Robert Ménard : “Je n’ai pas envie d’une société où l’on déteste les juges, les élus, les journalistes !”

Robert Ménard : “Je n’ai pas envie d’une société où l’on déteste les juges, les élus, les journalistes !”

Vue sur le réel. C’est en tout cas comme cela que de nombreux maires ou élus locaux envisagent leur mandat. Robert Ménard est de ceux-là, convaincu que l’Hôtel de ville de Béziers (Hérault) est un formidable terrain d’observation des maux qui égratignent la société. Après avoir apporté son soutien à Marine Le Pen lors de la présidentielle de 2022, l’ancien journaliste, ex-secrétaire général de Reporters sans frontières venu de la gauche, a pris ses distances jusqu’à considérer aujourd’hui que l’application du programme du RN serait “dangereuse pour notre situation budgétaire”. Quant à nos institutions, il dit ne pas craindre leur ébranlement par l’arrivée au pouvoir du parti lepéniste mais juge leur image déjà abîmée par une multitude d’épisodes qu’il détaille ici. Entretien.

L’Express : Un certain nombre de services de l’Etat semblent devenus invisibles pour une partie des Français dans certains territoires de la République. Est-ce un phénomène que vous constatez, en tant que maire de Béziers ? Et quelles en sont les conséquences ?

Robert Ménard : Je ne suis pas un maire laxiste, c’est le moins qu’on puisse dire. Je suis même parfois un peu autoritaire. Quand j’ai été élu en 2014, la ville comptait moins d’une trentaine de policiers municipaux qui ne travaillaient ni le soir ni le week-end. Aujourd’hui, ils sont 124, ils sont armés et travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l’année. De la même façon, Béziers était équipée de 30 caméras de vidéosurveillance. Nous en avons 440 aujourd’hui. Tout cela a coûté beaucoup d’argent aux contribuables. Permettez-moi aussi de vous faire remarquer que c’est normalement à l’Etat d’assurer la sécurité, et pas aux villes, mais passons.

Malgré ces efforts conséquents, les polices municipales ne peuvent pas faire leur travail aussi efficacement que nous le souhaiterions. Il faut savoir qu’elles n’ont toujours pas accès à un certain nombre de fichiers (celui des véhicules volés ou des personnes recherchées, par exemple) ; elles ne peuvent pas faire de contrôles d’identité, elles n’ont pas le droit d’ouvrir un coffre de voiture… Bref, on paye très cher pour des policiers municipaux qui ont des pouvoirs trop limités, et cela au nom de la défense des libertés. C’est incompréhensible. Et cela décrédibilise l’action des forces de l’ordre ! Il faut que cela change !

Le Conseil constitutionnel a été la cible de beaucoup de critiques ces dernières années. Nos institutions vous semblent-elles comprises par les citoyens ?

L’épisode de la loi Immigration a évidemment abîmé l’image qu’une partie de nos concitoyens avaient du Conseil constitutionnel. L’immigration est une préoccupation pour beaucoup. Je suis maire d’une ville de province de 80 000 habitants. Chez moi, c’est la préoccupation première, avec celle du pouvoir d’achat. Et permettez-moi d’ajouter que ceux qui s’en inquiètent ne sont pas forcément des xénophobes. Quand cette loi a été votée au Parlement par, notamment, les députés de la majorité, Emmanuel Macron a immédiatement saisi le Conseil constitutionnel qui en a récusé une bonne partie. Par conséquent, les gens sont en droit de se demander : qui a le vrai pouvoir ? Le chef de l’Etat n’a-t-il pas fait preuve d’une duplicité totale ? C’est tout simplement incompréhensible pour le commun des mortels ! Après cela, vous pouvez toujours leur parler des “sages” du Conseil constitutionnel…

Prenons un autre exemple. En tant que maire, je suis prévenu l’an dernier par mon service de l’état civil qu’un monsieur qui se présente pour se marier fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Par ailleurs, cette même personne de la mairie nous informe qu’il a eu des problèmes avec la police française parce qu’il a commis des vols et des violences. Je sais bien que la Convention européenne des droits de l’Homme m’oblige, quelles que soient les circonstances, à marier celui qui le demande. Cela relève des sacro-saintes libertés individuelles. En clair, on me demande donc de procéder à un acte officiel pour quelqu’un qui devrait être expulsé. Durant la semaine précédant ce “non-mariage”, j’ai appelé le sous-préfet, le préfet, le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice en leur disant : “Parce que vous n’avez pas expulsé cet homme, je risque une amende, une peine de prison et même la révocation de mon mandat de maire si je ne le marie pas…” Je n’ai reçu aucune aide et j’ai refusé de le marier malgré les risques encourus. Pour apprendre quelques jours plus tard – mais trop tard – qu’il avait finalement été expulsé. Comment ne pas en conclure qu’on marche sur la tête avec ces règles de droit ubuesques ?

Nous avions signé la Convention européenne des droits de l’Homme en émettant des réserves… que nous avons fini par lever ! Et voilà où nous en sommes. Je ne suis pas de ceux qui nient l’intérêt de cette convention : patron de Reporters sans frontières, elle m’a servi pendant plus de vingt ans à sortir des gens de prison. Mais des limites doivent être posées quand l’Etat de droit se retourne contre l’évidence et le bon sens. Tout cela alimente les votes contestataires et surtout, une défiance généralisée. Je n’ai pas envie d’une société où l’on déteste tous les juges, tous les élus, tous les journalistes !

Aujourd’hui, certains, notamment parmi les élites, avancent que voter pour le RN serait ne pas prendre la pleine mesure du danger que cela représenterait pour nos institutions. Cet argument vous paraît-il opérant ?

C’est un argument qui me paraît à la fois faux et inefficace. Faux parce que l’arrivée du RN au pouvoir me paraît moins dangereuse pour nos institutions et notre démocratie que pour notre situation budgétaire ! S’ils appliquaient le programme annoncé, cela compliquerait considérablement notre situation économique. Cela étant, le rétropédalage spectaculaire de Jordan Bardella (sur les retraites, sur la baisse de la TVA pour les produits de première nécessité, etc.) laisse supposer que le RN peut revenir sur à peu près tout ce qui constituait son programme hier.

Deuxièmement, dire que voter RN mettrait en péril nos institutions est inefficace. C’est comme traiter les gens de “fachos”, ou dire, comme Elisabeth Borne, que le RN actuel est “l’héritier de Pétain”. Cette rhétorique est stupide, méprisante, et elle alimente le procès contre les élites ! Cette moraline à quatre sous est, tout au contraire, une machine à produire du vote RN.

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