“Une grande peur s’est installée” : au Kazakhstan, l’ombre de Poutine sur les déserteurs russes

“Une grande peur s’est installée” : au Kazakhstan, l’ombre de Poutine sur les déserteurs russes

Sur la rive ouest du lac Balkhach, le plus grand du Kazakhstan, une voiture de police de la Fédération de Russie, un aigle bicéphale floqué sur la portière avant, file dans les allées de la ville de Priozersk. À son bord, Kamil Kassimov, un déserteur russe qui vivait dans l’ex-république soviétique depuis plusieurs mois pour échapper à la guerre en Ukraine. Ce 23 avril, des officiers du FSB, le service de renseignement russe, sont venus le kidnapper dans cette ville kazakhe co-administrée par la Russie.

La méthode avait déjà été expérimentée en Arménie. Deux déserteurs militaires russes avaient été enlevés par des officiers du FSB dans la ville de Gyumri où, comme à Priozersk, la Russie dispose d’une base militaire. Une manière, pour le Kremlin, de rappeler que cette république d’Asie centrale, qui partage une frontière de plus de 6 000 kilomètres avec la Russie, n’est pas un pays sûr pour la quinzaine de déserteurs qui s’y cache. “Une grande peur s’est installée parmi eux, affirme Artur Alkhanov, avocat au bureau international des droits de l’homme du Kazakhstan, qui s’occupe du cas de Kamil Kassimov. Nous ne sommes pas certains que Kamil Kassimov est le seul à avoir été enlevé”, lâche l’avocat.

Terrains militaires russes au Kazakhstan

Parmi la population de 17 000 habitants de cette ville composée pour près des deux tiers de Kazakhs et pour 30 % de Russes, la nouvelle n’a pas vraiment suscité d’émoi, ni remis en question la gouvernance de la ville. Ici, on côtoie chaque jour des soldats russes, en civil ou en uniforme, faisant leurs courses au marché et mangeant l’été des “chachliks” (brochette de viandes) en terrasse. “Chez nous, c’est l’amitié entre les peuples”, avance fièrement Arman, chauffeur de taxi. “On n’a pas peur d’eux, ce sont des fonctionnaires, pas des soldats armés”, pense Alish Eruserov, ouvrier du BTP, qui a vu sa ville se tourner vers le tourisme avec la construction de centres balnéaires sur la rive du lac.

Après la Seconde guerre mondiale et les débuts de la Guerre Froide, des dizaines de villes d’URSS ont été classées “unité administrative et territoriale fermée” – ZATO, selon le sigle russe. Ces dernières, dont le nombre exact reste encore inconnu, hébergeaient des sites de missiles nucléaires, des systèmes de défense ou des centres de recherches, où l’on mettait au point des armes de destruction massive.

Priozersk faisait partie des 13 villes expérimentales du Kazakhstan, ce qui lui a valu d’être rayée des cartes jusqu’au début des années 2000. Seules les ruines de l’ancien check point, à l’entrée de la ville, rappelle l’époque où la ville était fermée. Elle n’en reste pas moins propriété de la Russie qui, en échange de 16 millions de dollars annuels, maintient une présence militaire dans cette partie du Kazakhstan et continue d’exploiter le polygone militaire de Sary-Shagan, un champ de tir d’une superficie d’un million d’hectares dans “le désert de la faim”, au milieu du pays. Le dernier test en date a eu lieu en avril 2024. “Sary-Shagan est régulièrement utilisé pour tester les défenses de missiles balistiques, explique Pavel Podvig, analyste militaire de l’armée russe. Une à deux fois par an, des missiles Topol sont également tirés à partir d’une autre base (Kapustin Yar), située dans l’oblast d’Astrakhan, dans le Caucase russe.”

Dans cette ancienne république soviétique, la Russie a également gardé la main sur le site spatial de Baïkonour, sur une station d’essai dans le Kazakhstan occidental et sur un régiment d’aviation installé sur l’aérodrome de Kostanai. Au total, Moscou loue 95 727 kilomètres carrés de terres au Kazakhstan et conserve une influence militaire et économique non négligeable sur le pays, ce qui lui permet d’envoyer les services du FSB traquer opposants et déserteurs.

Mémorial de l’opération militaire spéciale

“Sans les Russes, cette ville n’aurait jamais existé”, souffle Edouard. Cet ancien gradé russe, qui a servi toute sa carrière au centre d’essai de missiles de Sary-Shagan, est aujourd’hui responsable du musée militaire, à l’intérieur de la “Maison des officiers”, un bâtiment appartenant à la Russie. À elle seule, cette bâtisse, toujours frappée de l’emblème de la faucille et du marteau, raconte le petit siècle de soviétisation du Kazakhstan. Y sont conservés les plus grands symboles de l’Union soviétique : livres, drapeaux rouges et même une statue de Lénine plaquée or. Avec, en prime, un petit mémorial de “l’opération militaire spéciale”, comme une continuité de l’histoire. Sur ses murs, des photos de Vladimir Poutine aux côtés du président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev rappellent la dépendance de ce dernier à la puissance russe.

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