Vins : dans le Bordelais, le temple zéro carbone de Cantenac Brown

Vins : dans le Bordelais, le temple zéro carbone de Cantenac Brown

Malgré le formidable élan de l’agriculture biologique, la filière vin souffre. Six millions d’hectolitres sont partis en distillation l’année dernière et une centaine de milliers d’hectares vont être arrachés, soit près de 15 % de la surface totale. La faute au désamour qui frappe le sang de la vigne en France : moins 70 % en soixante ans – les rouges étant plus à la peine que les autres. Pour conjurer l’inexorable tendance, les initiatives se multiplient. Comme, pour recouvrer la faveur des palais féminins et des milléniaux, réduire le taux d’alcool, casser les codes de la consommation, relancer la production de blanc. Ou encore inventer de nouveaux chais. De quoi redonner des couleurs à notre viticulture ?

Château parmi les plus remarquables du Bordelais par sa spectaculaire architecture écossaise en terres médocaines, Cantenac Brown continue de se distinguer sur la rive gauche. Mais par une humble construction, en bois brut et terre crue, à l’opposé de l’exubérant manoir.

Trois lignes rouges, de la couleur du vin, courent un peu tremblantes le long du mur de pisé café au lait : le millefeuille d’argile porte les stigmates – des bandes horizontales – de cette technique de construction ancestrale, consistant à empiler des couches de terre compactée. L’ouvrage de 350 mètres carrés, réalisé par des artisans toulousains, constitue une prouesse et un défi aux autres corps de métiers – pour poser les fenêtres, la charpente, etc. Le mur d’aspect modeste mesure en réalité 1 mètre d’épaisseur avec sa couche d’isolation en liège et son revêtement intérieur en terre crue également, mais sous forme de briques.

Un temple “zéro carbone”

La famille Le Lous inaugurait en avril 2024 ce temple “zéro carbone” élevé pour honorer “un produit qui doit tout à la nature”. Le chantier de trois ans “a repoussé les limites de l’écoresponsabilité”, estime le propriétaire, Tristan Le Lous, qui avait confié le projet à un maître du genre, l’architecte Philippe Madec. Pas un gramme de ciment – juste un minimum de béton décarboné pour les fondations, des puits canadiens pour limiter la consommation énergétique, des matériaux biosourcés (bois et terre) en Nouvelle-Aquitaine, ou recyclables (verre et acier), ou même recyclés puisque le bâtiment réutilise une partie des murs d’un ancien centre de séminaires. Cantenac Brown dispose de 5 000 mètres carrés d’installations nouvelles sans avoir artificialisé un pouce de son parc arboré.

Mais la frugalité des lieux n’a d’égale que l’ambition d’y faire des grands vins dans un environnement dépollué, conjuguant les qualités thermiques et hygrométriques du bois et de la terre dans le chai d’élevage (sans climatisation), et la précision d’un cuvier repensé pour les vinifications parcellaires et gravitaires.

Le Yin et le Yang

Les deux espaces du nouveau bâtiment se répondent comme le yin et le yang : la lumière et la modernité dans la partie technique, éclairée par d’immenses baies vitrées et l’éclat de 70 cuves tronconiques alimentées par ascenseur ; le recueillement et la pénombre dans la salle des barriques, sous une somptueuse voûte en bois massif en forme de coque de bateau renversée, véritable cathédrale de silence posée sur de fins compas de métal. Le millésime 2023, embarqué pour son voyage immobile, marque l’an zéro d’une nouvelle ère à Cantenac Brown. Un monde inédit pour José Sanfins, le “capitaine” du domaine, entré comme “mousse” (stagiaire) il y a trente ans. Un horizon audacieux pour le troisième cru classé de margaux.

Grand-Puy Ducasse, le chai urbain suspendu

Seul château à vinifier ses vins dans le centre-ville de Pauillac, et ce depuis deux cents ans, Grand-Puy Ducasse n’a pas eu le loisir de creuser ni de construire en hauteur pour moderniser ses installations – des travaux devenus indispensables pour mettre en valeur sa mosaïque de parcelles. Dix ans de réflexion ont été nécessaires à l’écriture d’une architecture high-tech “suspendue” à 218 micropieux, glissée dans la peau du vieux château. La création d’un cuvier la tête en bas (48 cônes inversés, accrochés au plafond) a permis de libérer de l’espace pour aménager un parcours touristique. Il n’y a pas que des cuves fixées sous le toit du cinquième grand cru classé : une trentaine de nids d’hirondelles ont retrouvé leur place à la fin du chantier pour accueillir leurs locataires au retour de la migration.