En Italie, la télévision publique accusée d’être à la botte du pouvoir : “La RAI, c’est télé Meloni”

En Italie, la télévision publique accusée d’être à la botte du pouvoir : “La RAI, c’est télé Meloni”

“La RAI est à la botte du gouvernement Meloni !” C’est le cri lancé par les syndicats du service audiovisuel public regroupant cinq chaînes de télévision généraliste, huit chaînes thématiques et trois radios nationales. Un conglomérat employant près de 13 000 salariés, dont 1 760 journalistes. Ce mastodonte dédié à l’information et au divertissement a pourtant toujours entretenu des rapports très ténus avec le pouvoir politique, habitué à être “repris en main” à chaque changement de majorité, en vertu de la traditionnelle “lottizzazione” (NDLR : “attribution” en italien) : une sorte de “mercato” post-électoral où les partis au pouvoir se répartissent le choix des postes de direction au sein des organismes publics.

A peine investie présidente du Conseil en octobre 2022, Giorgia Meloni place ses proches à la tête de l’entreprise. A commencer par Giampaolo Rossi. Le cinquantenaire connaît par coeur les rouages de la RAI, où il travaille depuis 2004 en tant que manager. Il y est connu pour son admiration sans bornes pour les “hommes forts”, notamment le Premier ministre hongrois Viktor Orban et le président russe Vladimir Poutine. Et affiche sans complexes ses tendances complotistes et ses positions prorusses sur son blog, hébergé par le quotidien d’extrême droite Il Giornale. Proche de Giorgia Meloni, il est l’homme qui a mis la RAI au pas. Dès l’été 2023 il déprogramme l’émission de l’écrivain Roberto Saviano sur la lutte contre la mafia, après ses critiques envers le ministre Matteo Salvini. Les démissions fracassantes de certains journalistes emblématiques se succèdent refusant, selon leurs propres termes, de devenir des “prisonniers politiques”.

Pas besoin d’aller plus loin en mettant fin au service public, donc. “L’idée de privatiser l’audiovisuel public, comme le promet le Rassemblement national en France, serait incongrue en Italie, observe Alberto Carnevale Maffè, professeur de stratégie à l’université Bocconi de Milan et spécialiste des médias. Les partis considèrent la RAI comme un butin qu’ils peuvent se partager. Utile dans un pays où la population est âgée et s’informe principalement avec la télévision.” En Italie, il n’existe d’ailleurs pas de Conseil Supérieur de l’Audiovisuel mais une commission parlementaire qui répond aux mêmes critères de “lottizzazione”. “Il s’agit, reprend cet analyste, de surveiller une RAI qui est toujours servile par rapport au pouvoir en place – quel qu’il soit. Mais cette fois, on assiste à une forme d’épuration.”

Climat d’intimidation

“Giampaolo Rossi a transformé la RAI en Télé Meloni, confie un de ses journalistes. Les nominations suivant un changement de majorité ont toujours répondu à des critères de fidélité mais elles préservaient un vernis de compétences. Il a volé en éclats. Désormais, les pressions sont fréquentes. Il règne à la RAI un climat d’intimidation. Des ministres n’hésitent pas à menacer de nous traîner en justice si on les critique. Les excès de zèle sont courants.” Comme ce jour où un rédacteur en chef débarque en catastrophe dans le bureau d’une journaliste pour faire taire un “vilain” chiffre : son reportage sur le tourisme mentionnait une baisse de 10 % des départs en vacances des Italiens en raison de l’inflation. “La Rai est devenue un mégaphone des positions du gouvernement” se désole notre source.

Un biographe de Mussolini déprogrammé

En témoigne un autre épisode, intervenu en plein festival de Sanremo cet hiver. Invité au rendez-vous annuel de la chanson italienne, rassemblant des millions de téléspectateurs, le rappeur italo-tunisien Ghali lance un “Stop au génocide”, référence à la guerre en cours à Gaza. Une présentatrice de la RAI se voit contrainte de lire en direct un communiqué de soutien au gouvernement à Israël. Les adversaires de Giorgia Meloni hurlent à la propagande.

“L’affaire Scurati” (du nom de l’écrivain Antonio Scurati) leur donnera un formidable écho. A l’occasion de la fête de la Libération (25 avril), l’auteur, connu pour sa série de romans sur Benito Mussolini, devait prendre la parole sur une chaîne publique. Il prévoyait de dénoncer les réticences de Georgia Meloni à répudier les racines fascistes de son parti. Des mots qui ne furent jamais entendus à la télévision : le monologue a été déprogrammé au dernier moment. Des documents internes de la RAI publiés dans la presse italienne évoquent des “raisons éditoriales”.

Mais la présidente du Conseil veut enterrer cette affaire de censure. Giorgia Meloni décroche son téléphone pour appeler son ami, Giampaolo Rossi. Objectif ? S’accorder sur une tout autre version de l’histoire. Aux patrons de la RAI, la dirigeante demande de justifier la déprogrammation par des raisons financières, en l’espèce le montant trop élevé du cachet qu’aurait demandé Antonio Scurati. La présentatrice de l’émission dans laquelle il devait se produire, Serena Bortone, est depuis visée par une mesure disciplinaire et risque son poste.

“Le contrôle des dirigeants de la RAI sur l’information de service public se fait chaque jour plus asphyxiant” dénonçait le communiqué des syndicats à l’occasion de la grève lancée le 6 mai dernier. “La liberté d’expression existe encore en Italie, mais elle est rendue de plus en plus difficile pour certains, constate Roberto Saviano. Le message est clair : si vous voulez travailler, baissez la tête et gardez le silence sur le gouvernement.”