Emeutes en Nouvelle-Calédonie : les dessous de l’influence azerbaïdjanaise

Emeutes en Nouvelle-Calédonie : les dessous de l’influence azerbaïdjanaise

De loin, on pourrait presque le confondre avec le drapeau néocalédonien, tant celui de l’Azerbaïdjan lui ressemble avec ses couleurs bleue, rouge et verte. Et c’est bien lui que l’on a vu flotter en Nouvelle-Calédonie dès le 13 mai lors des rassemblements contre la réforme du corps électoral. A plus de 13 000 kilomètres du Caillou, l’Azerbaïdjan peut se réjouir de son influence grandissante sur les événements en cours dans ce territoire français d’Océanie.

Depuis des mois, ce pays du Caucase ne cesse d’appuyer les groupes indépendantistes de l’île du Pacifique. Un activisme dénoncé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui regrette “qu’une partie des indépendantistes calédoniens aient fait un deal avec l’Azerbaïdjan”. Ce “deal” consisterait, pour Bakou, à déstabiliser la France en représailles de son soutien à l’Arménie lors de la dernière guerre du Haut-Karabakh, en septembre 2023.

Lutte contre le colonialisme français en Outre-Mer

Dans la foule de manifestants kanaks, certains arborent des tee-shirts avec un curieux logo, celui du Groupe d’initiative de Bakou (GIB), une ONG azerbaïdjanaise créée en marge du Mouvements des non-alignés en juillet 2023 et qui s’est fait championne de “la lutte contre le colonialisme”, avec la France en ligne de mire. En neuf mois, la jeune organisation a mené huit conférences à l’ONU ou dans des capitales européennes, invitant des représentants des mouvements indépendantistes d’Outre-Mer, dont elle relaie les communiqués sur les réseaux sociaux. Son directeur, Abbas Abbasov, est l’ancien Premier ministre de l’Azerbaïdjan (1992-2006). Il a récemment déclaré publiquement soutenir la lutte des Kanaks. Et reproche à la France de “mettre intentionnellement l’accent sur la rhétorique de la liberté, de l’égalité et des droits de l’homme pour justifier ses actions et se présenter comme un pionnier de la démocratie”.

La semaine dernière, le 16 mai, le Groupe d’initiative de Bakou a organisé une vidéoconférence à laquelle ont participé des indépendantistes de Polynésie française, de Guyane française, de Martinique, de Guadeloupe et même de Corse, “en solidarité avec les peuples indigènes de Nouvelle-Calédonie”. La récente solidarité entre l’Azerbaïdjan et l’archipel s’est matérialisée en avril lorsqu’une délégation de Nouvelle-Calédonie s’est rendue à Bakou, présidée par l’élue Omayra Naisseline. Au nom du Congrès calédonien, celle-ci a signé, avec la présidente du parlement azerbaïdjanais un mémorandum de coopération parlementaire, considéré comme une tentative d’ingérence étrangère de Bakou en France.

L’Azerbaïdjan nie cette accusation ; les indépendantistes kanaks aussi. “Ce tapage médiatique sur l’Azerbaïdjan fauteur de troubles en Nouvelle-Calédonie nous agace fortement, cingle Magalie Tingal, représentante à l’ONU du Front de libération national kanak et socialiste. Cela devient une insulte à notre intelligence”. L’élue de la province Nord est l’une des initiatrices de la création du GIB l’année dernière. “Nous travaillons avec l’Azerbaïdjan, certes, mais aussi avec plein d’autres pays !” insiste-t-elle.

Inquiétudes pour les autres territoires d’Outre-Mer

Vu de Paris, ce soutien de l’Azerbaïdjan à la Nouvelle-Calédonie inquiète de plus en plus. “En l’espace de quelques minutes, 5 000 posts provenant de comptes azerbaïdjanais ont été envoyés sur les réseaux sociaux concernant la Nouvelle-Calédonie et ce qui est présenté comme la politique néocoloniale de Paris”, selon une source proche du dossier. Calquant ses méthodes sur celles de la Russie, cette opération de déstabilisation n’est pas la première observée par les autorités françaises à Nouméa. Déjà en décembre 2023, lors de la visite du ministre des Armées Sébastien Lecornu, deux journalistes azerbaïdjanaises ont été refoulées par les autorités, identifiées comme proches des renseignements azerbaïdjanais.

“Nous craignons une amplification du message sur le thème de la colonisation en Nouvelle-Calédonie et un risque de mimétisme dans d’autres régions d’Outre-Mer”, confie un diplomate français. En Polynésie française, le groupe indépendantiste Tavini Huiraatira a, à son tour, signé début mai un mémorandum de coopération avec des officiels azerbaïdjanais. Lors de la crise migratoire à Mayotte et la suppression du droit du sol évoquée par l’exécutif français, le GIB a aussi publié massivement des communiqués prônant la souveraineté de l’archipel des Comores sur l’île plutôt que celle de la France.

En Corse, lors de la visite d’Emmanuel Macron en février dernier, des journalistes azerbaïdjanais spécialement dépêchés pour couvrir les manifestations du mouvement indépendantiste Nazione ont livré un portrait de l’île de Beauté au bord de l’explosion. En Outre-Mer comme en métropole, l’Azerbaïdjan se montre à l’affût de la moindre étincelle.