SNCF : les voies tortueuses de la concurrence, par Nicolas Bouzou

SNCF : les voies tortueuses de la concurrence, par Nicolas Bouzou

S’il est une notion qui a complètement disparu du débat sur la politique économique de la France, c’est celle de concurrence. Cette absence traduit tout à la fois un appauvrissement de la réflexion économique, dominée par les questions fiscales, et la passion antilibérale qui enflamme ces élections législatives où les propositions des uns et des autres ont consisté à empiler toujours plus de dépenses publiques, comme si la France n’en avait pas suffisamment.

C’est bien dommage car la concurrence est un outil de politique économique mais aussi de justice : ouvrir un secteur et laisser entrer de nouvelles entreprises multiplie les opportunités sociales. Les exemples historiques abondent, qui montrent que la concurrence a permis de développer différents secteurs – c’est bon pour l’emploi – tout en baissant les prix et en augmentant la qualité – c’est bon pour le consommateur. Les télécommunications ou le transport aérien en témoignent.

Plus récemment, le secteur américain du spatial a connu une révolution à partir du moment où la Nasa a décidé, non plus d’être un fabricant de fusée, mais un donneur d’ordre mettant en concurrence des industriels et des lanceurs. Cette stratégie de montée en puissance de la commande publique et de stimulation des acteurs privés a donné naissance à un écosystème, connu sous le nom de “newspace“, dont les innovations, comme les minisatellites à bas prix, se sont multipliées. SpaceX en constitue l’exemple le plus frappant.

Possible en droit, bloquée dans les faits

En France, le secteur du ferroviaire devrait attirer l’attention des libéraux qui veulent organiser la concurrence pour augmenter le niveau de bien être économique et social. Car cette concurrence du train, possible en droit, semble bloquée dans les faits. Dans les rares cas où elle est effective, pourtant, cette compétition fonctionne bien. Ainsi, l’opérateur historique italien est présent sur la ligne Paris-Lyon-Milan, ce qui a permis de contenir les prix, tout en assurant à l’entreprise des taux de remplissage élevés. C’est en anticipant cette concurrence que la SNCF avait développé l’offre à bas prix Ouigo. Comme on avait déjà pu l’observer en Allemagne et en Italie, la concurrence ne sanctionne pas nécessairement l’ancien monopole, s’il sait adapter ses prix et ses services.

Globalement, la concurrence du rail se déploie incroyablement lentement chez nous, souvent parce que les nouveaux entrants n’arrivent pas à convaincre de leur business model et à réunir suffisamment de capitaux. Le ferroviaire est un secteur à coûts fixes très élevés. Un TGV d’occasion se négocie plus de 30 millions d’euros. Le marché de seconde main des trains est peu développé, contrairement à celui des avions de ligne où des courtiers assurent sa liquidité et où les formules de leasing sont courantes. En outre, les péages du kilomètre, collectés par SNCF Réseau, sont très élevés, ce qui augmente le seuil de rentabilité des petits challengers.

La concurrence, alliée des plus modestes

Deux sociétés en ont fait récemment l’expérience. La première, Midnight Trains, affichait, comme son nom l’indique, l’ambition de proposer une offre de trains de nuit haut de gamme avec des services hôteliers – chambres privatives, restauration -, au départ de Paris et à destination de grandes villes européennes. La start-up a échoué à lever suffisamment de fonds. La deuxième, la coopérative Railcoop, devait relier Bordeaux et Lyon, mais elle a été placée en redressement judiciaire.

Tout espoir de concurrence n’est pas pour autant perdu pour les voyageurs français. L’entreprise Le Train, qui veut investir les rails du Grand Ouest, continue d’augmenter ses fonds propres. C’est aussi le cas de Kevin Speed, qui veut lancer une offre low cost en 2028, de Paris vers Lille, Strasbourg et Lyon.

Au moment où nos responsables politiques répondent aux problèmes de pouvoir d’achat de nos concitoyens en multipliant les aides, promesses de redistribution ou baisses d’impôts non financées, il serait bon de se souvenir que la concurrence est l’alliée des plus modestes. C’est elle qui place l’économie sur l’aiguillon de l’innovation, ce qui est favorable à la progression des salaires. Et c’est elle aussi qui contient les prix, ce qui améliore le pouvoir d’achat. Autant de vertus qu’il n’est jamais inutile de rappeler.

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères