William Ripple : “Une grande partie de la structure même de la vie sur Terre est en péril”

William Ripple : “Une grande partie de la structure même de la vie sur Terre est en péril”

“Nous sommes au bord d’une catastrophe climatique irréversible. Il s’agit sans aucun doute d’une urgence mondiale. Une grande partie de la structure même de la vie sur Terre est en péril”. La conclusion d’une étude internationale publiée le 8 octobre dans la revue BioScience est sans appel… et fait froid dans le dos. Dans ce rapport intitulé “2024 State of the Climate Report”, un groupe réunissant certains des plus grands experts mondiaux du climat soulignent que 25 des 35 “signes vitaux” de notre planète qu’ils suivent depuis plusieurs années ont désormais atteint des niveaux records. La liste des alertes est sans précédent : l’année écoulée a été la plus chaude jamais enregistrée. Les températures et les niveaux des océans, tout comme leur acidité, sont à des sommets. Les glaces de l’Arctique, de l’Antarctique et des glaciers du monde entier fondent, eux, 31 % plus rapidement qu’il y a quinze ans. Les auteurs ajoutent que la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique pourrait être irréversible à l’échelle de plusieurs siècles, même si les émissions de CO2 étaient réduites.

La déforestation a également progressé, passant de 23 millions d’hectares détruits en 2022 à 28 millions en 2023 (l’équivalent d’un pays comme l’Equateur). Résultat : l’Amazonie, autrefois puits de carbone, s’est transformée en émetteur net de CO2. Et notre consommation de combustibles fossiles a, elle aussi, encore augmenté de 1,5 %. Il n’y a, de mémoire humaine, jamais eu autant de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) dans notre atmosphère. William Ripple, professeur émérite à l’Oregon State University et principal coauteur du rapport, détaille dans L’Express ses conclusions et sa vision de l’avenir de l’humanité dans un monde confronté aux affres du réchauffement climatique. Il prône notamment l’adoption d’un prix du carbone suffisamment élevé pour réduire les émissions. Entretien.

L’Express : Dans ce nouveau rapport, vous concluez que l’avenir de l’humanité est “sur un point d’équilibre”. Notre génération risque-t-elle de connaître les prémices d’une nouvelle ère pour la race humaine ?

William Ripple : Nous assistons depuis 1850 environ à une accélération rapide de la consommation d’énergies fossiles et d’autres activités humaines. Les conséquences climatiques de cette accélération sont de plus en plus graves et comprennent des vagues de chaleur dévastatrices, des tempêtes tropicales intenses et des inondations importantes. Cet ensemble suggère que l’humanité est entrée dans un territoire inconnu, une nouvelle ère très dangereuse.

Selon vous, et même si vous ne pouvez pas prédire l’avenir avec exactitude, quel sera le climat en 2050 ? En 2100 ? Et quelle sera la place de l’humanité sur Terre à ces périodes-là ?

Les actions que nous menons aujourd’hui peuvent avoir un effet majeur sur l’état du climat de demain. Si nous poursuivons les politiques actuelles, nous pourrions nous retrouver avec un réchauffement de 2,7 °C d’ici 2100. Ce niveau de réchauffement serait véritablement catastrophique et pourrait entraîner plusieurs millions de morts. Nous pensons donc, avec les climatologues du monde entier qui ont écrit cette étude, que limiter le réchauffement futur doit être une priorité absolue dès maintenant.

Par jour en °C

Nous prenons plus que ce que notre Terre peut donner en toute sécurité. Et cela pousse notre planète vers des conditions climatiques plus menaçantes que tout ce que nos parents préhistoriques ont pu observer. Depuis la publication de notre rapport 2023, de nombreuses catastrophes liées au climat ont eu lieu, notamment une série de vagues de chaleur en Asie qui ont tué plus d’un millier de personnes et entraîné des températures atteignant 50 °C dans certaines régions de l’Inde. Le changement climatique a déjà déplacé des millions de personnes, et pourrait en déplacer encore des centaines de millions, voire des milliards. Cela entraînerait probablement une plus grande instabilité géopolitique, peut-être même un effondrement partiel de la société.

Que recommandez-vous aux dirigeants mondiaux pour arrêter l’effondrement de la faune, réduire les émissions de gaz à effet de serre et rendre la planète plus vivable pour l’humanité d’ici la fin du siècle ?

Nous devons donner la priorité à une réduction rapide de l’utilisation des combustibles fossiles à l’échelle mondiale. Par exemple, l’adoption d’un prix mondial du carbone pourrait contribuer à réduire les émissions et fournir des fonds pour soutenir les efforts d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Nous avons également besoin d’une transformation plus large de l’économie afin que le bien-être et les besoins fondamentaux de tous soient prioritaires.

Pensez-vous toujours, comme la plupart des scientifiques, qu’il n’est pas trop tard ? Peut-on encore limiter le réchauffement climatique ? Ou même l’inverser ?

Empêcher ne serait-ce qu’un réchauffement minime dans le futur pourrait sauver des millions de vies. Il n’est donc certainement pas trop tard pour s’attaquer au changement climatique et aux autres problèmes environnementaux. Nous devons également œuvrer pour inverser les dommages causés. Par exemple, la protection et la restauration des forêts peuvent aider à maintenir la biodiversité tout en retirant du carbone de l’atmosphère, contribuant ainsi au refroidissement de la planète.

Pensez-vous que, comme l’écrit le Guardian, il devrait y avoir une politique visant à réduire la taille de la population humaine ? Est-ce réellement souhaitable alors que le monde, et notamment l’Occident, fait face à une baisse inquiétante des naissances ?

Il est clair que nous avons besoin de politiques qui limitent la surconsommation des personnes les plus riches, tout simplement parce qu’ils ont contribué de manière disproportionnée à la crise climatique que nous connaissons. Parallèlement, il est nécessaire de mettre en place des politiques socialement justes qui favorisent l’égalité entre les sexes et les opportunités d’éducation, notamment pour les femmes. De telles mesures peuvent effectivement conduire à une réduction des taux de fécondité dans certaines régions du monde et à une amélioration de la qualité de vie, mais de manière totalement indirecte. Vous savez, nous serons près de 10 milliards d’humains sur Terre d’ici à 2080-2100. Notre planète n’est tout simplement pas faite pour absorber la consommation d’une telle population, en tout cas pas si chacun tend à consommer comme des Américains ou des Européens. De plus, chaque dixième de degré supplémentaire va rendre certaines parties de la planète totalement inhabitable, réduisant de fait notre espace vital. Même en l’absence d’effondrement mondial, le changement climatique pourrait causer plusieurs millions de morts supplémentaires d’ici 2050. Nous avons besoin d’un changement audacieux et transformateur.

Au-delà de cet aspect-là, il est aussi primordial de restaurer et de réensauvager les écosystèmes, ou encore d’intégrer l’éducation au changement climatique dans les programmes scolaires mondiaux pour stimuler la sensibilisation et l’action. Car la réponse viendra de nous, et des générations futures. L’avenir de l’humanité est en jeu. Ce n’est qu’en prenant des mesures décisives que nous pourrons préserver notre monde, éviter de profondes souffrances humaines et garantir que les générations futures hériteront de la planète vivable qu’elles méritent.

L’éventuelle élection de Donald Trump aux Etats-Unis en novembre prochain enverrait un signal très négatif en termes de protection du climat et de l’environnement. Êtes-vous inquiet ?

Nous pensons que les Etats-Unis devraient être un leader en matière de protection du climat et de l’environnement, notamment parce qu’il s’agit d’un pays riche qui a grandement contribué à la crise climatique. De manière générale, nous sommes préoccupés par le fait que les dirigeants américains ne prennent pas suffisamment de mesures pour faire face au changement climatique.

L’Europe veut être l’un des leaders dans la lutte contre le changement climatique. L’Union européenne en fait-elle assez selon vous ?

Nous apprécions les efforts de l’Union européenne pour atténuer les effets du changement climatique, même si nous pensons que des plans plus ambitieux de réduction des émissions sont nécessaires.

Si nous devions choisir une seule mesure à mettre en œuvre urgemment pour sauver l’humanité, laquelle préconiseriez-vous ?

A ce stade, nous pensons que sauver l’humanité d’un changement climatique catastrophique nécessitera une action à grande échelle dans de nombreux domaines de la société. Cela dit, convenir d’un prix mondial du carbone suffisamment élevé est probablement l’une des meilleures mesures spécifiques de politique climatique qui puissent être prises.

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