Suppression des droits de mutation : “Ce n’est pas la bonne méthode pour relancer le marché immobilier”

Suppression des droits de mutation : “Ce n’est pas la bonne méthode pour relancer le marché immobilier”

Dans la cohue médiatique et politique des derniers jours, c’est une mesure qui n’a pas fait grand bruit. Lors de la présentation du programme de Renaissance pour les législatives, le 20 juin dernier, Gabriel Attal a annoncé vouloir supprimer les frais de notaire pour les primo-accédants pour les biens immobiliers allant jusqu’à 250 000 euros. Ces taxes, appelées droits de mutation (DMTO), servent à rémunérer le notaire gérant la vente, mais également à remplir les caisses des collectivités locales et de l’Etat. Or, les DMTO constituent la deuxième ressource financière des départements.

Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, cinquième département le plus peuplé de France, estime que cette mesure viendrait porter un nouveau coup aux finances locales déjà en grande difficulté et mettrait en danger la capacité des départements à fournir des services publics de manière efficace et équitable.

L’Express : La suppression partielle des droits de mutation serait-elle une mauvaise nouvelle pour les départements ?

Stéphane Troussel : Faire fonctionner les services publics coûte de l’argent. C’est bien beau de vouloir supprimer les frais de notaire, cela fait forcément plaisir au contribuable, mais si le Premier ministre n’indique pas comment faire fonctionner les services publics qui sont en partie financés par ces taxes, il y a un petit problème de cohérence. Cela mettra directement en péril notre capacité à fournir des services de manière efficace et équitable. Par ailleurs, la suppression de taxes favorise toujours les plus favorisés au détriment des plus pauvres. Je ne crois pas que ce soit le moment de creuser les inégalités.

Oui, il y a une grave crise du marché immobilier, mais ce n’est pas la bonne méthode pour le relancer. Le problème aujourd’hui est à la fois la rareté et la cherté des biens. Il y a également les taux d’intérêt qui ont beaucoup augmenté et qui, même s’ils semblent entamer une légère décrue, restent à un niveau encore élevé. C’est cette vision macroniste et totalement financière qui considère le logement comme un marché et rien qu’un marché, et qu’il suffirait d’une bonne purge pour faire baisser les prix. Ils voient les choses par le petit bout de la lorgnette. La crise du logement n’est pas causée seulement par les frais de notaire.

Que faudrait-il faire selon vous ?

Quand le président de la République a lancé le Conseil national de refondation sur le logement et qu’il en avait confié la responsabilité à deux personnes très différentes l’une de l’autre – Véronique Bédague, la patronne de Nexity et Christophe Robert de la Fondation abbé Pierre, qui ne sont pas des gauchistes échevelés -, ils s’étaient mis d’accord pour porter un certain nombre de propositions. Il n’en a repris aucune. Il faut produire massivement des logements et c’est d’ailleurs inscrit dans le programme des candidats du Nouveau Front populaire que je défends.

Quel message envoie le gouvernement avec ce projet d’exonération des frais de notaire ?

Aujourd’hui, les DMTO sont la dernière recette fiscale dynamique pour les départements. Sur un bien de 250 000 euros, un acheteur paie à peu près 19 000 euros de frais de notaire. Sur ce montant, il y en a à peu près 14 000 qui sont reversés aux collectivités locales. Or, dans le même temps, les dépenses sociales des collectivités continuent d’augmenter. Le Premier ministre aurait mieux fait de trancher ce nœud gordien et de proposer une solution à un moment où il y a une baisse des recettes fiscales et une augmentation des dépenses. On marche sur la tête. Le système actuel qui veut que l’Etat délègue des compétences, sans donner les moyens nécessaires, en particulier aux départements, ne convient pas.

Aujourd’hui les mécanismes de compensation sont totalement inadaptés et ce type de proposition ne fera qu’aggraver la situation. En Seine-Saint-Denis, le territoire le plus pauvre de l’Hexagone, l’Etat compense le moins les dépenses sociales et d’éducation qu’ailleurs. C’est la République à l’envers. C’est lié à un certain nombre de critères qui défavorisent un département comme le nôtre. Je pourrais également dire cela de l’Aisne ou des Pyrénées-Orientales. Même le rapport Woerth commandé par le président de la République sur la décentralisation, son financement, l’organisation, pointe cela.

Que réclamez-vous aujourd’hui ?

Je réclame non seulement des mesures d’urgence, comme le fond de sauvegarde pour les départements en difficulté, mais il faut surtout remettre à plat les modalités de financement des collectivités locales, et singulièrement des départements. Ils ont des dépenses sociales qui sont dynamiques et je ne vois pas, dans le contexte actuel, pourquoi cette dynamique s’inverserait. Les réformes successives du marché du travail, la réforme des retraites, tout concourt à ce que les dépenses sociales, notamment le RSA, continuent d’augmenter. Je pense aussi à l’allocation pour l’autonomie des personnes âgées avec le vieillissement de la population et en Seine-Saint-Denis, le vieillissement est devant nous.

Quelles seraient les conséquences d’une dégradation plus profonde des finances locales ?

Les missions des collectivités se resserreraient exclusivement sur un rôle de guichet et de payeur aveugle des prestations. C’est quasiment une caisse de sécurité sociale, avec tout un tas de services publics qui seraient réduits, sinon à néant, à peau de chagrin. Et puis surtout, les politiques publiques deviendraient de plus en plus inégalitaires entre les territoires et les citoyens. C’est totalement contraire à notre devise républicaine et à l’esprit de décentralisation.