Etats-Unis : comment le “clan Biden” s’organise pour sauver Joe

Etats-Unis : comment le “clan Biden” s’organise pour sauver Joe

L’Histoire se souviendra que le mandat du 46e président des Etats-Unis s’est fracassé lors d’un débat télévisé calamiteux, ponctué de trous de mémoires, d’hésitations et de bégaiements, dans un studio de CNN à Atlanta, en Géorgie. Le 27 juin, face à Donald Trump, Joe Biden a réalisé la plus mauvaise prestation d’un président en exercice depuis l’invention du téléviseur – pire que la piètre performance de Ronald Reagan lors du premier duel contre Walter Mondale en 1984, souvent cité comme un cas d’école de ratage.

Mais ces quatre-vingt-dix minutes n’étaient que les prémices d’un effondrement médiatique qui, au-delà de Joe Biden lui-même, concerne aussi sa femme Jill et le reste de leur famille. Car l’engrenage fatal ne s’est pas arrêté au débat. Le soir même, une vidéo de dix-sept secondes, filmée depuis les coulisses avant le début de la retransmission, fuite sur les réseaux sociaux. On y voit Jill Biden aider son mari à descendre la marche du plateau de télévision. Pour le président de 81 ans, une simple marche d’escalier est un obstacle. Virale, l’image évoque une aide-soignante conduisant un patient de maison de retraite à la promenade…

Plus tard dans la soirée, voici le couple présidentiel sur une scène, à Atlanta, devant des partisans venus acclamer “Joe”. Or, alors que celui-ci, au second plan, reste coi, le regard dans le vide et raide comme une statue du musée Grévin, Jill, elle, tient le micro et galvanise l’auditoire. Contraste saisissant : l’un est éteint, l’autre, animée. Se tournant vers son époux, elle lui parle comme une maîtresse d’école à son élève : “Bravo Joe, tu as répondu à toutes les questions, tu savais tout !” le félicite-t-elle, un brin maternaliste. Et voici comment la First Lady, jusque-là respectée, contribue au crash politique de son mari et se taille, au passage, la réputation d’une femme qui tient un vieux monsieur sous son emprise.

Son nouveau surnom ? Lady MacBiden !

“Un bref instant, elle a fait penser à une First Lady machiavélique, comme une Eva Péron ou une Jiang Qing [l’épouse de Mao Zedong, NDLR], ce qui n’est évidemment pas la réalité”, note la spécialiste des Etats-Unis Françoise Coste. Dans la presse apparaît le sobriquet de Lady MacBiden, en référence au personnage de Shakespeare avide de pouvoir. “Il est désormais clair pour tout le monde que, dans une certaine mesure, Jill régente la Maison Blanche”, abonde, à Washington, le rédacteur en chef de The National Interest, Jacob Heilbrunn.

Joe et Jill Biden avec leur chien Commander, à la Maison Blanche, le 25 décembre 2021

Quatre jours plus tard, le malaise est accentué – mauvais timing – par la parution de Vogue. Pour la troisième fois en quatre ans, le magazine féminin consacre sa couverture à Jill, habillée en Ralph Lauren. “Nous allons continuer à nous battre”, y explique-t-elle, comme si c’était elle qui décidait pour deux. “Notre famille ne laissera pas ces quatre-vingt-dix minutes [de débat] définir ce qu’ont été les quatre années où il [Joe] a été président”, ajoute-t-elle.

En 1919, Edith Wilson régnait sur la Maison Blanche…

Pourtant, les appels à jeter l’éponge se multiplient. Au lendemain du débat, Joe Biden est lâché par le très démocrate New York Times et par le Washington Post, ainsi que par un nombre croissant de donateurs, dont le patron de Netflix et l’héritière de Disney. Tous appellent au désistement en faveur d’un candidat plus jeune. Quant au journaliste Carl Bernstein, à l’origine de la révélation du scandale du Watergate en 1972, il assure que le déclin physique et cognitif du président est “visible depuis six mois”. “En quinze ou vingt occasions depuis un an et demi, Joe Biden s’est soudainement figé au milieu d’une conversation avec ses conseillers”, détaille-t-il.

Les commentateurs comparent aussi Jill Biden à Edith Wilson, la femme de Woodrow Wilson devenue toute-puissante à la fin de sa présidence. De retour d’Europe où il a signé en 1919 le Traité de Versailles et plaidé pour la création de la Société des nations, ce démocrate est victime d’une crise cardiaque. Il termine son mandat alité à la Maison-Blanche, reclus, sans autre contact que son médecin et sa femme, laquelle transmet et filtre les instructions de son mari aux conseillers… sans que personne ne sache si elle le fait fidèlement ou non. Jusqu’à aujourd’hui, le doute demeure.

Sous pression, Joe Biden se replie sur son clan. Au lendemain du débat raté se tient un conseil de famille dans la résidence présidentielle de Camp David. Ce week-end-là, du 28 au 30 juin, les Biden au complet – une trentaine de membres – sont réunis pour un shooting photo prévu de longue date avec la portraitiste Annie Leibovitz. Outre Joe et Jill sont présents : la sœur de Joe, Valerie (“Val”), une ex-enseignante âgée de 78 ans ; ses frères James (“Jim”), ancien patron de discothèque, courtier en assurances et consultant, 75 ans, et Francis (“Frank”), consultant politique, 71 ans. Sans oublier Hunter Biden, 54 ans, le fils du président, récemment condamné par un tribunal new-yorkais pour détention illégale d’armes. Leur verdict ? Pas question de renoncer à un second mandat. Ils imputent simplement la contre-performance de Joe à ses conseillers qui l’auraient mal préparé. Mais pour ces derniers, c’est l’entourage familial qui est dans le déni.

De gauche à droite, la Première dame Jill Biden, belle-mère de Hunter Biden (au centre) et sa femme Melissa Cohen Biden quittant le 11 juin 2024 le tribunal fédéral de Wilmington dans le Delaware où le fils du président des Etats-Unis Joe Biden a été reconnu coupable de détention illégale d’une arme à feu.

Pour comprendre le (dys)fonctionnement du clan Biden, le plus simple est encore de remonter à 1972. Cette année-là, le jeune et ambitieux conseiller municipal Joe Biden, 30 ans, se lance à l’assaut du Capitole. Candidat au Sénat, il mène campagne en famille : sa sœur Val, 27 ans, est directrice de campagne ; son frère Jim, 24 ans, est chargé de lever des fonds ; le benjamin Frank, 20 ans, mobilise une armée de volontaires. En novembre, Joe est élu sénateur du Delaware. En décembre, alors qu’il se trouve à Washington pour recruter son nouveau staff, son épouse Neilia emmène leurs trois enfants faire le shopping de Noël.

A un carrefour, leur voiture est percutée. Neilia et Naomi, la fille du couple, encore bébé, meurent sur le coup. Beau, 4 ans, et Hunter, 2 ans, survivent. “Hunter raconte souvent que son premier souvenir est le moment où il s’est réveillé à l’hôpital à côté de son frère qui répétait : ‘I love you, I love you, I love you'”, rapporte le magazine The New Yorker dans un article consacré à Hunter. En janvier, le sénateur Biden prête serment dans la chambre d’hôpital de ses enfants.

@lexpress

Les démocrates vont-ils finalement choisir un autre candidat que Joe Biden pour défier Trump à la prochaine présidentielle ? Après le premier débat, l’hypothèse prend de l’ampleur aux Etats Unis. shorts joebiden trump USA #sinformersurtiktok #apprendresurtiktok

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Hunter Biden, un conseiller très influent

En 1977, Joe se remarie avec Jill, une professeur d’université à l’esprit affûté. “Hillary était la première First Lady avocate ; Jill Biden est la première titulaire d’un doctorat [en sciences de l’éducation], raison pour laquelle on l’appelle ‘Dr Biden'”, explique Françoise Coste. Entre Jill et Hunter, les liens, cimentés par le drame familial, sont indéfectibles. D’ailleurs, Hunter l’appelle “Mom” et dit “Mommy” lorsqu’il parle de sa génitrice. Depuis des années, les turpitudes de Hunter – accro au sexe, à la cocaïne, au crack – abiment la “marque” Biden.

Maintes fois, le mauvais fils a été mis en cause dans des affaires douteuses. En Ukraine, il touchait 100 000 euros mensuels sans rien faire dans une société soupçonnée de corruption. Et cela, du temps où son père, vice-président (2008-2016), était précisément en charge du dossier ukrainien… Sa dernière cure de désintoxication ayant fonctionné, Hunter semble être revenu dans le droit chemin à l’âge de 54 ans. Et Joe Biden écoute ses avis. “Etant donné ses choix de vie, je ne suis guère rassurée de savoir qu’il pèse sur le destin des Etats-Unis”, glisse la politologue Barbara A. Perry, qui n’était pas plus enthousiaste lorsque Ivanka Trump et son mari Jared exerçaient leur influence sur Donald Trump.

80 % des Américains jugent “Joe” trop vieux

Avec Jill et Hunter, la sœur Valerie est le troisième personnage le plus influent de la famille. “Val” est dévouée à son frère qu’elle a vu, petite, lutter contre le bégaiement pendant des heures face à un miroir. “A une époque où la plupart des grands frères ignoraient leur petite sœur, lui m’emmenait partout, raconte-t-elle dans ses mémoires Growing Up Biden (2022, non traduit). Quand ses copains lui demandaient : ‘Pourquoi ramènes-tu une fille ?’, il répondait : ‘Ce n’est pas une fille, c’est ma sœur. Et si vous voulez me voir, vous la verrez aussi !'” Elle aussi pense que Joe est l’homme de la situation pour les quatre ans à venir.

Le candidat démocrate et ancien vice-président Joe Biden, sa femme Jill Biden et sa soeur Valerie (d), le 3 mars 2020 à Los Angeles à l’occasion du Super Tuesday

Les Américains, eux, voient les choses différemment : 80 % pensent qu’il est trop vieux pour la Maison-Blanche. Déjà devancé dans les sondages par Trump avant le débat du 27 juin, l’écart s’est encore creusé : désormais, le républicain mène de 7 points. Bref, il y a désormais deux camps : le clan Biden et le reste du pays. “Les démocrates feignent de découvrir le problème mais il n’est vraiment pas nouveau !” fulmine Tom Basile, un commentateur politique républicain qui a travaillé dans l’administration George W. Bush. “Cela fait des années que nous pointons la faiblesse physique de Joe Biden. En 2020, déjà, il s’est contenté de mener campagne depuis le studio de télé installé dans le sous-sol de sa maison. Hélas, les médias les plus influents, largement acquis au camp démocrate et à la gauche, ont ignoré nos mises en garde… jusqu’au moment – aujourd’hui – où il est devenu impossible de dissimuler la vérité aux Américains !” insiste ce présentateur d’America Right Now, sur Newsmax, une chaîne conservatrice.

“La présidence Biden, un village Potemkine…”

L’argumentaire des conservateurs est irrésistible. “Ils vont appuyer là où ça fait mal en décrivant la présidence Biden comme un village Potemkine, confirme l’analyste Jacob Heilbrunn. Après avoir traité Trump de menteur, les voici à leur tour accusés du même travers.” Dans ce contexte défavorable, tous les regards se tournent vers Jill. “Peut-être ne le voit-elle pas décliner…, suggère Andrew J. Polsky, du Hunter College, à New York. Lorsque l’on fréquente une personne âgée au quotidien, le délabrement physique progressif du proche peut être imperceptible.”

Joe Biden, alors vice-président des Etats-Unis, avec son fils Beau, militaire en Irak, le 4 juillet 2009 près de Bagdad

Après cinquante années au cœur du pouvoir, le temps approche où il faut renoncer aux privilèges qui vont avec. Longtemps Francis et James, les frères de Joe, ainsi que son fils Hunter, ont joué de leur patronyme en impressionnant leurs interlocuteurs lors de rendez-vous d’affaires. “Ah, excusez-moi, je dois répondre, c’est le Big Man qui m’appelle !” disaient-ils alors que le sénateur, puis vice-président, puis président leur téléphonait fort à-propos. Sans Joe, que deviendront-ils ? Le drame est qu’il n’y a pas de relève comme chez les Kennedy ou les Bush.

Avec le fils aîné, Beau, la relève semblait assurée. Juriste, officier en Irak (2008) puis procureur, il avait lancé sa candidature pour le poste de gouverneur du Delaware en 2016. Hélas, le fils prodigue est mort d’une tumeur du cerveau un an plus tôt, à 45 ans. L’histoire touche à sa fin. “Si Jill Biden conseille à son mari de renoncer à sa candidature, il suivra son avis : elle est sa conseillère la plus influente”, insiste Chris Whipple, auteur de nombreux best-sellers sur les arcanes du pouvoir américain. Pour sa propre image et pour la postérité de Joe Biden, ce serait la meilleure décision.

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