Elections européennes : la victoire culturelle des eurosceptiques

Elections européennes : la victoire culturelle des eurosceptiques

Il y a ce qu’on voit : la bataille à trois, entre Jordan Bardella, Valérie Hayer et Raphaël Glucksmann, celle des autres listes, moins vigoureuses dans les sondages, de LFI aux Ecologistes en passant par Les Républicains et Reconquête ; celle des petites listes, communistes, radicaux de gauche, animalistes, patriotes, alliance rurale, etc. – qui tentent d’exister tant bien que mal. Et il y a ce qu’on voit moins, en dépit des individualités : la dynamique des listes eurosceptiques sur les europhiles. Si les premières ne tancent pas Bruxelles pour les mêmes raisons ni n’offrent les mêmes remèdes, selon qu’elles soient à gauche ou à l’extrême droite, leurs intentions de votes cumulées démontrent leur victoire culturelle.

Il y a dix ans, aux européennes de 2014, le Front national arrive certes en tête aux élections européennes – une première historique dans un scrutin national – mais les listes proeuropéennes restent majoritaires dans les urnes avec l’UMP (24,86 %), le Parti socialiste (14 %), la liste “L’Alternative” de François Bayrou (9,94 %) et EELV (8,95 %). Le Front de gauche mené par Jean-Luc Mélenchon, et qui proposait alors de s’affranchir du traité de Lisbonne pour construire “une autre Europe” obtenait quelque 6 %, quand les petites listes eurosceptiques de gauche et de droite (Lutte ouvrière, NPA, UPR, etc.) dépassaient péniblement les 1 %. Mais cinq ans plus tard, aux européennes de 2019, une bascule : la chute du PS et de LR fragilise les europhiles, et même si les Ecologistes tirent leur épingle du jeu (13 % des bulletins), le total des quatre grandes listes pro-Europe n’atteint pas les 50 %.

“Notre Europe aujourd’hui est mortelle”

A regarder l’ensemble des sondages évoquant le vote du 9 juin prochain, il y a fort à parier que l’avancée des eurosceptiques, plus ou moins sévères, se confirme : Jordan Bardella est annoncé en tête, à une quinzaine de points de Valérie Hayer, la candidate Renew, bien appuyé la liste Reconquête de Marion Maréchal et celle de Florian Philippot. Et si à gauche, Jean-Luc Mélenchon a renoncé à évoquer l’hypothèse d’une sortie de l’Union européenne et de l’euro depuis 2019, il n’en reste pas moins sévère envers Bruxelles, comme les communistes de Léon Deffontaines ou la petite liste de George Kuzmanovic. En France, les sociaux-démocrates, écologistes et la droite européenne sortiront de ces élections en position de faiblesse.

Ce qui n’est pas sans rappeler l’état de l’opinion nationale sur la question européenne. Dans un récent sondage Ifop pour Ouest-France, une majorité de Français exprimait un sentiment négatif à l’égard de l’Europe, d’inquiétude (46 %), de colère (13 %) sinon d’indifférence (16 %). Seulement 15 % des personnes interrogées disaient leur confiance envers l’UE, et 10 % leur optimisme. Un Français sur deux considère que la construction européenne a des effets positifs pour son pays, ils étaient un peu plus nombreux en mars 2017, au moment de l’élection d’Emmanuel Macron.

Candidat europhile s’il en était, le chef de l’Etat promettait lors de son premier discours de la Sorbonne de réveiller l’union. A l’époque, le jeune président étonnait avec ses 77 propositions, restimulant, de l’avis de beaucoup, l’ambition collective européenne. Sept ans plus tard, les populistes gagnent toujours plus de terrain, en France, en Italie ou dans les pays nordiques, et dans un autre discours, à la Sorbonne toujours, le même Emmanuel Macron concédait : “Notre Europe aujourd’hui est mortelle.” Le rêve européen ne l’est-il pas déjà ?