homme n’arrive pas à vivre sans quelque chose de “plus grand” que lui. La République était censée prendre la place laissée par le christianisme. Elle l’a longtemps fait, et je crois qu’une grande partie de la population est toujours viscéralement attachée à l’universalisme, à la laïcité, à cette transcendance républicaine qui nous a offert tant de libertés. C’est ce qui fait l’identité française, sa singularité. Sinon, aucun barrage ne tiendra davantage que le temps d’une rose.