Une “priorité nationale” : pourquoi la Chine copie Elon Musk dans l’internet spatial

Une “priorité nationale” : pourquoi la Chine copie Elon Musk dans l’internet spatial

Pékin s’est découvert un adversaire inattendu, après l’offensive de Poutine. Pour la Chine qui lorgne sur Taïwan, la guerre en Ukraine est riche d’enseignements. Les Occidentaux sont-ils alignés ? Quelles sanctions cette agression a-t-elle déclenchées ? Quelles armes sont utilisées ? Et là, vertige… un nouvel acteur bouleverse l’art de la guerre : Starlink.

La constellation satellitaire d’Elon Musk est aujourd’hui bien plus qu’un service Internet commode pour les habitants de régions mal connectées. C’est devenu un actif militaire majeur. Les réseaux télécoms sont les premières cibles en temps de guerre. Les paralyser bloque l’économie d’un pays. Et affaiblit sa capacité à résister de manière coordonnée. Mais des constellations comme Starlink permettent d’amener ou de rétablir aisément cette connectivité dans une zone. Il suffit d’y expédier de petites antennes faciles à installer.

“La guerre en Ukraine a prouvé l’intérêt de ces constellations en basse orbite pour la sécurité nationale d’un pays. La Chine veut s’assurer d’avoir des capacités similaires dans la région Indo-Pacifique”, analyse Clayton Swope, directeur adjoint du projet de sécurité aérospatiale au sein du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), basé à Washington.

L’intérêt de la Chine pour ces constellations est devenu encore plus visible le 6 août 2024, avec le lancement de 18 satellites Qianfan — les premiers d’une constellation qui doit en compter 1 296. Comme l’explique Lucie Sénéchal-Perrouault, doctorante au CNRS spécialisée dans le spatial commercial chinois, ce projet “implique de nouveaux acteurs hors du spatial traditionnel. Contrairement à China SatNet (aussi appelé “Guowang”) l’autre projet de méga constellation, il n’émane pas de l’état central. L’entreprise en charge du projet, Shanghai Danxing, est financée en partie par des fonds d’investissement locaux, de la région de Shanghai. Le constructeur, Genesat, est une entreprise mixte issue de l’Académie chinoise des sciences” (CAS).

Qianfan, aussi nommé “G60”, n’est officiellement pas militaire, mais il est indéniable que la guerre en Ukraine a accéléré le développement des méga constellations et aiguisé l’intérêt du gouvernement. “Depuis l’utilisation de Starlink en Ukraine, le développement des constellations est devenu une priorité nationale. En outre, le spatial commercial a été qualifié de ‘nouvelle force productive de qualité’ au dernier plénum, lui donnant une place au sein de la stratégie d’État qui mise sur les hautes technologies pour le développement et la compétitivité du pays”, complète Lucie Sénéchal-Perrouault.

“Les armées qui n’ont pas de constellations seront déclassées”

Très mobilisée sur le sujet, la Chine a également demandé en 2020 à l’Union internationale des télécommunications (UIT) l’attribution de fréquences pour Guowang, qui devrait comprendre 13 000 satellites. Pour l’heure, cet autre projet de constellation chinois semble pourtant se développer plus lentement que prévu. “Qianfan, un projet régional, semble avoir, au moins temporairement, volé la vedette à un projet national, ce qui confirme l’émergence d’un nouveau modèle de spatial commercial en Chine avec une diversité d’acteurs”, observe Lucie Sénéchal-Perrouault.

En plus de son rôle dans l’accès à Internet, Qianfan doit aider la Chine à s’assurer l’accès à des fréquences et à des orbites, ressources limitées attribuées par l’UIT sur une logique de “premier arrivé, premier servi”. “C’est une question de souveraineté importante pour la Chine, qui dénonce d’ailleurs de longue date le fonctionnement de l’UIT comme désavantageux pour les pays en voie de développement”.

Cette question de souveraineté est d’autant plus importante qu’en temps de guerre, ces satellites en orbite basse ont de nombreux avantages. Ils sont durs à brouiller : leur signal est mobile et plus fort que celui d’un engin en orbite géostationnaire. “Et si l’ennemi perturbe leur fonctionnement, ils peuvent être reconfigurés rapidement”, nous expliquait, en juin dernier, Antoine Bordes, vice-président du spécialiste de l’IA de défense Helsing.

Le fait que ces constellations soient composées d’un grand nombre de satellites – déjà 6 000 en orbite pour Starlink et 42 000 à terme —, les rend également plus résilientes : même si quelques appareils venaient à être attaqués et détruits, d’autres peuvent prendre le relais.

Leur rapidité de transmission ouvre enfin la voie à de nouveaux usages. La détection de missiles hypersoniques, par exemple. Ces armes dévastatrices, qui vont cinq fois plus vite que le son, sont difficiles à détecter depuis le sol. Mais à 36 000 kilomètres d’altitude, les classiques satellites géostationnaires mettent près d’une demi-seconde à recevoir et retransmettre l’information. Autant dire une éternité. Avec une latence dix à quinze fois réduite, les satellites en orbite basse sont en revanche de bons alliés. Ils permettront de ce fait d’échanger de plus en plus d’informations tactiques, d’un pilote d’avion de chasse, par exemple, à d’autres avions, des militaires au sol et même l’état-major.

Les armées de demain se diviseront en deux catégories : celles qui ont des constellations de ce type et celles qui n’en ont pas. Celles-ci se verront déclassées. Ou elles s’abonneront aux services d’autres pays mais n’auront donc pas la maîtrise de leurs données militaires. Il y a un enjeu de souveraineté majeur”, expliquait en juillet, à L’Express, le général Philippe Steininger, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et conseiller militaire du président du Centre national d’études spatiales (Cnes)

La Chine et les US s’affrontent dans l’internet par satellite

La Chine l’a bien compris. Dès 2022, rappelle Reuters, des chercheurs de l’université d’ingénierie militaire de l’armée chinoise (ALP) ont alerté sur “l’excellente performance” de cette constellation, appelant la Chine à développer “de toute urgence” des engins capables de détruire, ou à tout le moins désactiver, ce type de satellites. Si un conflit éclatait en Asie, mettaient-ils en garde, “les Etats-Unis et les Européens utiliseraient sans doute massivement Starlink”.

La Chine pourrait également se servir de sa constellation pour défendre ses intérêts géopolitiques — en fournissant notamment l’accès à des pays alliés. “La Chine voie les services numériques, tels que l’internet par satellite, comme un prolongement de son initiative des Nouvelles Routes de la soie qui vise à étendre son influence dans le monde, en particulier dans le Sud global, pointe Clayton Swope. L’internet par satellite sera un outil de plus utilisé par la Chine pour exercer une influence économique et politique dans d’autres pays. La Russie, par exemple, pourrait souhaiter un accès à internet satellitaire fourni par la Chine.”

Néanmoins, dans la bataille des constellations spatiales, les Etats-Unis ont “au moins cinq ans d’avance”, selon l’expert du CSIS. Non seulement, l’entreprise d’Elon Musk a mis ses premiers satellites Starlink en orbite dès 2019, mais elle dispose avec les Falcon de lanceurs réutilisables aussi efficaces qu’économiques. A plus long terme, son futur Starship devrait même avoir la capacité d’embarquer et lancer des centaines de satellites Starlink à la fois. Un atout de taille car les composants de ces constellations doivent être régulièrement remplacés. “Le projet de constellation Kuiper d’Amazon devrait également être lancé cette année”, précise Clayton Swope.

Si la Chine a les moyens techniques pour mettre en orbite les constellations de satellites, la question des capacités de lancement se pose. Le pays peut compter sur ses lanceurs “Longue Marche”, dont le modèle “6A”, actif depuis 2022, est capable de transporter 4 000 kilos de charge utile, mais la Chine ne dispose que d’un nombre de pas de tir limité. “Des alliances se nouent pour construire de nouveaux pas de tir, soutenus au niveau provincial”, indique Lucie Sénéchal-Perrouault. En attendant, “l’espoir des entreprises de lancement commerciales, qui orientent leur communication en ce sens, est de remplir leurs carnets de commandes par le déploiement de ces nouvelles constellations”.

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