Nouvelle-Calédonie : les coulisses du plan de Michel Barnier pour sauver l’archipel

Nouvelle-Calédonie : les coulisses du plan de Michel Barnier pour sauver l’archipel

Mardi 1er octobre, Nicolas Metzdorf déjeune à l’Elysée avec Emmanuel Macron. Le président tente de calmer les inquiétudes du député (Ensemble) de Nouvelle-Calédonie, lui assure que le territoire est au cœur des préoccupations. La preuve : Michel Barnier va parler du territoire dans sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale cet après-midi-là. Une fois encore, Emmanuel Macron rassure l’élu de son groupe. Le Premier ministre insistera sur la nécessité de reconstruire un territoire ravagé depuis cinq mois par les émeutes. Matignon n’évoquera pas l’abandon du projet de réforme constitutionnelle sur le dégel du corps électoral – celui qui a justement mis le feu aux poudres dans l’archipel en mai. La déclaration du Premier ministre serait perçue par le camp loyaliste comme une victoire des indépendantistes. Main sur l’épaule, les yeux dans les yeux, le président insiste. Rassuré, Metzdorf saute sur un scooter et file à l’Assemblée. Quelques minutes plus tard, patatra : “en accord avec le président de la République”, Michel Barnier annonce que le projet de loi constitutionnelle adopté en mai ne sera pas soumis au Congrès.

“Emmanuel Macron avait déjà annoncé la suspension du projet de loi en mai, observe Milakulo Tukumuli, co-fondateur de l’Eveil océanien, présent ce jour-là à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une délégation calédonienne venue à Paris. Il n’y a rien de mal à dire qu’un cadavre est mort”. Sur son banc, Nicolas Metzdorf fulmine. A la sortie, il menace de voter la motion de censure du gouvernement Barnier la semaine suivante. Plusieurs heures durant, l’Elysée et Matignon tentent de calmer le tempétueux élu calédonien. Le lendemain, devant le Sénat, Michel Barnier évite d’évoquer la réforme abandonnée. Il précise en revanche que, dans les discussions sur l’avenir du territoire, “devront être abordés […] la composition du corps électoral et son élargissement pour les prochaines élections provinciales”. Une semaine plus tard, Nicolas Metzdorf reçoit un courrier du Premier ministre. Il y indique que le dégel du corps électoral est un impératif juridique et démocratique. Metzdorf abandonne toute velléité de se joindre à la motion de censure déposée par la gauche.

Une fenêtre réduite

Matignon et l’Elysée ne veulent entendre parler ni de couac, ni de malentendu. Difficile, pourtant, de ne pas percevoir dans l’épisode un manque de communication au sein de l’exécutif sur le dossier calédonien. Pour ne pas dire plus. “Matignon estime que le processus initié par le président et son ancienne majorité a échoué, et qu’il faut donc changer de méthode. Mais l’Elysée pense qu’il peut encore jouer un rôle et contribuer à faire sortir un accord”, schématise un acteur calédonien, interlocuteur régulier de l’exécutif. “La question est de savoir si le président de la République va réellement finir par se dessaisir du dossier ou pas, abonde Georges Naturel, le sénateur (LR) de Nouvelle-Calédonie. Cela va être la discussion des prochaines semaines”. Il faut pourtant éclaircir ce point très vite.

Après des semaines au bord du précipice, les acteurs calédoniens perdent patience. “Si l’on tergiverse trop, le système économique et social va s’effondrer, prévient David Guyenne, président de la chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie. Nous avons une fenêtre d’opportunité en novembre. Il ne faut pas la rater”. Jean-Jacques Brot, ancien Haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie, renchérit. “Chaque jour qui passe ne fournit pas de méthode. Les chefs d’entreprise sont de plus en plus inquiets, démoralisés, et ils ne sont pas les seuls. Le système de santé est ravagé, explique-t-il. Les Calédoniens attendent qu’on leur parle avec le cœur. C’est une véritable tragédie, et il y a besoin de beaucoup de commisération, de compassion, de fraternité”.

Matignon semble l’avoir pris en compte. Ce 6 octobre, Michel Barnier a indiqué dans un entretien à La Tribune Dimanche qu’il se rendrait en Nouvelle-Calédonie “le temps venu”. Le ministre délégué aux Outre-mer – rattaché à Matignon -, François-Noël Buffet, a choisi la Nouvelle-Calédonie pour son premier déplacement, du 16 au 18 octobre. Devant le Parlement, le Premier ministre a également esquissé une feuille de route. Les présidents des deux chambres, fins connaisseurs de l’archipel, ont accepté de diriger “une mission de concertation et de dialogue” et se rendront “prochainement” en Nouvelle-Calédonie. Poussée par les parlementaires, cette intervention de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher se déroule dans un calendrier serré, alors que doit être discuté prochainement le projet de loi de finances pour 2025.

A cette mission s’ajoute une délégation interministérielle, là encore placée auprès du Premier ministre et du ministre chargé des outre-mer. Composée de hauts fonctionnaires en cours de recrutement, elle devrait naviguer entre Paris et Nouméa. Plusieurs noms circulent pour la chapeauter, dont celui du haut fonctionnaire Eric Thiers. Membre de la mission de médiation envoyée en Nouvelle-Calédonie par le président en mai 2024, cet ancien conseiller d’Emmanuel Macron serait suggéré par l’Elysée pour endosser ce rôle. La composition de la délégation devrait être dévoilée dans les prochains jours, à la mi-octobre. “Il faudra qu’elle s’attelle à la reconstruction d’un territoire aussi dévasté que la France en 1945”, indique Dominique Bussereau, auteur d’un rapport parlementaire sur la mise en place des institutions de la Nouvelle-Calédonie, qui insiste : “Le temps presse”.

Le risque “d’émeutes de la faim”

Dans cette course contre la montre, deux données sont au centre des préoccupations. La première, et la plus immédiate, est économique. Les émeutes ont ravagé un territoire qui était jusqu’ici l’un des plus riches du Pacifique. Avec plus de deux milliards d’euros de dégâts, la Nouvelle-Calédonie a aussi perdu 6 000 emplois depuis la mi-mai, selon l’Institut de la statistique et des études économiques locales. L’Etat a déjà débloqué 400 millions d’euros. Mais cette aide n’est pas suffisante pour remettre à flot un territoire dont 15 % du PIB est parti en fumée depuis les violences. A la fin du mois d’août, le Congrès de Nouvelle-Calédonie a voté une résolution demandant un soutien de l’Etat de 500 milliards de francs Pacifique (environ 4,2 milliards d’euros) afin de rebâtir l’archipel. C’est dans ce cadre qu’une délégation calédonienne transpartisane – dont faisait partie M. Tukumuli – était présente la semaine du 1er octobre à Paris. Certains membres ont été reçus à Matignon. D’autres à l’Elysée. Elle a fait le tour au complet de tous les groupes parlementaires, preuve de l’attention portée au dossier. “Nous sommes venus pour parler du refinancement du tissu économique existant, explique Pierre-Chanel Tutuguro, président (indépendantiste) du groupe UC-FLNKS au Congrès calédonien. Nous tentons d’éviter des émeutes de la faim”.

La seconde question est institutionnelle, et porte notamment sur l’avenir du corps électoral. Son échéance est plus lointaine, les élections provinciales qui devaient se dérouler le 15 décembre ayant été repoussé à la fin de l’année 2025. Elle est néanmoins essentielle. Sans élargissement du corps électoral, le prochain scrutin risque d’être contesté en justice par les loyalistes. Cette question est aussi un levier pour le camp indépendantiste, qui l’utilise pour faire avancer sa cause : celle d’un lien de plus en plus distendu avec la France. “Nous souhaitons pouvoir discuter des modalités de la décolonisation avant de rentrer sur celles du corps électoral”, reprend Pierre-Chanel Tutuguro. Autant de données que devront prendre en compte les différents interlocuteurs de la délégation interministérielle désignée par Matignon. “Nous sommes dans l’impasse, estime Alain Christnacht, ancien Haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie et négociateur de l’accord de Nouméa. Mais il y a un trou de souris pour en sortir. C’est ce que Michel Barnier a diagnostiqué”.

Un “trou de souris” dont la traversée s’annonce éminemment complexe. “On a l’impression que l’on risque de reprendre de vieux usages avec les mêmes interlocuteurs qu’avant, dont certains sont décidés à ne pas discuter avec les autres, remarque Jean-Jacques Brot. Aura-t-on le temps de s’engager dans une négociation alors que le Premier ministre n’a pas dit avec qui il envisage de négocier ?” Les interlocuteurs sont effectivement aussi variés que les points de divergence. Chez les indépendantistes, les élus locaux sont contestés par les jeunes leaders de la CCAT, la cellule d’action de terrain qui a mené les émeutes du mois de mai. Chez les loyalistes, on se divise entre les tenants d’une ligne se voulant modérée (Calédonie Ensemble) et une autre plus radicale, notamment portée par Sonia Backès, la présidente de la Province Sud. Dans ce contexte inflammable, la délégation interministérielle devra faire preuve d’un extrême doigté.

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