Comment la Russie contourne les sanctions sur son pétrole avec sa “flotte fantôme”

Comment la Russie contourne les sanctions sur son pétrole avec sa “flotte fantôme”

C’est un problème complexe pour l’Europe qui ne cesse de prendre de l’ampleur. La Russie utilise de plus en plus de “bateaux fantômes” pour transporter son pétrole au mépris des sanctions européennes. Désormais, selon un article du Financial Times publié lundi 22 juillet, elle a aussi recours à des navires transportant son gaz naturel liquéfié. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Il s’agit de vieux tankers rachetés par les autorités russes, dont la propriété est peu claire, et qui naviguent en secret pour transporter du pétrole russe à travers les eaux du monde entier. Ils battent parfois pavillon de petits pays, comme le Gabon ou le Panama, et permettent de contourner les sanctions sur le transport d’hydrocarbure russe mises en place par le G7 et l’Union européenne au début de la guerre en Ukraine. En effet, l’acheminement du pétrole russe est interdit par ces sanctions s’il est vendu à plus de 60 dollars le baril. Habituellement, plus des deux tiers de ce transport est assuré par des compagnies maritimes occidentales, mais elles respectent les sanctions et ne font plus affaire avec l’industrie pétrolière russe.

Par conséquent, la Russie a recours à ce stratagème pour écouler sa marchandise à un prix plus élevé, comme le font l’Iran et le Venezuela, des pays producteurs de pétrole également sous embargo, explique Elisabeth Braw, analyste du think tank Atlantic Council. La Russie vend notamment son or noir à la Chine, l’Inde, la Turquie ou encore le Brésil, qui le revendent ensuite encore plus cher à d’autres nations.

Navires sans assurance

Cette “flotte fantôme” ne se plie pas au système d’assurance P & I, l’assurance de protection et d’indemnisation, qui sert aux compagnies maritimes à mutualiser les risques. Entre 90 et 95 % du marché de l’assurance P & I est contrôlé par des assureurs européens ou britanniques, qui appliquent eux aussi les sanctions contre Moscou. Sans assurance adéquate ou dotés par la Russie de ses propres services d’assurance, ces navires transportent aujourd’hui 1,7 million de barils par jour, soit pas moins de 70 % du pétrole russe, selon la Kyiv School of Economics (KSE), et évitent au régime de Vladimir Poutine de perdre la manne que représente ce commerce, qui finance la guerre en Ukraine.

Cette pratique n’est pas nouvelle et montre la difficulté à appliquer certaines sanctions contre Moscou. “Une guerre froide fait rage en mer. Pour les Occidentaux, la situation est périlleuse : appliquer des sanctions contre un petit Etat voyou est une chose ; empêcher l’un des premiers producteurs de pétrole au monde de vendre sa marchandise s’avère plus compliqué”, analysait auprès de L’Express en février 2023 Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime Nantes-Saint-Nazaire.

Mais les pays européens sont bien décidés à lutter contre cette flotte clandestine, comme ils l’ont affirmé lors de la réunion de la Communauté politique européenne le 18 juillet. “Avec nos partenaires européens, nous avons envoyé un message clair à ceux qui permettent à Poutine d’échapper aux sanctions : nous ne permettrons pas à la flotte fantôme de la Russie et à l’argent sale qu’elle génère de circuler librement dans les eaux européennes et de mettre notre sécurité en danger”, a martelé le Premier ministre britannique Keir Starmer en marge de cette réunion. Le chantier est colossal : il y aurait autour de 1 400 vieux navires fantômes russes en circulation selon l’Atlantic Council, et les navires de plus de 20 ans devraient atteindre 11 % de la flotte mondiale de pétroliers d’ici 2025, contre 3 % avant la guerre en Ukraine, selon le même think tank.

Risque de marée noire

La flotte clandestine présente par ailleurs des dangers non négligeables, autant sur le plan sécuritaire qu’environnemental. Pour ne pas se faire repérer, les pétroliers désactivent leur GPS, qui permet de les identifier à distance, et augmentent ainsi le risque de collision avec d’autres bateaux. Sans compter que les trois quarts de ces navires ont plus de 15 ans, sont en mauvais état et ne sont pas fréquemment inspectés. Les accidents, comme les incendies, les pannes de moteur, les pertes de gouvernail ou encore les marées noires, catastrophiques pour l’environnement, sont donc nombreux. En octobre 2023, un pétrolier de plus de 26 ans, battant pavillon camerounais mais faisant partie de la “flotte fantôme” russe, avait été retrouvé à la dérive dans l’océan Indien, près de l’Indonésie. Sa dernière inspection avait eu lieu en 2017.

Les pays du nord de l’Europe s’inquiètent de ces risques de marée noire, notamment dans la mer Baltique, où circulent souvent les pétroliers russes. Le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung rapporte d’ailleurs que “le gouvernement finlandais et les gardes-frontières du pays ont récemment demandé à l’Agence européenne pour la sécurité maritime de mieux se préparer à une éventuelle marée noire dans la mer Baltique causée par la ‘flotte fantôme'”. D’une part, pour éviter les dégâts irréversibles à cet écosystème, et d’autre part pour affaiblir Vladimir Poutine.

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