Comment stopper la sortie de route technologique de l’UE ? Par Robin Rivaton

Comment stopper la sortie de route technologique de l’UE ? Par Robin Rivaton

La sortie de route technologique de l’Europe est désormais une évidence. Petit retour en arrière. Dans un formidable effort de rattrapage après la Seconde Guerre mondiale, le ratio de productivité du travail par rapport à celui des Etats-Unis a augmenté rapidement, passant de 25 %, en 1945, à 100 %, en 1995. Cette folle remontée a inspiré la stratégie dite “de Lisbonne”. Fin 1999, la croissance économique de l’Union européenne à 15 plafonne à 2,8 % quand celle des Etats-Unis est à 3,6 %, grâce notamment à une large diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Mais l’euro vient d’être lancé avec succès, le chômage reflue massivement, les dettes se résorbent – feu la “cagnotte” de Christian Sautter, le ministre de l’Economie français d’alors – et l’optimisme est de mise.

Les chefs d’Etat européens élaborent en mars 2000 la stratégie de Lisbonne, visant à faire de l’UE en 2010 “l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde”. Cette rodomontade passe relativement inaperçue. Heureusement, puisque, dès 2004, un rapport d’évaluation met en avant les faiblesses de ce projet aux objectifs trop nombreux, trop ambitieux et partiellement contradictoires. Remise en question fondée : à la veille de la crise financière de 2008, le ratio de productivité entre la zone euro et les Etats-Unis était retombé à 80 %.

Expliquer cet écart de productivité, qui n’a fait que s’amplifier pour atteindre 31 % en fin d’année dernière, est devenu la quête de nombreux économistes européens. Si la palme de la thèse la plus originale revient à la généralisation de la prise d’amphétamines censée lutter contre les troubles de l’attention de plus de 10 millions d’Américains, la piste la plus sérieuse est que l’Europe n’a pas assez investi dans les nouvelles technologies. Ces dernières sont disponibles à l’identique partout dans le monde, donc n’importe qui pourrait s’en saisir. La preuve en est que les jeunes entreprises connaissent des hausses de productivité près de 3 fois supérieures à celles de leurs homologues anciennes. Mais ces entreprises se comptent sur les doigts d’une main et ne savent pas grandir. La fragmentation des marchés européens aboutit à ce que les sociétés de plus de 250 salariés ne représentent que 30 % de l’emploi total, contre le double aux Etats-Unis.

La malédiction des marchés fragmentés

Alors que les élections européennes se profilent, sortir de l’ornière technologique nécessite une prise de conscience. Le salut ne viendra pas de plus d’investissements publics en recherche et développement. Sur la dernière décennie en Europe, la dépense en R&D est passée de 2,1 à 2,2 % du PIB, quand elle a bondi de 2,7 à 3,5 % outre-Atlantique, grâce au secteur privé. Les entreprises européennes ne prendront le risque d’investir que si elles pensent trouver des débouchés suffisants. Les marchés fragmentés sont notre malédiction. A ce titre, le rapport de l’ancien président du Conseil italien Enrico Letta sur l’avenir du marché unique, remis le 18 avril, avance une idée intéressante : produire un Code européen du droit des affaires, le 28ᵉ à côté de ceux de chacun des Vingt-Sept, qui serait reconnu comme équivalent.

Quand une zone est en retard technologique, le rattrapage passe par l’installation d’entreprises étrangères pour capter leur savoir-faire, qui essaimera ensuite. C’est ce qu’a vécu Tesla avec son usine de Shanghai, largement subventionnée par Pékin, dont le processus de gigapresse à aluminium a été adopté par tous les constructeurs locaux.

Pour encourager les entreprises innovantes, au-delà des subventions, il faut de la dette à taux zéro, qui permet de diminuer le coût des investissements et, surtout, de la commande publique massive. Le secret américain réside dans la capacité des acteurs publics, notamment le département de la Défense, d’acheter des produits et services innovants en grande quantité. Enfin, il faut mettre un terme au siphonnage de l’épargne européenne. Depuis 2012, les encours des épargnants de la zone euro en dette publique américaine sont passés de 500 à 1 600 milliards de dollars. Un grand emprunt populaire, avec un rendement supérieur aux obligations américaines, serait un beau pied de nez.

Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *