Désindexer les retraites de l’inflation : “Si on ne sollicite que les retraités les plus aisés…”

Désindexer les retraites de l’inflation : “Si on ne sollicite que les retraités les plus aisés…”

Tout le monde est d’accord… ou presque. A contre-courant de l’avis général, Emmanuel Macron s’entête, pour l’instant, à vouloir maintenir l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation. A l’heure où le déficit public explose et où Bercy cherche partout les sources d’économies, une sous-indexation – et pourquoi pas une désindexation – apparaît comme une piste raisonnable. Politique, ce sujet encore tabou à l’Elysée pourrait revenir sur la table, une fois passées les élections européennes du 9 juin.

Dénonçant un “électoralisme de base”, Antoine Foucher, le président du cabinet de conseil Quintet, appelle à “investir massivement dans l’éducation et la formation, et pas dans les retraites”. Cet ancien directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, lorsqu’elle était ministre du Travail, plaide pour une mesure ciblée sur les plus aisés.

La piste d’une sous-indexation, voire d’une désindexation des retraites, est-elle pour vous à privilégier dans l’optique de réduire le déficit public ?

Antoine Foucher Oui, absolument. Nous n’avons plus le choix, notre endettement est tel que la charge des intérêts de la dette dépassera dans deux ou trois ans le budget de l’Education nationale : 60 milliards d’euros par an. Cet endettement nous empêche donc d’investir dans l’éducation, dans la transition énergétique, dans la réindustrialisation, c’est-à-dire dans notre avenir. Les revalorisations de pension en début d’année ont représenté 20 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, qui s’ajoutent aux 350 milliards déjà consacrés aux retraites. Dans le même temps, l’Etat a réduit le dispositif MaPrimeRénov’, le financement de l’apprentissage ou encore le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche… L’exact contraire de ce qu’il faut faire pour l’avenir du pays, tant il est évident qu’il faut investir massivement dans l’éducation et la formation, et pas dans les retraites. J’espère que c’est ce que le gouvernement fera dans les années qui viennent.

Comment faudrait-il s’y prendre ?

D’abord, cette désindexation ne doit pas être ponctuelle, façon coup de rabot. Il est important de donner de la visibilité sur l’évolution des prestations sociales, et notamment des pensions de retraite, sur plusieurs années. Une bonne raison de le faire, compréhensible par tous, est de viser une répartition intergénérationnelle des richesses plus équitable entre travailleurs et retraités. Or, une question aussi structurante ne peut se résoudre en l’espace d’une année.

Ensuite, il faut faire connaître la réalité, et se donner un objectif. Toutes les études – celles du Conseil d’orientation des retraites, de France Stratégie… – montrent que le niveau de vie moyen des retraités est supérieur à celui des actifs, ce qui est inédit dans l’Histoire. La situation est d’autant plus problématique que les travailleurs actuels constituent la première génération, depuis 1945, qui ne travaille pas moins que ses parents, et n’a plus l’espérance de vivre beaucoup mieux qu’eux. On pourrait donc imaginer de se fixer collectivement une cible raisonnable et juste d’un niveau de vie des retraités de l’ordre de 90 à 95 % de celui des actifs – ce pourcentage est à débattre – et de décider une désindexation, donc sans jamais baisser les pensions en valeur absolue, le temps de l’atteindre.

Cette population pourrait opposer qu’elle a cotisé pour obtenir ce droit à la retraite. A raison ?

Les retraités ne voient pas toujours que leur pension ne correspond pas aux cotisations acquittées durant leur vie professionnelle. Cela s’explique simplement par des raisons démographiques. Dans les années 1960, on comptait 4 actifs pour 1 retraité. Dans les années 1990, le ratio est passé à 3 pour 1. Aujourd’hui, il est de 1,7 pour 1. Dans ces conditions, le poids des cotisations sur les épaules des actifs est nécessairement plus lourd : 30 % des salaires aujourd’hui, contre 15 % au début des années 1980.

Dit de façon simple, cela signifie que les retraités de 2024 demandent beaucoup plus à leurs enfants que ce qu’ils ont fait pour leurs propres parents. Il faut en avoir conscience, le partager sereinement et factuellement, sans déclencher une guerre des générations, qui serait pire que tout. Il ne s’agit pas de dire aux retraités : “Vous avez droit à ce que vous avez cotisé, mais pas plus, et donc on baisse les pensions de 30 %.” Ce serait une solution extrême et violente, mais à laquelle nous n’échapperons pas si nous continuons de nous endetter. Il faut tout faire pour ne pas en arriver là.

Il y a quelques années, l’annonce d’une sous-indexation avait suscité une levée de boucliers…

Oui, la sous-indexation, nous l’avons faite – j’étais à l’époque le directeur de cabinet de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud – en 2018, 2019 et 2020. Comme par hasard, pendant ces trois années, le déficit et l’endettement de la France ont diminué… Nous avions néanmoins commis l’erreur de ne pas faire suffisamment de distinction selon le niveau de pension, et le mouvement des gilets jaunes, à ses débuts, a d’ailleurs impliqué beaucoup de retraités modestes, également échaudés par la hausse de la CSG.

Mieux vaudrait donc solliciter principalement les retraités les plus aisés. Reste à déterminer le niveau à partir duquel la pension ne serait plus indexée provisoirement : le Smic de 1 400 euros net ? Le salaire médian, de 2 000 euros net ? Dans ce second cas, cela reviendrait à demander un effort aux retraités qui gagnent davantage avec leur pension que la moitié des Français qui gagnent leur argent en travaillant.

Pourquoi l’exécutif apparaît-il si réticent ?

C’est une évidence dans tous les cercles qui discutent de ces sujets, dans tous les partis, sans exception. Mais c’est tabou dans le débat public mené par les leaders politiques. La raison en est simple : les retraités, dont le taux de participation aux élections est de 80 %, représentent 17 millions d’électeurs et 13,5 millions de votants. C’est la classe d’âge qui vote le plus, et de loin.

Il s’agit donc d’un électoralisme de base, d’autant que les plus aisés sont ceux qui votent le plus. Les retraités aisés sont devenus le cœur de l’électorat d’Emmanuel Macron, dont la popularité n’est pas au sommet. Notons, toutefois, que le gouvernement a procédé en 2024 à la plus forte revalorisation depuis des années, et pour autant, les sondages montrent qu’une partie importante des retraités ne votera pas pour la majorité aux élections européennes du 9 juin. Quand il est trop contraire à l’intérêt général et trop visible, “l’achat” du vote ne marche pas.

La crainte que la désindexation ait un impact électoral est donc infondée ?

Si on ne sollicite que les retraités les plus aisés, je ne pense pas que ce choix soit trop pénalisant électoralement. Les 20 % qui perçoivent plus de 2 000 euros sont aussi les plus gros détenteurs de patrimoine, ils ont souvent d’autres sources de revenus et ont profité à plein de l’augmentation spectaculaire de l’immobilier depuis vingt ans. Il leur sera difficile de protester. On ne peut pas exclure, cependant, un effet de bord, les autres retraités ayant le sentiment qu’on s’en prend à toute une génération. Mais cela peut aussi être perçu comme un signe de courage, une mesure de justice sociale, tant les retraités d’aujourd’hui voient bien que leurs enfants vivent et travaillent dans un monde plus difficile pour la France qu’il y a vingt ou quarante ans.

Un revirement de l’exécutif sur ce sujet est-il possible dans le cadre du projet de loi de finances 2025 ?

Cela va même se jouer avant. Mi-juin, Matignon envoie traditionnellement à chaque ministère une lettre de cadrage macroéconomique prévoyant les économies à réaliser. Calibrer ce volume suppose de savoir quelles économies sont envisagées par ailleurs dans les dépenses de l’Etat. On saura cet été si l’hypothèse d’une désindexation partielle et ciblée des pensions de retraite est retenue.