Vladislav Klyushin, le trader du Kremlin qui a détroussé Wall Street

Vladislav Klyushin, le trader du Kremlin qui a détroussé Wall Street

Il devait passer neuf ans de sa vie derrière les barreaux mais Vladislav Klyushin jouit de nouveau de sa liberté. Jeudi 1er août, sur le sol turc d’Ankara, il fait partie du contingent de détenus russes remis par les Occidentaux en échange de la libération de personnalités – comme Evan Gershkovich, journaliste du Wall Street Journal – croupissant dans les geôles de l’autoritaire Fédération de Russie. Sa présence sur la liste réclamée par le Kremlin témoigne de son importance pour le régime de Poutine. Le fondateur de la société M-13, se présentant comme spécialiste dans le domaine de la cybersécurité, purgeait une peine pour délit d’initié.

Offrant ses services à de grands groupes (Skechers, Snapchat, Tesla) cotés à la bourse de Wall Street, il a profité des informations glanées via son entreprise pour anticiper les mouvements de leurs actions. Les Echos pointent aussi le ciblage des sociétés Toppan Merrill et Donnelley, qui “collectent les informations financières des sociétés cotées pour les formater et les rendre conformes aux exigences du gendarme des marchés, la Securities and Exchange Commission (SEC)”. Durant quelques heures, elles disposent “d’un trésor, les résultats des groupes américains destinés à être annoncés ultérieurement, après la clôture de Wall Street”. Grâce à ces manigances, Kadyushin a empoché un beau butin de 93 millions de dollars, selon la chaîne de télévision américaine CNBC. Il demandait une rétrocession de 60 % des profits des investisseurs à qui ils communiquaient ses précieuses informations.

La première grosse alerte ayant attiré l’attention des autorités relève d’un simple constat. Quand M-13 faisait 900 % de croissance, Wall Street ne progressait que de 25 %. En activité entre 2018 et 2020, Kadyushin aura commis quelques erreurs permettant à B.J. Kang, un des agents du FBI lors de l’affaire Madoff, de remonter jusqu’à lui. Les Echos soulignent des “propos trop explicites sur l’application de messagerie Threema”, ainsi que le paiement d’ordinateurs “en bitcoin, sans prendre la peine de brouiller les pistes de cette crypto traçable”.

Son arrestation, dans la station huppée de Sion en mars 2021, est soigneusement dissimulée tant le dossier est sensible. Nous sommes alors en amont du conflit ukrainien et les tensions entre l’Occident et la Russie sont importantes. Il faudra attendre le mois de juin de la même année pour que Gotham City – média indépendant spécialisé sur les affaires de police/justice – révèle au grand jour l’affaire. Dans la foulée, le quotidien généraliste suisse Le Temps mettait en évidence sa proximité avec “Alexeï Gromov, [alors] éminence grise des médias russes”. La société de Kadyushin fournissait un service de veille des médias baptisé “Katioucha” – du nom des lance-roquettes multiples – au Ministère de la défense et au sein de l’administration présidentielle russes.

Dans un documentaire intitulé Putin’s traders (“les traders de Poutine”), la chaîne CNBC a enquêté sur les activités interlopes de Kadyushin, révélant qu’elles dépassaient l’intérêt lucratif. Ils sont 12 agents de renseignement, avec lui, à avoir été accusé de délit d’initié par les autorités américaines en 2021. Les activités de Kadyushin s’inscrivaient également dans une volonté de déstabilisation des Etats-Unis, dont les marchés financiers sont perçus comme l’un de ses principaux atouts. “C’est une guerre qui se déroule actuellement entre la Russie et l’Occident. Les finances, les banques et le secteur financier lui-même, ne sont que l’un des champs de bataille”, a déclaré un ancien membre haut placé du service de renseignement russe FSB, dont l’anonymat a été préservé par la chaîne américaine.

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