Thales : “Avec une grande diversité de drones, l’ennemi aura du mal à résister”

Thales : “Avec une grande diversité de drones, l’ennemi aura du mal à résister”

C’est l’un des grands enseignements de la guerre en Ukraine : les conflits modernes réclament une quantité très importante de drones. La France dispose d’un véritable savoir-faire en la matière mais sa filière, constituée de nombreux acteurs, doit s’organiser pour créer davantage de synergies et répondre aux exigences d’une économie de guerre. Signe que les lignes bougent, Thales a regroupé récemment la plupart des dronistes français à l’occasion d’une journée consacrée aux drones aériens de contact. Le début d’une nouvelle ère ? Gilles Labit, directeur du département drones militaires chez Thales, nous livre son analyse.

L’Express : Quelles leçons la filière française tire-t-elle de la guerre en Ukraine ?

Gilles Labit : On s’est rendu compte que les conflits modernes consomment énormément de drones. Ces appareils peuvent servir à de nombreux usages : détruire une cible, aider l’artillerie à définir ses objectifs, vérifier que ces derniers ont été bien traités après le tir, détecter les brouilleurs ou les systèmes ennemis perturbant le champ de bataille, protéger l’avancement des troupes…

On voit aussi qu’il faut être capable de proposer beaucoup de fonctionnalités différentes. En d’autres termes, il nous faut une biodiversité importante de drones. Plus celle-ci sera élevée, plus l’ennemi aura du mal à résister. A l’inverse, si on ne lui oppose que deux ou trois modèles, il saura très vite s’adapter.

L’heure est à la diversité et à la mutualisation.

En partant de ce constat, l’objectif de Thales est de développer une bibliothèque de charges utiles pouvant s’intégrer, de manière standardisée, dans tous les modèles de drones. Ce peut être un système d’écoute téléphonique, un radar… Cela n’aurait pas de sens si chaque acteur développait ces éléments dans son coin. L’heure est à la diversité et à la mutualisation. L’autre point dur sur le champ de bataille ukrainien, c’est le brouillage des systèmes de positionnement par satellites. Pour remédier au problème, Thales propose des briques technologiques permettant aux drones de se géolocaliser sur le terrain par la vision. Nous mettons ces solutions à disposition de l’écosystème. Chaque acteur peut venir les piocher dans notre bibliothèque et les utiliser dans ses propres modèles.

La France est-elle capable de produire beaucoup de drones ?

Les industriels ne peuvent pas fournir 10 000 unités par mois, ce qui correspond au taux de consommation ukrainien. Nous ne sommes pas en économie de guerre. Qu’entend-on par-là ? Il s’agit d’avoir cette capacité à produire en quantité deux, cinq ou dix fois plus qu’en temps de paix. Pour cela, il faut des lignes de production vides capables de se remplir dès que le signal est donné, avec toute la chaîne logistique qui va avec. Ce n’est pas simple. Cela nécessite à la fois des investissements mais aussi des garanties sur le fait de savoir qui va payer. Les industriels sont prêts à prendre une partie de ce coût, bien entendu. Cependant, il faudra une aide de la puissance publique.

De même, il faut dimensionner cette économie de guerre : combien d’unités doivent être produites une fois le signal donné ? Autre sujet sur la table : comment faire pour acheminer des munitions ou des drones sur le front tout en restant discret, sachant que les drones rendent le champ de bataille transparent ? On se souvient des taxis de la Marne, en 1914. Or, cette grande manœuvre logistique fonctionnerait sans doute beaucoup moins bien aujourd’hui. Face à ces problématiques, les réflexions avancent. Il faut désormais les mettre en musique.

Sommes-nous entrés dans l’ère du drone jetable ?

Là encore, la guerre en Ukraine est riche d’enseignement. Même si on essaie de tirer les prix vers le bas en produisant beaucoup ou en intégrant du carton dans la fabrication, le drone reste relativement cher. On s’est rendu compte qu’utiliser des modèles vendus dans le commerce en y accrochant des munitions par en dessous ne donnait pas de résultats satisfaisants. Pour que le drone soit efficace, il doit avoir un minimum de qualification, être un objet dédié à sa tâche. Dans le cas contraire, il a une chance sur deux de blesser une unité amie. C’est le ratio que nous avons observé en Ukraine.

Ensuite, il ne faut pas oublier que derrière les drones, il y a des opérateurs humains qu’il faut former et protéger, ce qui entraîne des coûts supplémentaires. Encore une fois, ce dont nous avons besoin, c’est d’une quantité et d’une diversité suffisante de drones. C’est justement ce travail dans lequel s’engage la filière aujourd’hui.