Trois étapes pour basculer vers une économie de guerre à la française, par William Thay

Trois étapes pour basculer vers une économie de guerre à la française, par William Thay

L’Europe est prise dans un paradoxe : jamais ses dirigeants n’ont autant mis en avant la réindustrialisation, et pourtant, la production industrielle de l’UE a diminué de 2 % en 2023. Nous n’arrivons pas à joindre les actes aux paroles, car il manque un leadership européen clair. La France aurait intérêt à se distinguer en proposant un cap à l’Europe : transformer notre économie en économie de guerre, pour soutenir l’effort militaire ukrainien et parvenir ainsi à réindustrialiser le pays.

Basculer en économie de guerre ne se fera pas en quelques semaines, mais il est urgent de commencer maintenant. L’Ukraine est en train de perdre du terrain malgré un important soutien militaire occidental, notamment américain, alors que celui-ci pourrait s’amoindrir en raison de la présidentielle aux Etats-Unis et des pressions d’une partie de l’opinion publique à rediriger l’aide vers les ménages américains.

Cela emporterait deux conséquences pour la France et l’Europe : il faudrait augmenter massivement le soutien à l’Ukraine pour inverser le cours du conflit et se substituer à l’appui américain qui pourrait s’arrêter avec la victoire de Donald Trump à la fin de l’année. Autrement, nous sommes condamnés à voir Vladimir Poutine atteindre ses objectifs de guerre : conserver 20 % du territoire ukrainien, via des Républiques fantoches, et neutraliser l’Ukraine.

La France doit prendre les devants, car elle est le seul pays européen capable de le faire rapidement. Nous disposons de trois atouts pour opérer cette transition vers une économie de guerre : la production énergétique, avec notre parc nucléaire, qui peut soutenir l’augmentation de la production industrielle ; notre complexe militaro-industriel exportateur, qui a conservé un savoir-faire ; notre production agricole, enfin, notamment céréalière, qui doit nous prémunir des risques de pénuries liées à la mise en place d’une telle économie. Seulement, cela ne suffit pas. Dans une France davantage industrialisée et agricole, Blum et Daladier ont mis deux ans et demi à basculer en économie de guerre. Or l’Ukraine ne peut se permettre d’attendre autant.

La France a survécu aux crises, aux guerres et aux occupations, nous pouvons faire mieux que Blum et Daladier. Pour cela, il ne suffit pas de décréter “Produire plus et plus vite”, mais mettre en œuvre une stratégie en trois étapes pertinentes pour y parvenir.

Des verrous à lever

Première étape, nous devons créer les conditions d’une montée en charge de la production industrielle. Nous ne pouvons pas créer une économie de guerre dans un pays qui a davantage besoin de juristes et de fiscalistes que d’ingénieurs et d’industriels. Cela passe par la levée de trois verrous : la fiscalité, les normes et le temps de travail, qui ont rendu notre industrie moins compétitive et sont responsables de la désindustrialisation. Par exemple, il serait judicieux de porter l’effort militaire à 3 % du PIB et lever les contraintes réglementaires empêchant les banques françaises de prêter aux industriels de défense ; d’opérer un choc de simplification sur les normes industrielles ; et d’autoriser des augmentations de temps de travail à 42 heures dans des secteurs clés.

Deuxième étape, nous devons cibler les secteurs industriels essentiels pour soutenir un effort de guerre. Or, en France, ils sont tous en crise. Notre production s’est effondrée dans le textile (– 51 % depuis 2000), nécessaire pour les uniformes ; dans le raffinage (– 34 % depuis 2000), nécessaire pour le déplacement de troupes ; ou encore dans l’automobile (– 28 % depuis 2000), nécessaire pour fabriquer des véhicules motorisés, des blindés et des ambulances. Pour réussir cette transition, il nous faut convertir des usines par proximité sectorielle.

Dernière étape, nous devons opérer une montée en gamme technologique au niveau industriel et militaire. Basculer en économie de guerre supposera de relancer notre R & D. Chaque milliard d’euros investi dans l’industrie de défense génère 2 milliards d’euros d’activité (PIB) supplémentaires au bout de dix ans et permet d’aboutir à des innovations de rupture au bénéfice de la société dans de nombreux domaines : robotique, GPS, médecine…

Mettre en œuvre une économie de guerre à la française conduira à libérer toutes les énergies du pays pour produire plus. Ainsi nous ferons d’une pierre deux coups : nous sauverons l’Ukraine de la Russie et nous sauverons notre économie de la ruine.

William Thay, président du think tank gaulliste et indépendant le Millénaire.